Publié le 09/02/2021

Nicolas Pagnol : un nom, un héritage, un trésor en Patrimoine

Pagnol ! Un nom et c’est toute la Provence qui s’éveille. Son univers, ses mots, ses films font partie de notre patrimoine. Nicolas Pagnol est le petit-fils de Marcel Pagnol et de Jacqueline Bouvier, épouse et muse de l’écrivain, belle Manon des Sources avant la délicieuse Emmanuelle Béart. Depuis 2004, il gère l’œuvre de son grand-père et en assure la promotion pour les futures générations. Des bijoux d’invention tout en restant fidèle à Pagnol, c’est la gageure qu’il s’est fixé et qu’il réussit magistralement. Paul, le petit frère de Marcel, « Le dernier berger de Virgile » au milieu des collines d’Allauch, c’est cela aussi, notre patrimoine.

nicolas pagnol descendant de marcel pagnol Jacqueline Bouvier -heritage patrimoine litterature provence

Lors d'une rencontre avec Nicolas Pagnol, président du Château de la Buzine et descendant de Marcel Pagnol, tout rejaillit, tout éclabousse de cette joie ineffable ! C’est cela que procurent les livres de Marcel Pagnol. Dans les dernières pages du "Château de ma mère" (1958) où l’écrivain confie ses souvenirs d’enfance, il écrit :

« Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants. » Marcel Pagnol

portrait marcel pagnol avant 1946
Marcel Pagnol

L’œuvre de Marcel Pagnol est unique, immense, éclatante, admirable. Elle fait partie de notre patrimoine. Cet homme humaniste, libre, visionnaire, est, plus que jamais, moderne. Il faut voir ses films, le lire, rêver avec lui, grandir avec lui, encore et encore. Et cela, il faut le dire aux enfants.

Quand, à la demande de ProjecteurTV et sur recommandation de François David (*), notre ami commun, je prends rendez-vous téléphoniquement pour une interview avec Nicolas Pagnol, petit-fils de Marcel Pagnol, mon cœur bat la chamade. C’est toute ma jeunesse qui refait surface, en ricochet. Pagnol, les collines d’Allauch, de la treille, le Garlaban la Bastide Neuve, Lili, le petit Paul, le dernier des chevriers, "Le Château de ma mère", Augustine, si douce, si fragile, le gardien et son chien qui lui faisaient si peur, les odeurs de genêt, de thym sauvage, les griffures aux genoux et les moments délicieux où, assise sous "mon" prunier, je lisais avec extase mon auteur préféré. Tout rejaillit : le croquant, le goût et l’odeur des petits pois crus grappillés pendant la cueillette, jusqu’au goût sucré et délicat des mirabelles jaunes et rouges, dorées, charnues, que je dégustais en lisant, la fragrance des œillets d’inde plantés le long de l’allée, l’effluve de nos lilas blancs et mauves, la danse des grandes marguerites se dandinant sous le léger vent d’un jour d’été, le frissonnement de l’eau du canal qui coule devant mon jardin, le bonheur de tourner les pages, délicatement, avec le regret de devoir bientôt laisser ma lecture, mon voyage, ces moments de Marcel qui deviennent les miens, la voix de maman qui m’appelle, qui m’appelle…

Nicolas Pagnol sublime Marcel

Fantaisie et Liberté en héritage

Nicolas Pagnol
Nicolas Pagnol

Né en 1973, Nicolas Pagnol est le petit-fils de l’écrivain Marcel Pagnol et de Jacqueline Bouvier et le fils de Frédéric Pagnol. Assistant réalisateur de formation, Nicolas Pagnol gère depuis 2004 l’œuvre de son grand-père et en assure la promotion pour les prochaines générations. Président du Château de la Buzine, ou le Chateau de ma mère, Nicolas Pagnol transmet l’œuvre de son grand-père aux générations futures avec intelligence, acuité, générosité, fantaisie, amour du terroir, les yeux tournés vers l’avenir, l’esprit libre et au cœur une tendresse qu’on devine. Lors de notre entretien téléphonique, j’entends, en arrière-plan, très atténué et parfois seulement, un bébé qui gazouille et rit. C’est la fille de Nicolas Pagnol. Elle a 7 mois et me dit-il, « C’est mon rayon de soleil » avec cet accent bien de chez nous qui rappelle celui de Marcel. Nicolas Pagnol tient entier dans cette phrase.

Danielle Dufour-Verna – Projecteur TV : Bonjour Nicolas Pagnol. Voulez-vous vous présenter et parler un peu de vous ?

