Publié le 21/03/2022

Richard Berry sublime les ‘Plaidoiries’ – Un travail pour la mémoire

Que ce soit au Théâtre international Toursky où il s’est produit en fin janvier 2022, ou partout en France, saisissant de justesse dans sa robe d’avocat, remarquable, sans effets de manche, ni emphase, ni discours grandiloquents, Richard Berry triomphe avec ‘Plaidoiries’, une pièce de Matthieu Aron, mis en scène par Eric Théobald. Rencontre avec l’acteur, réalisateur et scénariste.

Interview Richard Berry-Plaidoiries 2022

Vu au Théâtre Toursky, le 22 janvier dernier, Plaidoiries avec Richard Berry, lors de sa tournée 2022. Mise en scène : Eric Théobald, d’après Les grandes plaidoiries des ténors du barreau de Matthieu Aron

Plaidoiries : un acteur, cinq plaidoiries, cinq moments de vérité

Cinq plaidoiries, cinq faits de société qui ont marqué l’histoire judiciaire de ces quarante dernières années. Cinq moments de vérité qui secouent les spectateurs et les forcent à réfléchir. La salle est subjuguée. « Chaque moment de ces plaidoiries est un moment qui participe des mœurs et de l’évolution de la société, un acte citoyen » nous confie l’acteur, totalement investit dans cet exercice et dans ‘ses’ personnages.

Rencontre avec Richard Berry après son spectacle au Théâtre Toursky

Danielle Dufour Verna/Projecteur TV –Bonjour Richard Berry. Merci de m’accorder cette interview. Vous avez sublimement interprété ‘Plaidoiries’ au Théâtre Toursky devant une salle comble. Cinq plaidoiries, cinq moments de vérité, comment est né ce spectacle ?

« Les avocats et les plaidoiries, pas toutes mais certaines, peuvent faire évoluer, non seulement les mentalités, mais aussi parfois les lois. »

Richard Berry – C’est parti du livre qui a été édité, concocté, préparé, par Matthieu Aron, un chroniqueur judiciaire du Nouvel Obs qui a réuni au cours de ses différentes années de travail comme chroniqueur, environ vingt-cinq plaidoiries. Ce livre est tombé entre les mains d’un ami à moi, un metteur en scène et tout à coup, l’idée d’adapter, en tous les cas d’en faire un spectacle, est venue. Cela correspondait particulièrement, depuis de longues années, à l’envie de faire des plaidoiries ; les plaidoiries, comme vous le savez, ne sont jamais enregistrées, jamais filmées, c’est interdit. En plus, j’avais un fantasme d’avocat comme ça, depuis longtemps, de justice. L’idée de pouvoir faire des plaidoiries sur scène, de donner aux gens la possibilité d’entendre ces plaidoiries, me semblait important dans la mesure où elles montrent à quel point la justice, à travers les avocats et les plaidoiries, pas toutes mais certaines, peuvent faire évoluer, non seulement les mentalités, mais aussi parfois les lois. C’est un acte citoyen, si vous voulez.

DDV – Pensez-vous que l’art de la rhétorique puisse faire pencher la balance de la justice ?

Richard Berry – Ce n’est pas l’art de la rhétorique particulièrement. Ce n’est pas sur la forme, c’est sur le fond. C’est ce que ça dit. C’est ce que ça remet en question dans les idées reçues, les idées préconçues. Je pense que mettre le public dans la position, à la place d’un juré, c’est quand-même un acte fort qui permet aux spectateurs de se rendre compte que ce n’est pas aussi simple que ça de recevoir ou de vivre à travers les faits tels qu’on peut les entendre. Bien sûr la rhétorique est importante, mais c’est sur le fond.

DDV –Parmi les cinq plaidoiries, en est-il une qui vous touche plus que les autres ?

