Publié le 13/06/2020

Beethoven en quelques notes, l’incarnation d’un artiste indépendant

Biographie de Beethoven en quelques notes. Enfant prodige, artiste libre, un combat permanent contre une surdité inexorable, on a dit du compositeur tout et son contraire, parce qu’il fut tout et son contraire. La vie de Beethoven après Beethoven.

Beethoven Painting by Joseph Karl Stieler, 1819 or 1820 -Portrait

Beethoven, ce compositeur, ce créateur hors du commun, convaincu que « la musique est une révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie » (1770-1827)

« Faire tout le Bien qu'on peut,
Aimer la Liberté par-dessus tout,
Et, quand ce serait pour un trône,
Ne jamais trahir la Vérité. »
(Beethoven, Feuille d'album, 1792)

Beethoven Sonata Op. 109 compose en 1820
Extrait de la partition de la sonate opus 109 (no 30) de Ludwig van Beethoven

Beethoven aurait 250 ans

Cette année 2020 est à la fois l'année du monumental Beethoven qui aurait 250 ans et celle de ce mauvais coronavirus qui nous empêche provisoirement d'écouter son œuvre en concert vivant. Raison de plus pour parler une fois encore en quelques notes de ce créateur hors du commun, convaincu que « la musique est une révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie », et considéré comme le compositeur classique le plus joué au monde.

De Beethoven, on a dit tout et son contraire, parce qu’il fut tout et son contraire. Bienveillant et insultant, solitaire et ouvert aux autres, dépressif et exalté, petit de taille et immense créateur, utilisé par le troisième Reich comme par les Alliés. Comme tous les grands artistes qui marquent le temps de leur empreinte, il a été en même temps un héritier et un précurseur, dans un moment fort de transition sociétale et esthétique, celui dont les historiens nous assurent qu’il nous a fait passer du « classicisme » au « romantisme ».

« Ce sourd entendait l’infini », écrit Hugo. Étonnamment, cette surdité du musicien qui s’est manifestée lorsqu’il avait à peine 26 ans, a fait la légende de BTHVN. De fait, l'évolution inexorable de son infirmité a balisé les différentes périodes de sa vie sociale et artistique.

Beethoven au piano ©AA
Illustration de Beethoven au piano ©AA

Beethoven I à Bonn

Une famille musicienne et roturière

C’est à Bonn, capitale provinciale de 9 000 habitants, siège des Princes électeurs de Cologne, que naît Ludwig van Beethoven en décembre 1770. Sa famille, comme son nom l’indique, est d’origine flamande. Son grand-père, dont il a hérité le prénom, chantait à la cathédrale Saint-Rombaut de Malines puis à la cathédrale Saint-Lambert de Louvain, avant de s’installer à Bonn en 1733. Quant à son nom il signifie « la ferme aux betteraves » mais d’aucuns prétendent qu’il voudrait dire aussi « jardin de bouleaux » … Quoi qu’il en soit, la particule « van » n’a pas de connotation nobiliaire, comme l’a longtemps laissé supposer « Ludwig van », et cette famille de roturiers n’en est pas pour autant moins musicienne. Son père, Johann van Beethoven, que l’on dit brutal, fêtard et alcoolique, est ténor à la Cour de l'Électorat de Cologne dont Bonn est le chef-lieu général. Sa mère, Maria Magdelena Keverig, fille d'un cuisinier, et veuve en premières noces d'un valet de chambre, est, selon leur logeur « une femme modeste et très estimée », et pour son fils, qui la perdra lorsqu’il aura seize ans, « sa meilleure amie ».

Ludwig van Beethoven, un enfant prodige

Son père qui le rajeunit de deux années pour le faire apparaître comme un enfant prodige, fait écrire au nom de Ludwig une dédicace à Maximilien-Frédéric, prince électeur de Cologne, qui commence ainsi « Dès ma quatrième année, la musique a commencé à être la première des occupations de mon jeune âge ». Au-delà de ce mensonge de circonstance, il est vrai que, sans avoir l’extrême précocité de Mozart, Ludwig donne son premier concert à huit ans, quitte l’école à onze ans, prend des leçons chez l’organiste et compositeur de la Cour Andrea Luchesi, commence des remplacements auprès de Christian Gottlob Neefe en tant qu’organiste de la Cour à douze ans et touche ses premiers salaires de « second organiste » l’année suivante. En tant que compositeur, il ne perd pas de temps puisqu’il a à peine onze ans quand sont publiées ses Neuf variations pour piano sur une marche du chanteur-compositeur-violoniste Ernst Christoph Dressler.

Beethoven Peinture de Hornemann, 1803
Portrait de Beethoven en 1803 - Peinture de Friedrich Konrad Hornemann 

Le soutien de l’aristocratie de Bonn

Cette proximité avec la Cour de Bonn, lui permet d’entrer dans le grand monde de la ville et de se faire remarquer par ceux qui pourraient devenir protecteurs et mécènes. C’est ainsi que, grâce à son ami Franz Gerhard Wegeler qui deviendra plus tard médecin, il est introduit chez les riches Breuning comme professeur de piano. Une seconde famille pour Ludwig dont les enfants deviendront ses amis et qui lui apportera une éducation dont il avait manqué. C’est là que Schiller et Goethe lui deviendront familiers.

