Publié le 14/04/2021

En quelques notes : Être compositrice, depuis l’antiquité, de Sappho à Élise Bertrand

Être compositrice depuis l’antiquité ou compositeur au féminin au 21ème siècle … Portrait de neuf femmes emblématiques dans l’histoire des compositrices, de Sappho à Élise Bertrand, en passant par “les sœurs de” ou les femmes de” … ainsi que celles qui furent sauvées par la musique ! « Si les mœurs font les lois, les lois ne font pas les mœurs » George Sand.

Compositeur femme Maddalena Casulana

Portrait de neuf femmes compositrices qui ont marqué l'histoire de la musique classique ou contemporaine dont les créations sont parfois trop oubliées : Sappho, Hildegard von Bingen, Maddalena Casulana, Madame de Mongeroult, Fanny Mendelssohn-Hensel, Clara Wieck-Schumann, Alma Maria Schindler-Mahler, Betsy Jolas et Élise Bertrand.

« La musique est femme » Richard Wagner, Opéra et drame, 1852

Égalité des genres parmi les compositrices ?

Aussi loin qu'on puisse remonter dans le temps réel et mythologique, on trouve des femmes dans le domaine musical, des femmes qu'on a célébrées, soutenues, admirées, ou au contraire déconsidérées, méconnues, oubliées, « invisibilisées ». Il faut dire qu'il en a été de même chez les hommes, mais pas dans les mêmes proportions.

Le printemps arrivant, la femme est mise officiellement à l'honneur à travers la Journée internationale des droits des femmes. C'est l'occasion de revisiter ce sujet que des femmes ont déjà abordé depuis longtemps dans leurs écrits, leurs concerts, leurs émissions de radio-télévision, depuis Maddalena Casulana (v.1544-v.1590) qui veut montrer au monde « l'erreur que commettent les hommes en pensant qu'eux seuls possèdent les dons d'intelligence et que de tels dons ne sont jamais donnés aux femmes » jusqu’à Betsy Jolas qui décroche la Victoire de la musique 2021 mention « composition », ou Anne-Charlotte Rémond qui produit en continu sur une grande radio musicale plus d’une trentaine d’émissions sur les compositrices européennes.

Avez-vous déjà entendu le nom de Paola Massarenghi, de Julie Pinel, d’Elizabeth Billington, de Fanny Hünerwadel, ou d’Aliya Salmanova ? Il s'agit de compositrices tirées au sort parmi celles qui ont édité des œuvres entre le 16e et le 21e siècle. Elles sont actuellement plus de 5 000 à avoir été recensées par la base de données "Donne - Women in music" fondée par la soprano brésilienne Gabriella Di Laccio. Ce n’est pas rien, et pourtant… Qu'en est-il de la position des compositrices à l'heure où l'on a lu la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d'Olympe de Gouges (1791), où l'on l'on célèbre la Journée internationale des droits des femmes depuis mars 1911 ?

Pour en parler, nous avons choisi neuf femmes emblématiques dans l’histoire des compositrices. Plus de cinq mille pourraient nous en vouloir de ne pas les avoir citées.

Sappho (1877) lesbos poete femme
Sappho, 1877, tableau de Charles Mengin (1853–1933) ©AA

1. Sappho, compositrice au temps de l'Antiquité

Musique est chant d’amour

Aux temps rêvés, Euterpe est femme, flûtiste et muse de la Musique. Elle est fille de Zeus qui incarne le pouvoir et de Mnémosyne qui a inventé les mots et le langage. Son nom, qui signifie « bien plaire », est révélateur d’une fonction première de la musique : le plaisir et la joie.

La musique est donc du genre féminin, et sa première représentante connue dans l’Antiquité grecque est Sappho, habitante de Lesbos au 7e et 6e siècle avant J.-C. Celle qu’on qualifiait de « dixième muse » est une poétesse s’accompagnant d’un instrument à cordes qui tient à la fois de la lyre et de la harpe pour chanter ses textes rythmés en l’honneur d’Aphrodite, la déesse de l’Amour. Elle aurait inventé le mode mixolydien, c’est-à-dire l’utilisation d’une gamme particulière dont la tonalité plutôt douce et triste se retrouve aujourd’hui dans le blues, le jazz ou le rock.