« Il y a une plaidoirie historique sur l’affaire Papon. Elle met en perspective la façon dont un crime contre l’humanité est aussi un crime de la bureaucratie. »

Affiche spectacle Richard Beryy plaidoiries Tournee 2022

Richard Berry – Elles me touchent toutes énormément puisque je les ai choisies. Disons qu’il y en a une ou deux, oh non, je les aime toutes. Particulièrement celle de Gisèle Halimi, bien sûr, sur l’avortement. Elle a pris un cas particulier comme un tas d’autres qu’elle avait eues à plaider depuis de longues années, mais qu’elle a décidé d’en faire un cas national. A travers cela, elle a réussi à faire changer la loi. Il y a aussi la plaidoirie d’Henri Leclerc dans l’affaire Courjault. Là on passe vraiment à l’horreur absolue. Si on regarde cela rapidement, on dit quel monstre, cette femme ! Et puis tout à coup, quand on s’approche un tout petit peu plus près, on se rend compte qu’elle est malade, et que le déni de grossesse, c’est quand-même quelque chose qui était très loin des pensées des gens à ce moment-là et que cette femme qu’on avait envie de condamner tout à coup, on a envie de la comprendre, de la juger avec un peu plus de discernement, de circonstances atténuantes. Cela, ce sont des plaidoiries qui me touchent parce qu’elles ont fait évoluer considérablement les mentalités.
Ensuite, il y a une plaidoirie historique sur l’affaire Papon. Elle met en perspective la façon dont un crime contre l’humanité est aussi un crime de la bureaucratie, un crime administratif, comme bien souvent. On le voit bien aujourd’hui avec la guerre en Ukraine. Ce sont des crimes décidés, comme ça, par un seul homme et puis, tout d’un coup, tout un système se met en marche et va exterminer des milliers de personnes. Ça, c’est extrêmement intéressant de remémorer aux spectateurs ce principe, ce système. Ça m’intéresse beaucoup. Enfin, je les aime toutes. La plaidoirie de Mignard dans l’affaire de ces deux gamins qui ont été électrocutés parce que la police a préféré les interpeller plutôt que de les prévenir du danger qu’il y avait à s’approcher de cette centrale électrique. C’est plein d’évènements, comme cela, qui me semblent importants. Ne parlons pas aussi de la plaidoirie de Lombard pour l’affaire Ranucci qui a contribué, même s’il n’a pas réussi à sauver sa tête mais qui a contribué au fait de l’abolition de la peine de mort. Chaque moment de ces plaidoiries est un moment qui participe des mœurs et de l’évolution de la société.

DDV – En parlant de Papon et de la bureaucratie, une question me vient. Si on vous demandait de plaider contre la guerre, le feriez-vous en invectivant l’idée de guerre ou en défendant l’assertion philosophique du mot paix ?

Richard Berry – Je pense que ça revient un peu au même. L’un entraine l’autre. Remettre en question la guerre c’est aborder, quand-même, la question de la paix.

DDV – On peut dire la paix comme incantation, la paix comme ataraxie, la paix comme relations personnelles et respect de l’autre…

« La soumission à la bureaucratie me fait très peur. »

Richard Berry – Oui, c’est un peu comme la pluie ça mouille. La paix c’est mieux, c’est sûr. Je pense que, en arriver à la guerre et à ces crimes de guerre qui sont commis, moi je remettrais en question la guerre, oui, la notion de guerre. La guerre est quelque chose qui n’est pas concevable, pas acceptable. Il n’y a pas de raison d’arriver à cet état de guerre. C’est un crime qui est lié à la folie d’un homme…

DDV – Et à la bureaucratie ?

Richard Berry – Oui, voilà. Relayée, par des états, des gouvernements, qui ne remettent pas en question cet homme, qui exécutent. Ce sont des choses qui me font très peur, cette soumission à la bureaucratie.

DDV – Qu’est-ce-qui se prêtent le mieux à l’exercice de ces ‘Plaidoiries’, l’intimité des petites salles ou les salles plus grandes ?

« Dans les grandes salles, il y a une dimension tragique. »

Richard Berry – A force d’avoir joué ce spectacle un peu partout, il y a une dimension tragique, dramatique, plus forte, liée aux grandes salles, je dirais même les très grandes salles. Je l’ai joué par exemple à Roubaix dans une salle de 1700 places, je l’ai joué aussi à Marseille en extérieur dans un théâtre antique de 2000 places, je me suis rendu compte que ça dramatise un peu plus la notion de plaidoirie. Il y a quelque chose qui est d’un ordre plus, comment dire…

DDV –De l’ordre de l’Agora ?

