Publié le 13/02/2020

Christian Rizzo, chorégraphe. Une rencontre …

Christian Rizzo Chorégraphe

Christian Rizzo est un artiste au mille et un talents… danseur, chorégraphe, scénographe, designer, styliste… également directeur artistique d’ICI – le Centre Chorégraphique National de Montpellier depuis le 1er janvier 2015. Christian Rizzo est à l’affiche de la 42ème édition des Hivernales, le festival avignonnais de danse contemporaine qui égaye de ses pas dansés les frimas du mois de février.

Il y présente sa dernière création « une maison » (création 2019), une pièce pour 14 danseurs, à l’Opéra « Confluence » Grand Avignon.
Samedi 15 février à 20 h 30

Les premiers pas dansés de Christian Rizzo

Projecteur TV - Sophie Bauret : Vous venez des Arts Plastiques, qu’est qui vous a amené vers l’art de la Danse ?
Christian Rizzo :  Je ne dirais pas que je suis venu des Arts Plastiques à la Danse… J’ai eu comme un double mouvement. En fait je pense que j’ai toujours dansé, oui quand j’étais petit, je dansais. J’ai envie de dire que je suis passé de la Danse aux Arts Plastiques, puis des Arts Plastiques à la Danse. Je suis passé en quelque sorte du dessin, de la peinture à l’installation, puis au fait de m’installer dans cette installation… Puis je me suis mis en mouvement dans cette installation ! C’est comme si j’étais passé d’un cadre en 2 dimensions à un cadre en 3 D, un cadre dans lequel je me suis inscrit… en mouvement.

« De l’enfance, je garde le souvenir de Claude François »

Projecteur TV - SB : Quels sont vos souvenirs d’enfance de danse, vos images dansées, celles qui vous ont marqué ?
Christian Rizzo :  De l’enfance, je garde le souvenir de Claude François ! Ensuite j’ai des souvenirs d’images de danse sorties d’un gros livre qui appartenait à ma cousine. Nous nous amusions tous les deux, souvent l’après-midi, à singer des comédies musicales américaines. A l’adolescence, c’était plutôt le clubbing… mais j’ai toujours été en mouvement.

Projecteur TV - SB : Vous devenez très vite l’interprète de jeunes chorégraphes, voire même de chorégraphes confirmés…
CR : J’ai commencé dès l’année 1989 avec le chorégraphe William Petit pour le Concours de Bagnolet. C’était ma première expérience scénique en tant que danseur. Mais la scène je la pratiquais depuis longtemps, je fréquentais les fêtes de village, je traînais toujours auprès des musiciens… J’ai même eu un groupe de rock. Et s’il n’y avait pas de plateau, je m’en inventais un ! J’ai ensuite dansé avec Marc Tompkins, Véra Mantero quand je me suis installé au Portugal… Il y a eu aussi Rachid Ouramdane, Hervé Robbe, George Appaix, Catherine Contour, Mathilde Monnier, Emmanuelle Huynh… les chorégraphes de ma génération, les chorégraphes de mon époque.

Projecteur TV - SB : Qu’est-ce qui vous a réellement mis en mouvement, qui vous a fait naître à la chorégraphie ?
CR : C’est sans doute le fait d’avoir vu une exposition de Claude Lévêque au début des années 90 au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris. L’expo s’appelait « L’hiver de l’amour » et j’ai été subjugué, submergé. De là je me suis interrogé. Quel corps avait fait cela ? Quels avaient été ses gestes ? De là j’ai voulu faire des installations en direct, publiquement. Des installations en mouvement, dans des galeries, dans des chambres d’hôtel… J’ai commencé à reproduire ces choses-là, à partir de l’espace, à partir du temps, le corps a commencé à s’inscrire… inscrire un corps, mon corps dansant !

« Un chemin à emprunter… »

Projecteur TV - SB : Vous venez vous inscrire dans la 42ème édition des Hivernales avec votre dernière création : « une maison ». On souligne tout de suite le titre, un titre de pièce qui ne comporte pas de capitale, est-ce un effet de style ?
CR  :  Je me suis permis cette coquetterie ! Il n’y a jamais de capitale chez moi ! Je n’aime pas du tout les majuscules. Je n’aime pas que graphiquement la première lettre soit érigée. Pourquoi, comment, de quel droit ? Dans une phrase, quelle qu’elle soit, je ne comprends pas cette majuscule qui entame le propos. Je préfère que graphiquement tout soit au même niveau. Oui, c’est déjà visuellement musical. Je n’aime pas les majuscules. C’est comme dans mes spectacles, je n’aime pas commencer par quelque chose de fort. Un mot, une phrase, un spectacle, c’est comme un chemin à emprunter, à découvrir…