Dans l’Antiquité, les musiciennes le plus souvent citées sont les joueuses de flûte et de cithare invitées avec des danseuses aux banquets festifs pour divertir les convives masculins. Courtisanes ou prostituées, souvent esclaves, elles laissent l’image de femmes associées au plaisir vénal. Cette représentation stéréotypée des musiciennes est sans doute en partie caricaturale, mais c'est celle que l'on a retenue, ce qui n’a servi à « honorabiliser » ni le statut de musicienne, ni l’image de la femme.

2. Hildegard von Bingen, compositrice au XIIe siècle

Une sainte

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Sculpture d'Hildegard von Bingen en face de l'Abbaye d'Eibingen, Karlheinz Oswald, 1998 ©AA

Cette division sociale issue des conceptions antiques, qui divise moralement l’univers féminin en respectables d’un côté - les matrones, épouses et mères de famille, prêtresses, femmes de l’intérieur -, et peu recommandables mais combien attrayantes de l’autre - les femmes de plaisir pour ne pas dire les filles de joie, femmes de l’extérieur -, laisse des traces dans la suite de l’histoire.

La bipartition homme/femme se traduira longtemps dans le monde de la musique au niveau du chant et de la voix (sensuelle ou mystique chez la femme), au niveau des instruments (masculins comme la trompette ou féminins comme la harpe ou le piano), et au niveau de la création (réservée au « génie masculin » alors que seule l’exécution peut être féminine).

L’Église, grande commanditaire de musique, imprime sa conception de la femme dans ce domaine artistique. Elle se méfie de la femme musicienne : « ne la fréquente pas, de peur que tu ne sois pris dans ses rets », peut-on lire dans l’Ecclésiaste. Elle lui dénie certaines compétences notamment celle de la composition. Hildegard von Bingen (1098-1179) constitue à cet égard une exception remarquable.

Celle que Benoit XVI a canonisée en 2012 et déclarée « docteur de l’Église », c’est-à-dire intellectuelle de référence pour la foi catholique, fut une abbesse bénédictine originaire de Rhénanie, mystique et visionnaire, femme de lettres, peintre et naturopathe avant l’heure. En tant que compositrice de musique sacrée que l’on redécouvre à la fin des années 80, Hildegard von Bingen a laissé soixante-dix-sept pièces liturgiques chantées, formant un recueil intitulé « Symphonie de l'harmonie des révélations célestes », et une forme d’oratorio « Le jeu des vertus », comportant quatre-vingt-deux mélodies. C’est la première femme dont les œuvres musicales sont parvenues jusqu’à nous. Pour elle, la musique est d’essence divine et quand les chanoines de la cathédrale de Mayence lui rappellent l’orthodoxie catholique en lui interdisant ainsi qu’à ses nonnes de chanter et de jouer des instruments pendant les offices, elle se rebelle en les accusant par cette interdiction de se faire les complices de Satan ! Dans son oratorio, le personnage du diable est d’ailleurs le seul à ne pouvoir que parler.

3. Maddalena Casulana, première femme à se déclarer compositrice

Première compositrice à être publier

Deux siècles plus tard, naît en Toscane, près de Sienne - du moins on le suppose - Maddalena Casulana (1544-1590). Elle vit en Vénétie. D’elle, on ne sait pas grand chose et pourtant elle marque une étape significative dans l’histoire des compositrices. Elle chante, joue du luth et compose des madrigaux, ces pièces poétiques et musicales de forme libre et raffinée à sujet profane. En cela d’autres l’ont précédée, mais l’histoire retient son nom parce qu’elle est la première à avoir revendiqué son statut de compositrice professionnelle et à se poser à l’égal des hommes du point de vue de ses talents de créatrice.

