Publié le 19/04/2021

Rencontre intemporelle : “Faisons un rêve” en compagnie de “La Fiancée de Paris” initiales “DD” !

Danielle Darrieux, le charme et l’élégance personnifiés, s’est éteinte le mardi 17 octobre 2017 à l’âge de 100 ans… « Faisons un rêve » encore quelques instants avec celle qui avec Robert Lamoureux, en 1956, formait le couple de théâtre de la plus célèbre pièce de Sacha Guitry… Retrouvons celle qui fut au cinéma pour Max Ophuls, en 1953, « Madame de », en 1954, la partenaire de Gérard Philippe dans « Le Rouge et le Noir ». Plus proche de nous : celle qui a dansé, chanté pour Jacques Demy dans « Les demoiselles de Rochefort ». La frêle jeune fille de 14 ans qui se présentait pour des essais aux studios d’Épinay, était à 100 ans une « jolie vieille Dame », à l’image de celle qu’elle a incarnée au théâtre dans « Harold et Maud ». 100 ans, 100 films, et dans la vie de grandes passions amoureuses…

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Rencontre intemporelle avec l'actrice Danielle Darrieux : 100 ans, cent films ... Un entretien exclusif de notre journaliste réalisé en 1982 au Théâtre Princesse Grace de Monaco. Voyage autour d'une longue carrière de cinéma et de théâtre.

Danielle Darrieux, 17 ans : premier amour, première passion, premier film

Le réalisateur Henri Decoin lui offre son premier rôle dans « Premier Rendez-vous » (1941). La même année Porfirio Rubirosa, ambassadeur de la République dominicaine, séducteur sulfureux entre par effraction dans sa vie. Mariage en 1942. Divorce en 1947. En 1948, nouvel amour, un amour de femme, pour Georges Mitsinkidès, avec qui elle restera mariée jusqu’à sa mort en 1991. Les années ont passé, au grand écran et au théâtre, elle incarnera l’élégante et jolie grand-mère qu’on aimerait tous avoir… En 1994, la séduisante « grand-mère » rencontre son dernier amour, Jacques Jenvrin, musicien, un jeune homme de 80 ans : il sera auprès d’elle jusqu'à son envol… « La Fiancée de Paris » comme on l’avait baptisée dans sa tendre jeunesse ne quittera la scène qu’à 94 ans, et la vie qu’elle aimait tant et qui l’a tant aimée à 100 ans !

Ensemble, « Faisons un rêve » : Ce rêve je l’ai vécu, émue, tremblante, face à Danièle Darrieux dans sa loge du Théâtre Princesse Grace

Rencontre avec l'actrice au Théâtre Princesse Grace de Monaco

Viviane Le Ray - ProjecteurTV : Danielle Darrieux, vous avez très vite fait l’unanimité dans le cœur des Français… Le sentiez-vous dans les yeux de vos admirateurs ? Et cela dure toujours !

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Danielle Darrieux dans sa loge du Théâtre Princesse Grace © VLR

Danielle Darrieux : Au début je ne prenais pas mon succès au sérieux, je vous avouerai que je trouvais cela plutôt énervant. Autre aveu : je n’étais pas vraiment aimable avec mes admirateurs… J’ai fait du cinéma par hasard, je me destinais au violoncelle… Lorsque tout s’est joué je n’avais pas 14 ans ! Quand je suis en tournée je suis plus en contact avec le public et je vois de près un sentiment qui semble proche de l’affection, qui me suit de la part des gens de mon âge avec fidélité. Je sens toujours cet amour dont vous parlez. Tout cela est bouleversant.