Projecteur TV - SB : Comment est né ce projet ? Quel est la genèse de ce spectacle ? « une maison », telle une invitation toute simple, familière, qui interroge et rassure à la fois…
CR  : J’ai tout simplement décidé que je voulais faire une pièce qui s’appellerait « une maison » ! J’ai parfois des titres qui arrivent de nulle part. Je prononce un mot, une phrase, je dis quelque chose que je ne connais pas et tout le processus s’énonce de lui-même. C’est comme si en le disant à voix haute je me faisais une promesse à moi-même ! Parfois c’est un mot, parfois c’est une phrase qui vient taper à un moment donné de ma vie. « une maison » c’est… ce n’est pas la mienne, elle est indéfinie… C’est une chose mise à distance, une chose objectivée, une chose sans relation directe avec une histoire qui me serait propre. »

Projecteur TV - SB :
« une maison », c’est aussi une pièce que vous avez dessinée avec 14 danseurs. Peut-on dire que c’est le début d’un grand ensemble ?

CR  : Oui, après avoir souvent travaillé avec 7 danseurs, j’avais le désir d’avoir au plateau beaucoup de monde, beaucoup d’interprètes. Et de là je me suis posé de nombreuses questions. Par exemple, quel est l’espace pour accueillir ces 14 danseurs ? J’avais envie que les corps soient pris entre un espace organique et un espace technologique. D’où la présence physique de la terre, en tant que matière, et de ce ciel fait de Leds contrôlables.

« Il m’a fallu envisager la chorégraphie lumineuse de l’objet »

Projecteur TV - SB : Parlez-nous de ce ciel, de cet objet lumineux que vous avez souhaité, puisque vous êtes chorégraphe mais aussi scénographe et designer…
CR  : Un objet très long à construire ! Il m’a fallu envisager la chorégraphie lumineuse de l’objet en tout premier lieu, pour pouvoir ensuite commencer à travailler. Cet objet, c’est comme un fragment qui renseigne le tout. Je reviens peu à peu à mes premières amours, à l’histoire de l’art, quand on vous apprend qu’un détail renseigne la totalité d’un tableau et vice et versa.

Projecteur TV - SB :  Comment travaillez-vous ? Comment s’est révélé votre geste sur cette pièce ?
CR  : Je voulais un lieu à la fois peuplé et dépeuplé. Je voulais parler de temporalité, ce qu’est une seule et même temporalité dans un seul espace avec trois regards obliques… Ainsi la question de l’intime peut arriver. C’est un lieu où l’on rassemble sa mémoire pour imaginer le futur. Je ne travaille pas de façon conceptuelle, je pose des pistes. Je viens accueillir, j’observe le rapport à la matière, à la musicalité… J’ai envie, j’ai besoin de partager. C’est un travail d’atelier, un travail de laboratoire. On fait des hypothèses, elles s’inscrivent, se confirment ou pas, et petit à petit la pièce apparait, se révèle à moi… Et après je fignole pour pouvoir inscrire cette pièce, pour qu’elle soit définitivement hors de moi.

"Je travaille beaucoup sur la question de la contreforme »

Projecteur TV - SB : Un, deux, sept, quatorze interprètes sur le plateau, qu’est-ce que cela change à votre mouvement, à votre rapport à l’espace sur un plateau ?
CR  : Cela change tout, absolument tout. Déjà il faut que j’observe 14 corps, l’espace dans lequel ces quatorze corps se meuvent. Je travaille beaucoup sur la question de la contreforme. Je regarde la contreforme, le passage de l’espace environnant. Je suis toujours en train d’observer quelle forme on donne au vide, un vide qui est sculpté par les corps. Comment aussi ce regard se transforme en pensée, en désir. Il est plus simple de travailler sur un duo, car entre deux points, nous l’avons tous appris en géométrie, il n’y a qu’une ligne !

« La chorégraphie ne s’arrête pas à la danse. »

Projecteur TV - SB :  Si l’on résume, vous signez la chorégraphie, la scénographie, les objets lumineux… mais aussi les costumes ! Sans doute a-t-on oublié que vous étiez styliste dans une autre vie !
CR  : Si je travaille beaucoup le mouvement, je ne peux pas laisser quelqu’un d’autre que moi le couvrir d’un costume, mon mouvement doit se voir au travers du costume. En fait quand je crée, je pense à tout en même temps, tout doit s’inscrire dans le même temps. La chorégraphie ne s’arrête pas à la danse. Faire de la danse pour de la danse ne m’intéresse pas. La danse est une des matières chorégraphiques. Je suis comme un compositeur, quand il compose, il le fait pour plusieurs instruments. Au début d’une création je vois quelque chose, j’entends quelque chose, même si c’est flou… tout est déjà dedans. J’essaie de tout commencer en même temps, la danse, la scénographie, la lumière… le mouvement ne peut pas se référer qu’à un ou des corps, c’est la relation entre voir, entendre, sentir… si je n’observe que le corps, alors ce n’est que de la danse, or la danse est un moyen parmi d’autres dans l’état créatif, dans le processus chorégraphique.