Richard Berry – Oui exactement, c’est cela, voilà ! Et donc je suis porté par cela. J’ai l’impression que le public aussi le ressent. C’est vrai, je l’ai joué aussi dans des toutes petites salles quand j’étais à Los Angeles, à San Francisco, des petites salles de 300 places. C’est sûr que c’est bien cette intimité-là, le public ressent les choses, mais ça enlève une dimension tragique.

DDV – Est-ce que l’écoute et la réponse du public diffèrent également selon les villes ou les régions où vous allez ?

« Les spectateurs sont acteurs de la plaidoirie »

Richard Berry - Oh, non, non. Franchement, c’est à peu-près toujours la même chose, toujours les mêmes réactions. Les gens se sentent concernés à un moment donné parce qu’ils sont mis à la place à laquelle ils ne sont pas habitués, à la place du juré. Et tout d’un coup, ils jugent en leur âme et conscience. Tout d’un coup, ils réfléchissent. Je pense que ça rend les spectateurs, acteurs de la plaidoirie, du spectacle et qu’à la fin ils ressortent et ne sont plus les mêmes. Je ne sais pas si cela vous est arrivé, mais il m’est arrivé d’assister, moi, à des procès, et donc à de vraies plaidoiries, de l’accusation, de la défense, etc. des parties civiles, effectivement, on est chamboulé, on est remis en question, on réfléchit énormément. Là, je pense que pendant une heure et demie, le spectateur ressent cette émotion et ces réflexions qui vont le traverser. On entend bien d’ailleurs, à la fin du spectacle, ou même à la fin de chaque plaidoirie, les échanges entre eux quand ils voient les verdicts qui ont été prononcés. Ils sont d’accord, pas d’accord, c’est intéressant.

DDV – Acteur, réalisateur, scénariste, qu’est-ce qui vous épanouit le plus, les planches ou le cinéma ?

Richard Berry - Vous savez c’est un peu l’un contre l’autre. Quand on a fait beaucoup l’un, on a envie de faire l’autre. Quand j’ai fait beaucoup de théâtre, j’ai envie de faire du cinéma et quand j’ai fait beaucoup de cinéma, j’ai envie de revenir au théâtre. Mais je dois dire que j’ai une grande émotion et un grand plaisir au contact avec le public, en direct. Franchement, c’est quelque chose qui me touche beaucoup, qui m’intéresse énormément.

DDV – D’autres projets ?

Richard Berry – Une pièce que je vais jouer en janvier 2023, une pièce de Sébastien Thierry qui s’appelle ‘Shek up’, une comédie, et je suis en train de travailler sur l’adaptation d’une série israélienne.

DDV –Vous aimez beaucoup les comédies.

Richard Berry – Oui, j’aime beaucoup, j’en ai fait pas mal d’ailleurs.

DDV – Une dernière question. Quelle est votre conception du bonheur ?

« Le bonheur, c’est la liberté de faire, de penser, de vivre comme on avait rêvé de vivre quand on était enfant. »

Richard Berry – C’est la liberté, la liberté de faire, de penser, de vivre comme on avait rêvé de vivre quand on était enfant.

DDV –Vous avez été un enfant heureux ?

Richard Berry – C’était un mélange, heureux et malheureux. Heureux parce que j’ai eu une famille merveilleuse et malheureux parce que les conditions n’étaient pas toujours idéales, faciles.

DDV –Et cela vous a aidé d’être cet enfant-là?

Richard Berry – Cela m’a aidé à me battre et à tenter d’aller vers quelque chose qui se rapproche, en tous les cas, d’un rêve de liberté, de légèreté, par rapport aux épreuves que j’ai pu vivre quand j’étais enfant. La liberté, c’est important, la liberté, oui.

© Photo à la Une : Céline Nieszawer