Elle est la première femme à avoir été publiée, ce qui est l’une des conditions pour ne pas être oubliée. Voici le préambule de son premier livre de madrigaux publié à Venise en 1568, qui est une dédicace à la mécène Isabelle de Médicis, épouse de Paolo Giordano Orsini, et qu’on peut dire féministe avant l’heure :

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Maddalena Casulana, première compositrice occidentale à avoir été publiée (XVI ème siècle) ©AA

« Je sais bien, Illustrissime et Excellentissime Signora, que mes premières œuvres, par leur faiblesse, ne pourront avoir l'effet que je souhaiterais, qui serait, en plus de témoigner ma dévotion envers Votre Excellence, de révéler aussi au monde (pour autant que cela me soit permis dans la profession de la musique) la vaine erreur des hommes, qui se croient maîtres des dons de l'intellect au point qu'il leur semble impossible de partager ces derniers avec les femmes. Néanmoins, je n'ai pas voulu manquer de les publier, en espérant que du nom glorieux de Votre Excellence (à qui je les dédie révéremment) elles puissent obtenir tant de lumière qu'un génie plus élevé pourra s'allumer à celui-ci pour démontrer par un effet évident ce que je n'ai pu démontrer que de toute mon âme. Que Votre Excellence agrée mon intention candide et si, de fruits si immatures, je ne puis recevoir les louanges qui sont le seul fruit du labeur vertueux, qu'au moins votre bonté fasse que je jouisse du prix de votre grâce afin que je les considère pour toujours si ce n'est bons, au moins très fortunés. Je baise humblement la main de Votre Excellence. De Venise, le 10 avril 1568. De Votre Excellence, La très humble Servante Maddalena Casulana. »

4. Madame de Mongeroult, premier "professeur femme" au Conservatoire de Paris

Professeur de piano à défaut d'être reconnue compositrice

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Madame de Montgeroult, première femme professeur de piano au Conservatoire de Paris ©AA

Aborder la composition suppose une éducation musicale de haut niveau à laquelle peu de filles pouvaient avoir accès. Jusqu’à la Révolution, en France, seuls les garçons, recrutés sur concours pouvaient bénéficier de ce type d’enseignement dans les écoles maîtrisiennes dépendantes d’une cathédrale, où l’on apprenait à chanter, à jouer d’un instrument et, pour les meilleurs, à composer. C’est ce qui explique que, pendant longtemps, seules les filles de musiciens, les nonnes, qui très tôt ont chanté dans les couvents, et les filles de milieu aisé ont eu ce privilège.

Ce fut le cas de Madame la marquise de Montgeroult, née Hélène de Nervo en 1764, et fille d’un conseiller-secrétaire du roi. Cette contemporaine de Mozart et de Beethoven a composé pour le piano des sonates et des études, notamment pour son « cours complet en trois volumes pour l’enseignement du forté piano » en 771 pages, mais c’est surtout comme professeur de piano que son nom est resté dans l’histoire de la musique, car, au 19e siècle, ses œuvres ont été plagiées sans que son nom ne soit cité.

Sa condition de femme noble lui impose d’une part comme femme d’œuvrer dans un cadre privé, c’est-à-dire dans un salon, et d’autre part comme noble de ne pas être rémunérée, ce qui l’exclut du circuit professionnel. Hélène de Montegeroult reste pourtant dans la mémoire historique… Parce qu’elle figure dans les archives du Conservatoire de Paris. En 1795 se crée le Conservatoire, premier établissement d’enseignement supérieur français ouvert aux jeunes filles, qui formera des musiciennes professionnelles. Certes, à ses débuts, l’institution, dirigée par Bernard Sarrette qui est un musicien militaire de la Garde nationale, a pour première mission de participer aux fêtes nationales, ce qui n’a rien de particulièrement féminin. Mais cela ouvre une voie professionnelle à celles qui cherchent un enseignement de piano ou de chant. 600 élèves des deux sexes, choisis dans tous les départements pourront ainsi recevoir gratuitement une éducation musicale de haut niveau.

Hélène de Montgeroult est la seule femme à paraître sur la liste des douze professeurs de première classe recrutés par concours au conservatoire de 1795 à 1798, et à se voir confier une classe d'hommes, au salaire de 2500 livres comme ses confrères masculins. En France, rappelons qu’il faut attendre 1972 pour qu’une loi défende le principe de « à travail égal, salaire égal ». Ajoutons que la première classe de composition a été ouverte au femmes en 1870, et qu’une femme comme de Montgeroult n’a pu se former qu’au contact des grands maîtres qu’elle a étudiés.

