Publié le 02/05/2020

Jean-Louis Grinda : “Ce confinement aura permis hélas, de prendre conscience que la culture est indispensable”

La 151 ème édition du festival d’art lyrique le plus ancien de France n’aura pas lieu en cet été 2020, suivant à son tour les mesures gouvernementales liées à la crise sanitaire que nous subissons. La Région Sud Provence Alpes Côte d’Azur, terre de festivals, est touchée de plein fouet à travers son écosystème. Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies d’Orange fait part de son inquiétude et nous rappelle à quel point l’art est essentiel.

Jean-Louis Grinda - Interview - Annulation du Festival des Chorégies d'Orange 2020(c) Gilles Leimdorfer

Entretien avec Jean-Louis Grinda, sur l'annulation du festival des Chorégies d'Orange de l'été 2020, liée à la crise sanitaire du Covid19, qui touche la moitié de la population mondiale.

L'annulation des festivals d'été, un coup de tonnerre

Jean louis Grinda, directeur du festival les Chorégies d'Orange et de l'Opéra de Monte-Carlo

Pendant ce confinement, quel est votre état d'esprit, en tant que directeur du festival des Chorégies d'Orange, et comment avez-vous réagi à l'annonce du gouvernement concernant l'annulation des festivals ?

Jean-Louis Grinda : Comme tout le monde, j'ai essayé de croire que le festival des Chorégies d'Orange pourrait avoir lieu, dans l'espoir d'une reprise des manifestations culturelles estivales. Notre devoir étant d'agir comme si tout allait se passer normalement, nous avons avancé sur l'organisation jusqu'à début mars.

Je compare cette période comme un directeur de festival qui traverse seul le désert, qui meurt de soif sous le soleil écrasant, mais qui garde l'espoir d'un oasis jusqu'à ce qu'on lui dise au bout de 1 000 km, qu'il n'en existe pas.

J'ai donc gardé l'espoir d'avancer avec mon équipe jusqu'au moment où il est apparu impossible pour tout le monde de maintenir ce festival, à juste titre, bien entendu.
Nous ne voyions pas comment nous aurions pu continuer à vendre des billets au mois de mai dans cette situation de crise sanitaire, si nous décidions de maintenir les Chorégies d'Orange après le 15 juillet. C'est ainsi, lors de notre conseil d'administration présidé de Renaud Muselier, président de la Région Sud Provence Alpes Côte d'Azur, que nous avons décidé de l'annulation.

Ce confinement aura permis hélas, de prendre conscience que les festivals sont indispensables à un équilibre de la vie économique.

Cette annulation des festivals est un vrai coup de tonnerre.
On se rend compte que notre travail est indispensable à la vie économique de la Région Sud Alpes Côte d'Azur, terre d'art et de festivals. Et c'est bien que l'on s'en rende compte à ce point là, parce qu'il y avait toujours des septiques sur l'utilité de la culture. Des études financières et indépendantes ont démontré que les retombées économiques sont multipliées par trois à cinq fois pour chaque euro investi dans un festival.

Je suis beaucoup plus préoccupé par le réseau artistique et technique.

Quel est le lien que vous gardez avec les artistes?

Jean-Louis Grinda : À travers mon rôle de directeur de l'Opéra de Monte-Carlo, directeur des Chorégies d'Orange, metteur en scène, et homme politique, je parle avec beaucoup de gens évidemment. Il y a une immense inquiétude. Les artistes ne vont plus chanter pendant six mois, dans le meilleur des cas.
Je ne parle pas des musiciens d'orchestre, mais des artistes indépendants qui sont sous contrat, ainsi que des techniciens.
J'ai une immense inquiétude pour eux, même si j'ai l'impression que le gouvernement français a pris des résolutions concernant le chômage partiel de notre domaine culturel. Elles seront appliquées pour le festival des Chorégies d'Orange. Néanmoins, le but d'un artiste ou d'un technicien, ce n'est pas de rester au chômage mais de s'exprimer. Et toutes ces personnes sont contraintes au silence. Il faut tenir, d'autant plus que les conditions de confinement ne sont pas les mêmes pour tous. Tout le monde est sous pression, tout le monde est dans le même bateau, y compris les agents des artistes qui vivent de pourcentage de cachets. C'est tout un écosystème qui est en danger.

Un festival annulé mais pas tout à fait...

France Télévision mettra à l'honneur cet été les Chorégies d'Orange.

Avez- vous réfléchi à une alternative pour ne pas passer un été sans Chorégies ?