Viviane Le Ray : On vous a « classée » à vos débuts « Romantique », « Fleur bleue » mais aussi « starlette », ce qui aurait pu être une étiquette difficile à décoller ! Vous l’avez fait…

Danielle Darrieux : « Le Bal », « Premier Rendez-vous », « Mayerling », je leur dois la célébrité certes, mais « Le Rouge et le noir », « L’Amant de Lady Chatterley » par rapport à « Premier Rendez-vous » c’était tout de même autre chose ! C’est en fait l’évolution normale d’une carrière de comédienne. On ne peut pas rester éternellement une jeune première romantique, je suis c’est vrai sentimentale, mais ne faut-il pas être sentimentale dans la vie ? « Starlette » : Sûrement pas ! Je ne trouvais pas amusant du tout les à-côtés du métier. Les photographes qui me poursuivaient me rendaient extrêmement nerveuse…

Viviane Le Ray : Dans le cinéma de cette fin de XXème siècle où nous parlons, quelle actrice voyez-vous proche de votre style. Quelle jeune première vous ressemble…

Danielle Darrieux : Il y a Catherine Deneuve, toujours très belle, mystérieuse, intelligente, plus proche dans le temps je vois Isabelle Adjani. C’est fou ce qu’elle a du talent, elle est bouleversante et puis elle a autour d’elle l’aura de la star, ce quelque chose en plus qui ne s’explique pas…

Viviane Le Ray : J’ai le sentiment que le rêve au cinéma s’estompe... Que me dites-vous ?

Danielle Darrieux : Je vais très peu au cinéma justement parce que le rêve s’estompe, lorsque j’y vais c’est pour sortir de la vie quotidienne, alors aller voir des films qui vous parlent du « quotidien » aussi bien réalisés qu’ils soient ils ne m’apportent rien, hormis l’ennui ! J’aime être entraînée dans des aventures, courir dans de grands espaces ou même entrer dans le futur. Je suis allée voir « E.T. » et j’ai rêvé. Des amis m’ont poussée à y aller, je n’y serais pas allée de mon fait à cause du battage publicitaire autour de ce que je considérais comme un monstre… J’ai rencontré la poésie dans cette histoire. C’est une histoire d’enfants, seuls les enfants voient ce qui est joli sans s’arrêter aux apparences ! Devant un être laid, nous les adultes, nous avons peur !

Viviane Le Ray : Vous avez fait beaucoup de théâtre. Cinéma, théâtre, l’un des deux est-il « un art mineur » à vos yeux ?

Danielle Darrieux : A mes yeux absolument pas. Les choses bien faites sont toujours bonnes. Le théâtre est plus fatigant parce qu’on est « emprisonné ». On reçoit, il faut donner, c’est un choc difficile, dur, à vivre chaque soir une réaction directe, immédiate bonne ou mauvaise, nous sanctionne sans appel… Le cinéma est plus abstrait.

Viviane Le Ray : De nos jours il est de bon ton de brocarder le théâtre de « Boulevard », d’aucuns qui se veulent des intellectuels prononcent le mot avec un certain mépris pour ne pas dire un mépris certain !

Danielle Darrieux : Je ne suis pas d’accord avec le théâtre dit « culturel » d’aujourd’hui. Un jour un type m’a dit « Vous n’auriez pas envie de jouer une pièce sans décors, de faire des choses un peu plus intellectuelles, culturelles ? » Je lui ai répondu ceci : « Le théâtre culturel dont vous me parlez devrait essayer de faire des pièces sans acteurs ! » Je défendrai toujours le théâtre « de Boulevard », parce qu’il détend le spectateur, qu’il est souvent plein d’esprit, je dirai même intelligent. Aujourd’hui un certain public, qui tend à croître, va au théâtre ou au cinéma pour se poser des problèmes qu’il a déjà dans sa vie … On lui impose des « messages », moi je souhaite que les gens soient heureux durant deux heures au moins. C’est tout !

Viviane Le Ray : Au cours de votre carrière « longue et tranquille » vous n’avez jamais éprouvé le besoin de défendre une cause politique, humanitaire du style « Bébés phoques en péril » ?

Danielle Darrieux : Je pense que faire de la politique n’est pas le propos d’un acteur. L’acteur a une lourde responsabilité en tant qu’homme public par ses choix artistiques. Il risque d’être « récupéré », « calomnié » aussi. Quant aux bébés phoques, mon Dieu… Vous savez les petits enfants qui meurent de faim, même si l’on en fait pas des manteaux, ça crève aussi le cœur lorsqu’on y pense vraiment…

Photo à la Une : Danielle Darrieux dans sa loge du Théâtre Princesse Grace © VLR