Sauvée par La Marseillaise et le Conservatoire

Il faut savoir que cette situation est exceptionnelle. La marquise de Montgeroult est noble et la Révolution française traverse sa vie lorsqu’elle a 25 ans. Elle part avec son mari en Angleterre puis en Italie. A son retour à Paris, en 1793, elle est arrêtée et incarcérée à la Conciergerie. Eugène Gautier, professeur d’histoire de la musique au Conservatoire raconte - à sa manière - un événement assez incroyable. Avant son jugement par le Comité de Salut public, Bernard Sarrette « vint réclamer Madame de Montgeroult, disant que l’établissement qu’il dirigeait ne pouvait se passer du plus grand professeur de piano qui existât alors en France ». Le président du Comité fit venir un piano : "Citoyenne, nous voulons juger par nous mêmes. Assieds toi là et joue nous la Marseillaise !" Elle joua et improvisa de telles variations sur ce thème que le président, ses collègues et les soldats présents entonnèrent avec ferveur la mélodie guerrière : "Citoyenne, nous voyons que tu es une bonne patriote, et nous t’acquittons des accusations portées contre toi. Viens recevoir l’accolade fraternelle !"

En contrepartie elle dut accepter un poste au Conservatoire. Il est vrai que ce ne fut pas très longtemps : au bout de trois ans elle démissionna à sa demande pour raison de santé. Mais La Marseillaise et le Conservatoire lui ont permis de sauver sa tête !

Actuellement, au Conservatoire national supérieur de Paris, les classes d’écriture, de composition et de direction d’orchestre comptent 25 enseignants et 4 enseignantes (soit 14%), dont 1 en musicologie et écriture, 1 en direction de chœur, 1 en direction d’orchestre et 1 en composition.

Fanny, Clara, Alma, femmes compositrices, sœur et épouses de…

Fanny Mendelssohn (née en 1805), Clara Schumann (née 1819) et Alma Mahler (née en 1879) font partie des femmes musiciennes et compositrices les plus connues du monde musical. Très différentes les unes des autres, elles ont cependant un point commun : leur célébrité est due à leur patronyme. Fanny fut la sœur de Félix Mendelssohn, Clara fut l’épouse de Robert Schumann et Alma fut la femme de Gustav Malher et chacune, en l’acceptant parce que l’idéologie sociale dominante le voulait ainsi, a vécu dans l’ombre d’un homme.

5. Fanny Mendelssohn-Hensel (1805-1847)

"Sœur de Félix Mendelssohn"

"La musique sera peut-être (pour ton frère Félix) un métier, mais pour toi elle ne peut et ne doit être qu'un agrément"

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Fanny Mendelssohn-Hensel, soeur du compositeur Felix Mendelssohn ©AA

Fanny Mendelssohn, née au début du 19e siècle, appartient à une famille allemande d'origine juive, aisée et très cultivée. Le père, Abraham, est banquier et la mère musicienne. Fanny et son frère Félix reçoivent une excellente éducation tant générale que musicale. Une éducation en tout point comparable chez les deux enfants jusqu'à ce que, à l’adolescence, la différenciation des rôles devienne une nécessité sociale. Fanny a beau être une femme émancipée, une pianiste très douée et reconnue, la compositrice d'une œuvre importante de pièces pour piano, de lieder et de musique de chambre, elle est femme et son destin est celui d'une maîtresse de maison, d'une épouse et d'une mère. Son père et son frère ne se privent pas de le lui rappeler. Dans une lettre datée de 1820, son père lui écrit, alors qu'elle a 14 ans : « La musique sera peut-être (pour ton frère Félix) un métier, mais pour toi elle ne peut et ne doit être qu'un agrément ». Son mari, le peintre Wilhelm Hensel, aurait souhaité qu'elle publie ses créations, mais son frère s'y est opposé fermement, et c’est sous son nom à lui que certaines des compositions de Fanny paraîtront.

6. Clara Wieck-Schumann (1819-1896)

"Femme de Robert Schumann"

Même si leur histoire est différente, se pose pour Clara Wieck le même problème d’être femme et compositrice. Elle a un immense talent de pianiste virtuose et c’est une compositrice qui se trouve dans une situation particulière : elle met au monde huit enfants en l’espace de 13 ans et son mari, Robert Schumann, d’une santé psychique fragile, est un génie instable qui a besoin de silence pour composer. On peut donc comprendre que, dans ces conditions, celui-ci dise : « Clara sait bien qu’être mère est là sa principale mission ».