Très tôt, il a reçu le soutien de l’aristocratie de Bonn, et le Prince Électeur lui permet de faire un premier voyage d’étude à Vienne, la capitale européenne de la musique où il aurait rencontré Mozart. Un voyage écourté à cause de la mort de sa mère, mais qui sera renouvelé en novembre 1792. À cette occasion, le comte Ferdinand von Waldstein, qui, fut son premier mécène lui dit : « Cher Beethoven, vous allez à Vienne pour réaliser un souhait depuis longtemps exprimé : le génie de Mozart est encore en deuil et pleure la mort de son disciple. (...) Par une application incessante, recevez des mains de Haydn l'esprit de Mozart. »

Beethoven II à Vienne

Beethoven a 22 ans. Le génial Mozart vient de mourir. Haydn, le maître de la symphonie et du quatuor à cordes, dont il est un élève « un peu sombre et étrange », a déjà la soixantaine. Beethoven peut partir à la conquête d’une place de choix dans la ville phare du monde de la musique, sa ville de résidence qu’il ne quittera plus jusqu’à la fin de sa vie.

« Le public découvre ce nouveau Mozart… »

Comme pianiste virtuose Beethoven était connu notamment par les duels pianistiques qu’il avait engagés avec certaines stars de l’instrument. Comme compositeur, le public viennois le découvre au Burgtheater un certain 29 mars 1795, alors qu’il a 25 ans. Il y donne son premier concerto pour piano en ut majeur et le journal Musikalische Allgemeine Zeitung s’en fait l’écho : « Pendant l’entracte, le célèbre Ludwig Van Beethoven a recueilli l’approbation unanime du public, dans un concerto tout nouveau pour le pianoforte, composé par lui-même »

Beethoven Painting by Joseph Karl Stieler, 1819 or 1820 -Portrait Missa Solemnis_
Portrait de Beethoven du peintre Joseph Karl Stieler en 1819 ou 1820 ©AA

Le combat permanent contre une surdité inexorable

« Je veux saisir le destin à la gorge, il ne viendra jamais complètement à bout de moi. »

C’est l’année suivante – en 1796 – que Beethoven commence à sentir les prémices d’une infirmité contre laquelle il se battra jusqu’à la fin de sa vie : la surdité. Elle le conduira à mettre fin à sa carrière de pianiste, elle le handicapera comme chef d’orchestre, elle affectera sa vie sociale jusqu’à lui souffler l’idée de mettre fin à ses jours, mais elle ne l’empêchera jamais de composer. « Je veux saisir le destin à la gorge, il ne viendra jamais complètement à bout de moi. » C’est par ses mots qu’en 1801 il s’adresse à son ami Wegeler, alors que son mal est bien avancé.

Il épuisera une multitude de médecins qu’il considère comme incompétents, s’essaiera aux traitements les plus divers, expérimentera (sans succès) les cornets acoustiques de l’inventeur Johann Nepomuk Mälzel, équipera son piano d’un résonateur, jusqu’à ce que la communication avec les autres se réduise à l’usage de ses quatre cent « carnets de discussion ». Mais loin d’affaiblir sa pugnacité, cette surdité renforcera sa volonté de continuer à servir son art.

Beethoven Museum piano resonateur ©AA
Beethoven Museum - piano résonateur ©AA

L’avènement de l’artiste indépendant

"Il n’y a qu’un Beethoven"

En incarnant la figure de l’artiste libre, indépendant des pouvoirs temporels ou religieux, insoumis, rebelle, solitaire, conscient de son génie créateur, Beethoven bouscule les relations traditionnelles entre le compositeur et son protecteur qui considérait celui-ci comme son serviteur ou pour le moins comme son employé obligé.

Beethoven ne vit pas encore au temps des droits d’auteur. Il est financièrement dépendant des éditeurs qu’il choisit et des aristocrates qui l’emploient, lui servent des rentes, lui paient ses dédicaces ou l’usage exclusif (mais temporaire) de ses œuvres. Le Prince Karl Lichnowski fut de ceux-là. Ce qui n’empêche pas Beethoven, le roturier, de refuser de jouer devant des officiers de l’armée napoléonienne stationnés dans son château en 1806 et d’envoyer à son mécène un billet fréquemment cité : « Prince, ce que vous êtes, vous l’êtes par le hasard de la naissance. Ce que je suis, je le suis par moi. Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers. Il n’y a qu’un Beethoven ».

Comme musiciens de cour, les compositeurs répondaient essentiellement à une commande de divertissement. Beethoven change la donne en refusant de plaire et en plaçant certaines de ses œuvres au rang de message à porter.

Un engagement politique ?