Jean de Florette ouvre une boîte d'allumettes, montre à Ugolin les graines de courge et lui dit : "tu vois ça, c'est de l'authentique". Ugolin s'en va dire au Papet que le Jean de Florette, il va planter de Lothantique de partout. Le Papet lui répond alors de ne pas s'en faire car c'est une plante qui ne pousse que dans les livres."

marcel pagnol un auteur a la camera

Nicolas Pagnol : Je suis arrivé à Paris à 25 ans, après avoir fait mes études à Nice et avoir grandi entre Colmar et Nice, et là je me suis vraiment rapproché de ma grand-mère Jacqueline qui m’a présenté Alain Poiret de chez Gaumont. Il m’a donné ma chance sur un premier film, ne me promettant rien bien sûr, car, dans ce milieu-là, si on est mauvais à tout et qu’on est bon à rien, on ne fait pas long feu. Il s’est trouvé que je ne m’en suis pas mal sorti sur ce premier film. J’ai donc continué à faire de la réalisation pendant 7, 8 ans. Ensuite, ma grand-mère m’a demandé de reprendre les affaires de la famille. La personne qui s’en occupait partait à la retraite et j’ai commencé à sortir les films de mon grand-père en DVD. C’était en 2003. Bon an mal an, je suis devenu président de la société familiale. J’ai en charge tout le catalogue théâtral, littéraire, cinématographique de mon grand-père. Donc, ça va de la gestion des droits pour le théâtre à la littérature, le cinéma, la restauration et la distribution des films, les festivals, l’édition DVD, puis réfléchir à des produits dérivés comme les bandes dessinées. Je vais faire également du vin. Ça s’appellera "La Bastide Pagnol". Marcel ne rechignait pas à boire un bon vin de temps en temps, mon père non plus, moi non plus.

Danielle Dufour-Verna : Vous avez un vignoble ?

Nicolas Pagnol : Pas du tout. On travaille avec quelqu’un qui a des vignobles, qui fait du vin, au Luc, dans le Var. C’est du Côtes de Provence en appellation d’origine contrôlée, AOC ou AOP.

Danielle Dufour-Verna : Il sera à la vente à quel moment ? En bio ?

Nicolas Pagnol : Il sera à la vente à partir du mois d’avril. On fait du blanc, du rouge, du rosé. Dans un premier temps, je veux que ce soit du bio, on verra si c’est faisable. Mon souhait est que ce soit du bio et il y a 90% de chances que ça en soit. Je fais de la BD. On a fait aussi du parfum chez Lothantique, comme dans "Manon des sources" et "Jean de Florette". Ils sont parfumeurs depuis début 1900 dans les Alpes de Haute-Provence.

Danielle Dufour-Verna : Avec quelles fragrances ?

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Nicolas Pagnol : Avec "Manon des Sources", "Fanny", "Marius", "Jean de Florette", on a plusieurs fragrances. Et là on devait sortir "Augustine" mais avec tout ce qui se passe c’est très compliqué. Avec "Augustine" on est plutôt sur des notes de rose, quelque chose de très fleuri, très 19ème, voyez, un chapeau du 19ème siècle.

Danielle Dufour-Verna : Où peut-on se les procurer ?

Nicolas Pagnol : Sur internet, sur le site Lothantique ou sur mon site internet marcel-pagnol.com et ils sont aussi distribués dans des boutiques. Nous avons aussi la Maison Marcel Pagnol en dessous de la gare qui est un hôtel appartement avec services pour les touristes.

Danielle Dufour-Verna : Décorée dans quel style ?

Nicolas Pagnol : Il y a des photos personnelles, des affiches de film, des citations écrites au mur, tout le catalogue des films de Marcel, disponible sur les télés de l’hôtel. C’est comme si vous rentriez dans un appartement. La décoration est assez moderne tout-de-même mais tous les objets de décoration ont un rapport avec l’œuvre de Marcel Pagnol et sa vie.

Danielle Dufour-Verna : La Buzine, le fameux Château de ma mère, dirigée par Valérie Fédèle, avait fait un hommage à Marcel Pagnol avec une magnifique exposition et notamment une salle de classe comme il en a connue. Vous qui faites partie des jeunes générations, quel effet ressentez-vous à vous asseoir sur ces bancs de bois ?

Nicolas Pagnol : Je suis président du Château de la Buzine, donc j’étais bien au courant. C’est aussi un hommage à l’école de la 3ème République. En revanche nous préparons pour début 2022, au Château de la Buzine, une grande exposition sur Marcel Pagnol, à l’occasion de la sortie du film de Christophe Barratier qu’il vient de réaliser : "Le Temps des Secrets".