Clara Schumann femme Robert compositrice musique
Clara Wieck-Schumann

Mais, les choses vont plus loin. Il ne s’agit plus d’une question d’obligation matérielle qui pousse la femme à abandonner sa passion créative :

« Il fut un temps où je croyais posséder le talent de la création, mais je suis complètement revenue de cette idée, une femme ne doit pas prétendre composer - aucune n’a encore pu le faire et cela devrait être mon lot ? Ce serait une arrogance que seul mon père autrefois m’a donnée », écrit Clara Schumann, en 1839 dans son journal.

Ce qui revient à intérioriser une prétendue absence de talent liée à la condition féminine.

7. Alma Maria Schindler-Mahler (1879-1964)

"Femme de Gustav Malher"

"Tu n’as désormais qu’une profession : me rendre heureux…" Gustav Mahler

Le cas Schindler est encore différent. Alma Malher, peintre et compositrice de lieder dans sa jeunesse, se marie avec le très autoritaire Gustav Mahler de 20 ans son aîné, et se verra soumise à un « contrat » sévère quand le compositeur et chef d’orchestre lui écrit dans une lettre connue : « Tu n’as désormais qu’une profession : me rendre heureux… Tu dois te donner à moi sans conditions, tu dois soumettre ta vie future dans tous ses détails à mes besoins et ne rien désirer que mon amour. »

Il ne s’agit pas ici de discuter le talent d’une compositrice et des portraits qu’on a dressé de celle qu’on a appelé la « veuve des Quat’z arts » (mariée à un musicien puis à un peintre, puis à un architecte et enfin à un écrivain), mais de relever les propos significatifs d’un homme qui exprime une certaine conception de la femme, même s’ils versent dans l’excès.

Ces femmes compositrices qui font le buzz : Betsy Jolas et Élise Bertrand

La dominance masculine reste le fait de notre société de tradition patriarcale, mais les choses ont bougé depuis. Sautons un siècle et disons un mot de deux compositrices qui font l’actualité des médias intéressés par la musique : Betsy Jolas et Élise Bertrand. L’une a 96 ans et l’autre 20. La première vient de remporter la Victoire de la musique classique dans la catégorie « compositeurs » et l’autre se voit commander une œuvre par le festival de Pâques d’Aix-en-Provence 2021.

Betsy Jolas femme artiste
Betsy Jolas remporte les Victoire de la musique Classique 2021 dans la catégorie compositeur ! ©AA

8. Betsy Jolas aux Victoires de la musique classique 2021

Compositrice avant-gardiste

Élève de Darius Milhaud et d’Olivier Messiaen, professeur d'analyse et de composition au Conservatoire de Paris, l’artiste franco-américaine remporte la Victoire de la musique classique 2021 dans la catégorie compositeur, après avoir été distinguée à de multiples reprises : Grand prix de la SACEM en 1982, Personnalité de l’année en 1992, Prix du Président de la République 2012, sans compter les nombreuses récompenses reçues à l’étranger.

Née en 1926, Betsy Jolas a vécu en France jusqu’à la guerre en 1940, puis aux États-Unis, et est revenue à Paris en 1946. Ses parents sont américains. Sa mère, née Maria McDonald, dont la famille originaire d’Écosse s’était établi dans le Sud des États-Unis au 17e siècle, avait commencé par être chanteuse. Son père, Eugène Jolas, élevé en Lorraine allemande, était poète et journaliste, fondateur avec sa femme d’une revue littéraire avant-gardiste.