On peut se demander si on peut qualifier Beethoven d’«artiste engagé » comme on le dirait aujourd’hui. C’est un anachronisme, répond l’historien de la musique Esteban Buch, car, il n'y a pas de trace d’un engagement où on l'aurait vu proche d’une organisation militante. Par ailleurs ses œuvres à message explicite ne sont pas nombreuses. Toutefois la force avec laquelle elles se sont exprimées dans son ballet « Les Créatures de Prométhée », dans sa troisième symphonie « Héroïque » ou dans la Neuvième avec chœur, nous rappelle sa proximité avec d’un côté les idées républicaines et humanistes de la Révolution française diffusées par la franc-maçonnerie viennoise, et de l’autre un certain patriotisme avec « La victoire de Wellington » qui célèbre la défaite napoléonienne à Vittoria en Espagne, ou la cantate « Le Glorieux moment », ces œuvres de circonstance dont Romain Rolland dit qu’elles firent plus pour sa réputation que tout le reste de sa musique.

Beethoven III, « ce sourd qui entendait Dieu »

Et Dieu ?

« Ce sourd qui entend Dieu », comme l’écrivait Bourdelle, invoque la divinité dans son Journal intime, comme « son rempart, sa défense, son seul refuge », mais aussi comme un « Être qu’il ne sait comment nommer », ce qui apparente sa position à une forme de déisme. Michel Honaker, dans une fiction sur Beethoven, propose ainsi un dialogue vraisemblable avec son ami d’enfance Karl Amenda qui deviendra pasteur :

- Maître, vous ne croyez pas réellement en Dieu ...
- Comment ? s’étonnait Beethoven. Je suis sincèrement croyant. Je ne vais pas souvent aux offices, mais n'est-il pas écrit que Dieu est partout ? Il est aussi bien à mes côtés que là-bas, sous ce grand chêne. N’est-il pas Nature ? N'est-il pas Tout ?
- Vous adorez ses œuvres bien plus que lui-même.
- Si tu veux dire que j'aime la musique par-dessus tout : oui. Mille fois oui.

Des funérailles plus que princières

C’est au cours d’un violent orage que Beethoven trouva la mort, le 26 mars 1827. Un symbole ! Pas moins de 20 000 personnes l’accompagnèrent vars sa dernière demeure. Trois jours après sa mort, dans son oraison funèbre, Franz Grillparzer, le grand dramaturge autrichien, avait fait dire : « (…) il fut un artiste, et ce qu'il fut, il le fut par l'art. Les épines de la vie l'avaient profondément blessé, et comme le bateau qui a perdu le rivage, il chercha refuge dans tes bras, ô Toi, frère souverain du Bon et du Vrai, baume de la douleur, toi, l'Art venu du Ciel ! »

Funerailles de Beethoven ©AA
Funérailles de Beethoven ©AA

Beethoven après Beethoven

La vie de Beethoven après Beethoven est maintenant depuis longtemps infiniment plus longue que sa vie matérielle. Elle est d’une richesse et d’une variété difficile à exprimer en quelques notes quand on sait qu’il est le compositeur le plus joué au monde et que la liste de ses admirateurs, de ses « glossateurs » et de ses auditeurs est trop longue pour figurer raisonnablement sur un support papier !

Des hommages inattendus

L’Ode à la Joie dans sa version Karajan – que l’on apprécie ou non le choix de l’arrangeur salzbourgeois – est devenu, on le sait, l’hymne européen officiel sans paroles. Mais parmi les hommages de la part du monde artistique qu’il a reçus après sa mort, il en est d’inattendus. Celui que lui a rendu le sculpteur Antoine Bourdelle est de ceux-ci.

Le sculpteur montalbanais, praticien de Rodin, a réalisé pendant 42 ans, comme par obsession, plus de quatre-vingts bustes du Titan de la musique dont beaucoup sont exposés dans son musée parisien. Un projet, disait-il, pour « dresser le Beethoven que j'entends et que j'admire de toute mon âme ».

Un autre de ces hommages surprenants est celui que les Japonais lui rendent chaque année au début de l’hiver : depuis des décennies, dans tout le pays, des milliers d’enfants et d’adultes, amateurs ou professionnels, chantent en allemand la « Daiku », c’est-à-dire la Neuvième. Une sorte de messe de minuit, écrite par le poète Schiller, qui célèbre la fraternité …

Une musique sous l’empire de l’énergie

« Chez l'homme, la musique doit faire jaillir un esprit de feu »

On a dit que Beethoven avait doté la musique d’une dimension nouvelle parce que qu’il l’avait mise sous l’empire de l’énergie et qu’il a donné au rythme le pouvoir d’exprimer des alternances de volonté et de dépression. « Chez l'homme, la musique doit faire jaillir un esprit de feu », écrit-il à son amie Bettina Brentano.

Chez lui, tout est lutte, contrastes, résistance contre le destin, volonté intraitable de combattre et de surmonter le malheur et l’accablement, de faire triompher la joie et la confiance. C’est l’un de ceux pour qui il est difficile de séparer comme dans les biographies traditionnelles la vie et l’œuvre, tant son art est viscéralement lié à son existence faite de paradoxes, de passion et de raison, d’idéal et de prosaïque, de fortune et d’adversité, de douleur et d’amour.

2020 est une année trop courte pour réaliser tous les hommages qu’on souhaitait lui rendre. On apprend qu’il se prolongeront sur 2021 …

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