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Danielle Dufour-Verna : Votre emploi du temps est chargé…

« Je reste un Provençal, je suis un vrai "feignant" »

Nicolas Pagnol : J’essaie quand même de me ménager un maximum de loisirs et de repos. Je reste un Provençal, je suis un vrai "feignant". J’aime travailler, mais j’essaie de le faire le mieux, le plus rapidement possible pour en être débarrassé, ne pas avoir à y revenir.

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Jacqueline Bouvier © Henri Moiroud

Danielle Dufour-Verna : Cet héritage familial qui fait vous effacer derrière ces monstres de légende que sont Marcel Pagnol et, à moindre titre mais quand même, Jacqueline Bouvier, est-il un peu lourd à porter ?

Nicolas Pagnol : Oh ! Non, pas du tout, pas du tout ! Je n’ai pas de velléité de monter sur les planches. J’aime beaucoup ce que je fais ; je mène plusieurs projets de front. J’ai aussi un projet de musée dans la ville d’Allauch avec le maire Lionel de Cala, un très gros projet, normalement dans l’ancienne usine électrique à l’entrée d’Allauch. Je n’ai pas l’impression de m’effacer. J’ai une vie sociale trépidante. Je n’ai aucune frustration à ce niveau-là.

Danielle Dufour-Verna : Que vous ont-ils légué que vous voudriez transmettre à vos enfants ?

Nicolas Pagnol : La liberté de penser, la liberté. Avoir un vrai libre-arbitre et puis surtout ne pas juger les gens sur leur classe sociale ou leur apparence, un humanisme. Je ne sais pas si je suis humaniste. Je suis très misanthrope en fait, ce qui ne veut pas dire que je n’aime pas les gens. Oui, surtout, la liberté, l’indépendance d’esprit.

Danielle Dufour-Verna : J’ai un souvenir de la chasse aux bartavelles. Vous aimez la chasse ?

Nicolas Pagnol : J’aime la chasse ; j’aime les bons plats, les bonnes bouteilles. J’aime la vie, mais une vie simple. Je ne suis absolument pas consumériste. J’aime la nature, c’est évident. Je me sens bien dans la nature. Je ne suis pas très à la mode en ce moment, j’aime la tauromachie. J’aime les traditions. Je ne dis pas "c’était mieux avant etc." il y a de très bonnes choses aujourd’hui aussi mais j’aime le terroir.

Danielle Dufour-Verna : Votre grand-père est mort en 74, vous êtes né en 73. Qui l’a rendu vivant à vos yeux, votre grand-mère ?

Nicolas Pagnol : C’est deux choses : ma grand-mère bien sûr car elle n’arrêtait pas de m’en parler. Elle répondait à mes questions plutôt, ce n’est pas pareil. Elle me racontait des anecdotes, des trucs à mourir de rire…

Danielle Dufour-Verna : Une anecdote peut-être ?

« C’est là que je me suis aperçu que "La gloire de mon père", c’était réellement l’histoire de ma famille et que je m’inscrivais, sans le vouloir, dans la suite de cette histoire, et mes enfants aussi. »

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Nicolas Pagnol : Ah, non ! C’est des choses qu’on ne peut pas raconter (il rit). Ce sont des choses assez triviales. Et mes enfants. Un jour, je les ai amenés à la Bastide Neuve. Il y avait longtemps que je n’y avais pas été. J’amène mon fils ainé qui devait avoir deux ans et demi. Et mon petit gars, tête blonde, part dans l’oliveraie qui est derrière la Bastide Neuve dont Marcel parle dans "La Gloire de mon Père" là où il allait "foutre le feu au cul des cigales et pisser dans les fourmilières". En fait, je le vois partir et je vois mon grand-père. Et je me dis : cet endroit, tout ce qu’il raconte, c’est l’histoire de ma famille et là on est sur ses pas, sur les traces de sa jeunesse, de sa vie, mais aussi de son œuvre. Que ce soit la Bastide neuve, le Garlaban, le vallon de Passe-temps, la ferme d’Angèle, font partie aussi bien de sa vie que de son œuvre. C’est là que je me suis aperçu que "La gloire de mon père", c’était réellement l’histoire de ma famille et que je m’inscrivais, sans le vouloir, dans la suite de cette histoire, et mes enfants aussi. C’est ce lieu. On va d’ailleurs remettre l’oliveraie de la Bastide Neuve en état avec mon ami Nicolas Dromard et l’association Patrimoine Culturel Provençal qui est une association qui essaie de préserver les espaces agricoles traditionnels et les plantes, les essences traditionnelles. Il y a au moins un siècle que l’oliveraie n’a pas été entretenue. Ce qui m’a rendu Marcel vivant, c’est d’abord ma grand-mère, sa correspondance, parce que j’ai retrouvé toute la correspondance de mon grand-père dans le grenier de ma grand-mère et là on le voit vraiment vivre - j’ai sorti deux bouquins chez Robert Laffont avec sa correspondance. Et la Bastide et mes enfants.