Avant-gardiste, elle ne l’était pas vraiment dans sa jeunesse. Elle se souvient d’avoir vu quand elle avait 11 ans le ballet « Le Train bleu » sur une musique de Darius Milhaud avec un rideau de scène de Pablo Picasso : « J’ai trouvé ça épouvantable, j’étais horrifiée. Je n’étais pas prête à la modernité ! »

Mais en même temps, il faut dire qu’elle avait étudié à l’école Montessori que sa mère avait créée et qu’elle avait été éduquée musicalement avec la méthode Dalcroze : Maria Montessori pour une éducation à la liberté et à l’autonomie dans une école nouvelle, et Jaques-Dalcroze pour une approche non traditionnelle par l’improvisation, le jeu, et le mouvement. Ce qui permet peut-être de comprendre qu’à plus de 95 ans elle continue à dire : « Je cherche toujours, je suis toujours en train d’essayer de faire des choses que je n’ai jamais faites. »

Dans une long interview donné en 2017 à France-Musique, Betsy Jolas commence par ces mots : « Je suis née le 5 août 1926 à Paris et je suis compositrice ». Et pourtant ce mot de « compositrice » n’a pas été facile à dire au début de sa carrière. « Comme beaucoup de femmes, je me disais que je ne pouvais pas être compositeur. » Quant à être compositrice … comment dire ? « Je ne voulais pas dire compositrice. « Compositeure » ? surtout pas. « Compositeur femme » ?, c’était grotesque, on va dire que Pierre Boulez est un compositeur homme ! ! … Il n’y a pas si longtemps que j’ai admis que j’étais compositeur femme ».

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Élise Bertrand

9. Élise Bertrand compositrice du 21ème siècle reconnue à l'âge de 20 ans

Élise Bertrand est jeune il est vrai mais aux âmes bien nées…

Élise Bertrand a fêté son 20e anniversaire il y a à peine six mois et le festival de Pâques 2021 d’Aix-en-Provence lui a déjà commandé une sonate pour violon et piano, présentée en création mondiale le 31 mars dernier.

Originaire de Toulon, la jeune compositrice commence le piano au conservatoire de la ville à 5 ans. Elle poursuit par l’étude du violon qu’elle approfondit au conservatoire régional de Paris. L’histoire de la musique savante ne manque pas d’enfants précoces. Mais cela concerne les exécutants dont on monte en épingle le premier concert public plus que les compositeurs dont l’activité exige un savoir plus long à acquérir. C’est pourtant à 11 ans qu’Élise écrit ses premières compositions en autodidacte. Elle raconte avec amusement et simplicité la manière dont elle a abordé cette pratique : en transformant une des inventions à trois voix de Bach parce que, dit-elle, « J’en avais assez de la jouer, vraiment je ne pouvais plus la voir ! » C’est donc l’improvisation qui lui a donné le goût de « travailler un matériau, de le construire, de le développer ».

Élève du compositeur Nicolas Bacri, certaines de ses œuvres font déjà partie de pièce de concours au Conservatoire… Un bon début ! Et en tout cas la preuve, s’il en était besoin, que la composition de musique de classique peut être l’affaire de jeunes musiciens.

17% de "compositeurs femmes" inscrites à la Sacem

Quelles que soient les avancées de la cause féminine, il reste que « les femmes sont moins nombreuses, moins aidées, moins payées, moins programmées, moins diffusées, moins récompensées, moins dirigeantes », constate la Sacem. Parmi les œuvres jouées en opéra, en France, seul 1 % des compositeurs programmés entre 2012 et 2017 sont des femmes compositrices, constate la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. En 2018, la Sacem compte parmi ses membres 17% de femmes compositrices et auteures. 97% des musiques que nous entendons dans nos institutions ont été composées par des hommes.

Certes des manifestations existent, comme par exemple le festival d’Ambronay de 2008 qui s’était livré à une exploration musicale à travers les œuvres de musiciennes ou le festival Présences Féminines, fondé par la claveciniste Claire Bodin en 2011 qui veut « faire connaître et aimer le répertoire des compositrices ». Mais, souligne Reine Prat, chargée de mission pour l’égalité femmes/hommes au ministère de la Culture :

« L’objectif est maintenant que ces œuvres trouvent leur place dans nos programmations en dehors de toute thématique spécifique. Il faut encore sans doute le préciser : les femmes ne sont pas un thème. »

En la matière, la parité ne se décrète pas. Mais si c’était le cas, il resterait encore un long chemin à parcourir : « Si les mœurs font les lois, les lois ne font pas les mœurs » écrit à juste raison George Sand dans sa Lettre à Charles Meure, le 31 octobre 1830.

Photo à la Une : Maddalena Casulana ©AA