Jean-Louis Grinda : Nous animons nos réseaux sociaux depuis le début du confinement, avec des podcasts d'extraits de spectacles et interviews. France Télévision mettra à l'honneur cet été les Chorégies d'Orange, avec des rediffusions, et également sur Radio-France, pour que le festival reste présent.
Le spectacle de Musique en Fêtes devrait être reporté en septembre.
D'autre part, nous travaillons actuellement sur la question d'une retransmission d'un direct du spectacle "La Force du Destin" (Verdi) (1er août).
Le spectacle serait retransmis par France Télévisions, où seule serait la présence des artistes dans un théâtre vide. Nous sommes entrain d'élucider le problème financier lié à cela. Les Chrorégies d'Orange étant financé sur 80% par la billetterie, nous ne pouvons prendre en charge les frais, puisqu'il n'y a aura pas de recette cette année. Nous étudions les possibilités mais il est un peu trop tôt pour se prononcer.

Comment avez-vous organisé le report de la programmation 2020 du festival des Chorégies d'Orange ?

Jean-Louis Grinda : Le spectacle de Samson et Dalila, prévu initialement le 10 juillet, avec Roberto Alagna et Marie- Nicole Lemieux, est programmé l'été prochain selon les mêmes conditions et quasiment à la même date. Les autres spectacles (Ballet for life avec le Ballet Béjart, La nuit italienne avec Cécilia Bartoli et les Musiciens du Prince, le concert autour de Beethoven par le maestro Chung, et Nemanja Radulovic) seront aussi reportés. Nous travaillons activement dans cette hypothèse. Le seul spectacle qui ne sera pas reporté est "La force du destin".
Les conditions de remboursement des billets ou de report de spectacles seront annoncées le 4 mai. (www.choregies.fr)

Je n'ose pas dire que l'on essaye de faire le mieux possible, mais de faire le moins mal possible.

Comment gardez-vous le lien avec les institutions et les artistes?

Jean-Louis Grinda : Je suis tous les jours entrain de m'occuper de mon métier. Les choses ne se font pas en soufflant dessus. Les reports doivent se négocier, les plannings doivent se refaire. Cela met en jeu énormément d'intervenants. Je reste en permanence en lien avec les collègues de travail.
Je n'ose pas dire que l'on essaye de faire le mieux possible. On essaye de faire le moins mal possible. Comme c'est une situation inédite qui nous arrive, l'on doit expérimenter des nouvelles techniques d'organisation.

Garder la mémoire des spectacles par l'audiovisuel

On n'a jamais autant consommé de culture qu'en ce moment.

Regardons ce que nous apporte cette crise : ceux qui doutaient de l'importance des festivals dans le territoire ont pris conscience qu'ils étaient indispensables.
Depuis le début du confinement, seuls les commerces de première nécessité sont restés ouverts. Et paradoxalement, nous n'avons jamais autant consommé de culture qu'en ce moment.  Les gens restent chez eux à lire, regarder des films, des pièces de théâtre, des séries, ou des spectacles d'opéra sur internet. Les sites des maisons d'opéra ou de théâtre proposant du streaming, n'ont jamais été aussi fréquentés qu'actuellement. On voit bien que tout ce qui concerne la mémoire audiovisuelle de nos spectacles n'est pas un gadget. C'est un moyen indispensable pour maintenir le lien entre les artistes et leur public. Ce qui se passe aujourd'hui est un accélérateur pour cela. L'on sait maintenant que demain, nous devrons tout filmer, car si un jour cette pandémie se reproduit, nous devrons avoir quelque chose à montrer. C'est primordial.

Et après ? Le spectacle vivant doit rester "vivant"

Toutefois nous ne remplacerons pas le spectacle vivant par la vidéo, c'est certain. Le spectacle vivant doit pouvoir se consommer de la même façon qu'aujourd'hui. Les artistes ont besoin de la présence du public et réciproquement. La relation entre les artistes et le public, c'est un échange d'émotions impalpables.
Le spectacle vivant ne sera jamais remplacé. Les artistes ne sont qu'excellents parce qu'ils sont avec un vrai public et parce que c'est le direct. Sinon, c'est du cinéma et c'est un autre monde. Ce n'est pas la même émotion que celle que le public vient chercher depuis 2 000 ans dans un théâtre.

Souhaitez-vous rajouter quelque chose pour conclure cet entretien ?

Jean-Louis Grinda : La grande douleur du moment sera la reprise. Retourner sur la scène au bout de six mois ne sera pas évident pour les artistes. L'incertitude est entrain de gagner le moral des uns et des autres. Même si chacun essaie de garder le lien par des initiatives de concert virtuel pour rester ensemble avec les limites que l'on connait, le fond du problème est que les artistes ne gagnent pas leur vie. Se rajoute à cela la dépression. Je suis très inquiet pour les mois à venir. Nous n'avons aucune visibilité sur les conditions de reprise. Ce n'est pas seulement une inquiétude financière, c'est une inquiétude de vie, d'être.