- Auteur Victor Ducrest
- Temps de lecture 6 min
« Beauséjour » de Mourad Merzouki, la poésie des corps à tout âge
Retour sur « Beauséjour » de Mourad Merzourki, vu le 12 juillet au festival de Vaison-Danses. Un spectacle à guichet fermé une fois de plus pour ce chorégraphe, poète du langage corporel.

Vu le 12 juillet 2025, au Festival Vaison Danses, le spectacle "Beauséjour" de Mourad Merzourki par les danseurs de la Compagnie Käfig. Création 2024.
Mourad Merzouki a avec Vaison-la-Romaine des relations particulières. Plusieurs fois, que ce soit à cause de la météo ou du Covid, les dieux ne lui ont pas souri. Mais l'ambiance chaleureuse du public du festival Vaison Danses ne lui a jamais manqué. Après Folia en 2022 et Boxe Boxe Brasil l'année dernière, « Beauséjour », sa création chorégraphique de 2024, s'est jouée une fois de plus à guichet fermé.
3000 personnes sur les gradins du théâtre antique de Vaison-la-Romaine, c'est toujours quelque chose d'impressionnant pour les 15 danseurs de la compagnie Käfig qui occupaient cette scène exceptionnelle de 45 mètres de large !
« Beauséjour » de Mourad Merzouki
La poésie des corps
« Peu importe l'âge que l'on a, on peut danser, on peut partager les émotions avec son corps. Dans ce spectacle, ce qui m’importe c’est de partager avec vous, public, tous les corps. Peu importe son corps, on a des choses à dire, des choses à partager. J’essaie de partager avec vous la poésie des corps. Voilà ». Mourad Merzouki.

C’est donc le thème de la vieillesse qu’il a choisi de traiter dans cette nouvelle pièce.
Mais plus qu'une réflexion sur le temps qui passe, avec Beauséjour, nous sommes dans une action qui, délibérément et avec un optimisme impénitent, nous dit que la vie est belle dans toute ses différences. C'est ce qu'exprime à quatre reprises le texte que Merzouki fait dire au slameur lyonnais Fabrice Daboni, alias Fafapunk. Comme Merzouki aime le décalé que recèlent l'humour et la poésie, c'est le ton qu'il prend pour conjurer les souffrances de la vieillesse et célébrer la joie de vivre.
« Beauséjour »
À « Beauséjour » on est dans une guinguette imaginaire avec ses arcades à l'ancienne et ses lampions surannés. Comme son nom l'indique, il doit y faire bon vivre. La suite viendra confirmer que les générations peuvent ne pas être en conflit même s'il leur plaît parfois d’entrer en compétition ou de se moquer sans agressivité.
Des faux cheveux blancs, des faux bourrelets, de vrais artistes
La pièce débute par une scène bleutée où les anciens avec leurs cheveux blanchis, leurs bourrelets saillants et leur arthrite des genoux viennent défier le temps qui passent en ouvrant le bal. À leur tour des jeunes déboulent sur le plateau avec tout leur répertoire de breakdance, avec leurs équilibres improbables, leurs headspins, leurs windmills et surtout leur énergie débordante.
Cette séparation des genres ne fait pas long feu, et la pièce va décliner toutes les formes de métissage possibles de style et d’accouplements entre jeunes et vieux, hommes et femmes, chemises à fleurs et pantalons à bretelles.

Gotan Project : le mariage du tango et de l’électro
La musique qui accompagne « Beauséjour » est due à Gotan Project. Cet anagramme de tango renvoie au duo musical d’électro-tango co-fondé par le suisse Christoph H. Müller et l’argentin Eduardo Makaroff en 1999 à Paris. Le groupe mixe le bandonéon du tango traditionnel avec des beats électroniques, samples et rythmes modernes issus du hip hop, de la house et du jazz. Merzouki avait déjà collaboré avec ce groupe dans « La Danse des Jeux », une chorégraphie qui célèbre les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024.
Cette danse disait déjà : « quel que soit votre âge ou votre condition physique, osez la danse et préparons-nous pour être les meilleurs ambassadeurs de ce grand rendez-vous très attendu par le monde entier ! ». Comment sont arrivés dans le projet Christoph et Eduardo ? Par le fait que « c'est une musique qui invite à la danse. C'est une musique solaire. Et ce sont des belles personnes… »

Rencontre avec Mourad Merzourki en « Bord de régie »
À la fin de la représentation, les spectateurs ont pu échanger avec le chorégraphe, non pas en bord de scène comme il est d’usage mais au bord de la régie qui se tient en bas des gradins.
Pourquoi ne pas avoir travaillé avec de « vraies » personnes âgées » ?
J'aurais adoré avoir des personnes plus âgées mais c'est très compliqué en fonction des exigences des tournées. C'est une première approche et je serais très heureux de pouvoir travailler avec des personnes plus âgées.
Quand vous créez un ballet, à quels autres chorégraphes ou artistes pensez-vous ?
Je n'ai pas eu de professeurs. J'ai appris tout seul. J'apprends avec tous les danseurs qui m'entourent. Par ailleurs, je vois très peu de spectacles. Mon inspiration, c'est ce que je vis au quotidien. Ma référence, c'est Charlie Chaplin, parce qu'il est intemporel, incroyable. L’autre personne que je garde en tête c'est le poète René Char. J’ai fait mienne cette exhortation du poète : « impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, il s’habitueront. » C'est ce qui m'accompagne dans mon travail.
Une spectatrice – très alerte – qui révèle qu’elle a plus de 80 ans, s’exprime.
Je ne me suis pas sentie caricaturée dans mon âge. Je respecte les jeunes qui ont accepté de se grimer et qui nous ont fait passer des mouvements que je sens journellement dans mon cœur et dans mon corps mais avec bonheur, avec grâce, avec respect. Je me permets de dire aux jeunes que je regrette que parfois des gens de ma génération fassent des caricatures de jeunes beaucoup plus grotesques.
Pourquoi avoir appelé votre compagnie « Käfig » qui signifie « cage » ?
La cage, l'enfermement c'est le sentiment que j'avais quand j'étais plus jeune. Mais par la suite j’ai décidé de garder ce nom par contre pied. En 1996, pour un de mes spectacles, j'avais choisi de travailler sur l'enfermement parce qu'à cette époque c'était un sentiment que je ressentais, parce que je ne savais pas dans quel monde j'évoluais. J'avais l'impression de n’ avoir ma place nulle part et j'ai alors travaillé avec un spectacle sur les frontières. Mais l'état d'esprit de ma compagnie, c'est tout sauf l'enfermement, c'est au contraire l'ouverture, c’est sortir de la cage. Avec moi ce sont des danseurs de tout horizon. Il y a un travail qui est basé sur la rencontre, les passerelles, le voyage.