Danielle Dufour-Verna : Marcel Pagnol parlait du passé avec tendresse, mais c’était, à mon avis, un formidable visionnaire. Qu’en pensez-vous ?

Nicolas Pagnol : Oui, tout-à-fait. Pour être visionnaire, il faut bien connaître son passé, savoir où on va, savoir d’où on vient. Oui, c’est un visionnaire que ce soit au niveau du cinéma, du théâtre, de l’édition.

Danielle Dufour-Verna : Précurseur du néo-réalisme…

marcel et jacqueline pagnol portrait noir et blanc

Nicolas Pagnol : Oui bien sûr. J’ai trouvé quelques essais où il explique exactement où nous en sommes aujourd’hui. Je ne les ai jamais publiés car je pense qu’il aurait été maladroit de donner un ton politique à mon grand-père alors qu’il a toujours refusé d’en prendre un. Oui, il était visionnaire. Et notamment visionnaire dans la découverte de talents comme Raimu, Fernandel, ou Henri Poupon.

Danielle Dufour-Verna : Vous avez décidé de produire ses œuvres en BD. J’imagine qu’il aurait aimé. Avez-vous eu peur de le trahir, dans la facture, les dessins ?

Nicolas Pagnol : Non, je n’ai pas eu peur de trahir parce que je me suis très bien entouré, notamment de Serge Scotto et Eric Stoffel que vous connaissez. Je savais que je n’allais pas le trahir. Ça fait très longtemps que je voulais faire de la BD mais je n’avais pas encore rencontré les gens avec qui j’aurais été en confiance. Avec Serge, ça fait trois ans qu’on se connaissait, puis un jour on en a discuté et il m’a demandé si je voulais le faire. Je lui ai répondu « Oui, simplement si c’est toi qui le fais. » Ça a commencé comme ça, ensuite on a rencontré des éditeurs Olivier Sulpice et Henri Jenfèvre de chez Bamboo qui sont devenus des amis aussi et en qui j’ai toute confiance. Je n’ai pas eu peur de le trahir. C’est difficile de trahir Marcel. Pour trahir Marcel Pagnol, il faut essayer de monter sur ses épaules. Nous on ne voulait pas monter sur ses épaules, on voulait le faire gagner un tout petit peu plus aujourd’hui, en se mettant à cinq sous lui. Vous voyez ce que je veux dire. Il faut bien être cinq pour pouvoir supporter le poids.

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Danielle Dufour-Verna : Quand on aime autant, peut-on trahir vraiment ?

« Être trop respectueux, c’est muséifier »

Nicolas Pagnol : Si, je pense qu’on peut trahir en voulant être trop respectueux. Être trop respectueux, c’est muséifier et notre but était d’apporter de la couleur.

Danielle Dufour-Verna : Serge Scotto m’a dit qu’il arrêtait de travailler sur les BD de Pagnol…

Nicolas Pagnol : Serge, Serge a dit qu’il arrêtait jusqu’à ce qu’il revienne. Ça lui passera avant que ça me reprenne.

Danielle Dufour-Verna : Vous continuez à fouler ces collines, ce terroir…

« Chez nous, c’est jusqu’où ? Tu vois la crête là-bas ? On a le plus grand jardin du monde »

Nicolas Pagnol : Oui, j’emmène mes enfants le plus possible dans les collines. J’étais avec Nicolas Dromard qui fait partie de la compagnie "Dans la Cour des Grands" qui fait des randonnées théâtrales dans les collines de Marcel Pagnol. On a marché pendant des heures et des heures et arrivés en haut du Garlaban, mon fils me dit « Chez nous, c’est jusqu’où ? » « Tu vois la crête là-bas ? On a le plus grand jardin du monde ». Il est à Paris maintenant et à chaque fois c’est « Quand est-ce qu’on retourne dans le jardin ? ». C’est quelque chose de très beau, et ça me permet de leur parler de leur arrière-grand-père, sur ce lieu-même.

Danielle Dufour-Verna : Y a t-il un côté de la personnalité de votre grand-père, qu’il ne réservait qu’à sa famille et que vous pourriez nous confier sans trahir sa mémoire ?

Nicolas Pagnol : Je crois qu’il aimait énormément la vie sous tous ses aspects.

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Randonnées théâtrales Marcel Pagnol

Danielle Dufour-Verna : Est-ce qu’il avait peur de quelque chose ?

« Tu vois, Jacotte, on peut pas tout réussir dans la vie. »

Nicolas Pagnol : De la mort, de la mort. Avant de mourir il a appelé ma grand-mère il a dit : « Tu vois, Jacotte, on peut pas tout réussir dans la vie. » Il avait peur du vieillissement, de la mort.

Danielle Dufour-Verna : Pourriez-vous me donner votre définition du bonheur, et d’après vous, quelle aurait été la sienne ?

Nicolas Pagnol : Ma définition du bonheur, c’est la simplicité, en vouloir le moins possible, de se contenter de peu. On parle souvent des épicuriens. Dans l’imaginaire collectif, les épicuriens, ce sont ceux qui profitent de tout et jouissent en permanence, alors que la vraie définition de l’épicurisme, c’étaient des gens qui se privaient de tout pour ne manquer de rien. Moi je serais plutôt dans cette veine-là.

Danielle Dufour-Verna : Et la sienne ?

Nicolas Pagnol : Oui, je crois que lui, surtout, sa définition du bonheur, c’était la liberté, cette liberté dont on manque cruellement aujourd’hui.

Danielle Dufour-Verna : Voulez-vous ajouter quelque chose à cette interview ? Nous avons parlé des projets…

Nicolas Pagnol : Là on va sortir en Bandes dessinées "La prière aux étoiles", le film que Marcel a détruit pendant l’occupation pour ne pas qu’il tombe aux mains des Allemands.

Danielle Dufour-Verna : Vous nous en parlez ?

« Il a convoqué dans la cour des studios tout son personnel, il a sorti toutes ses bobines et il les a détruites à coup de hache. »

Nicolas Pagnol : En 1942, l’Allemagne nazie veut absolument travailler avec mon grand-père. Ils veulent qu’il travaille pour eux au sein de La Continentale et lui ne peut pas refuser car il a ses employés, ses studios, ses labos, tout ça. Il ne peut pas refuser mais il ne peut pas accepter non plus. Il prétend qu’il est en pleine dépression. Les Allemands viennent le voir : « Si vous ne pouvez pas travailler pour nous, vous ne pouvez pas travailler pour vous non plus ». Il a laissé passer un petit peu de temps et il a continué son tournage. Les Allemands sont arrivés et lui ont dit « On prend la distribution du film terminé pour toute la France. » Il a donc détruit le film avant de vendre ses studios à Gaumont. Il a convoqué dans la cour des studios tout son personnel, il a sorti toutes ses bobines et il les a détruites à coup de hache. Et il a vendu toute son affaire à Gaumont. Et qui vient faire la vente pour Gaumont ? C’est Alain Poiret, qui a trente ans. Ils deviennent amis et c’est lui qui me fait commencer dans le cinéma 60 ans plus tard.

Danielle Dufour-Verna : Quel homme, quelle grandeur d’âme ! Il en existe peu aujourd’hui !

Nicolas Pagnol : C’est ce que j’allais vous dire. Mais est-ce qu’on laisse la place à de tels hommes d’exister aujourd’hui ? On ne leur donne pas la parole.

Danielle Dufour-Verna : La télévision, les médias, les réseaux sociaux pervertissent la jeunesse…

Nicolas Pagnol : Le gros problème aujourd’hui c’est que les enfants n’ont plus le temps de s’ennuyer. Quand on s’ennuie, on fait travailler ses mains, on développe son imaginaire, on se crée un monde. On crée, on devient artiste. Aujourd’hui, ils sont tout le temps sollicités, ils n’ont plus une minute, c’est soit les jeux vidéo, soit le téléphone, ils ne lisent pas… Savoir regarder la nature passe par une certaine plénitude, une certaine conception du temps. Aujourd’hui, tout va trop vite, on ne prend plus le temps.

Danielle Dufour-Verna : Où va la culture, étouffée en ce moment ?

Nicolas Pagnol : Même si elle n’est pas étouffée, soit elle est élitiste, ce qui ne rime à rien, soit il y a absence de culture totale. La vraie grande culture populaire, qui élevait les âmes et les cœurs et instruisait les gens, a disparu.