Publié le 22/11/2020

Pagnol renait en BD avec Serge Scotto Écrivain, Bédéiste

Quand Serge Scotto, un arrière petit-cousin de Vincent Scotto, auteur de la musique des films de Pagnol, rencontre Nicolas Pagnol, le petit-fils du grand écrivain, la boucle est bouclée. La magie de nos collines, le parfum des souvenirs d’enfance peuvent à nouveau ressurgir et parvenir jusqu’à nous. Rencontre avec l’écrivain, pendant le confinement : « Mon ressenti c’est un ressentiment. » «À part vous, personne ne s’est jamais posé la question de la survie des auteurs. »

Serge Scotto auteur écrivain marseille

Serge Scotto, né le 15 novembre 1963 à Marseille, est un artiste et performeur, principalement auteur et plasticien. Il publie son premier dessin de presse dans Centre-Presse (en 1984) et participe à l'aventure de la presse alternative marseillaise des années 1980 jusqu'aujourd’hui. Serge Scotto est l'un des descendants du musicien Vincent Scotto (1874-1952), qui a composé les musiques des films de Marcel Pagnol.
Entre autres activités évènementielles et culturelles, Serge Scotto est, avec le dessinateur algérien et réfugié politique Fathy Bourayou, le cofondateur du Festival International de la Caricature et du Dessin de Presse qui se tient chaque année en septembre à l'Estaque à Marseille depuis 2012.

À partir de 2015, il réalise, en collaboration avec le scénariste de BD Éric Stoffel et la famille Pagnol, (notamment de Nicolas Pagnol, petit-fils de l’écrivain) ainsi qu'avec plusieurs dessinateurs, l'adaptation des œuvres complètes de Marcel Pagnol en bande dessinée dans la collection Grand Angle des éditions Bamboo.

Serge Scotto, son appel pendant le confinement

Clairvoyant, pessimiste en l’avenir et talentueux à l’extrême, l'écrivain répond à nos questions :

Projecteur TV – Danielle Dufour-Verna – Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Serge Scotto – Je suis auteur, très polyvalent en fait. J’ai fait du journalisme. Je dessine, j’écris. J’ai écrit environ une vingtaine de livres, des romans, des recueils de tribune. J’ai fait du dessin de presse, un peu de BD, beaucoup de choses très différentes. Mon activité principale actuellement est devenue la BD même si je sors toujours un roman de temps en temps. J’ai envie de dire que depuis 6 ans maintenant c’est la BD qui me nourrit, plus particulièrement cette collection qu’on porte d’adaptation des œuvres de Pagnol, quelque chose dont on est très fier. Je suis toujours très content quand c’est bien reçu comme c’est le cas.

Serge Scotto auteur en dedicace
Serge Scotto - © Nicolas Pagnol

Projecteur TV – DDV – Présenter les œuvres de Pagnol en BD, un sacré challenge…

Serge Scotto – Quand on en a parlé avec Nicolas Pagnol, il y a déjà dix ans de ça, moi ça me paraissait bien plus qu’une évidence, un manque. Je me demandais pourquoi ça n’existait pas depuis longtemps tellement la littérature de Pagnol est visuelle. Elle se prête à l’image, d’abord parce que c’est un très bon raconteur d’histoires, ensuite parce que c’est un homme de théâtre donc il écrit des dialogues magnifiques, et puis c’est un homme d’image aussi. C’est-à-dire que c’est un cinéaste. Il pense à l’image. Dans ses romans, qui ne sont pas les plus nombreux dans son œuvre parce que finalement il y a ‘L’eau des Collines’ et ‘les souvenirs d’enfance’, sinon c’est surtout du théâtre ou des essais. Il a, en fait, une écriture tellement visuelle qu’on a envie presque de mettre la caméra parce que la BD et le cinéma, c’est vraiment très proche. Pagnol s’adapte particulièrement à la BD. Il n’oublie jamais de vous dire : ‘’ le soleil, de face, les lumières, la couleur des choses, les descriptions sont très précises.

Projecteur TV – DDV – Quelles œuvres sont déjà sorties en Bandes Dessinées ?

Serge Scotto – Une vingtaine. La collection est née de cette rencontre avec Pagnol, après ça a été une question de confiance et d’amitié. La famille Pagnol avait envie de faire cela depuis très longtemps mais la condition Sine qua non qu’a mise Jacqueline Pagnol, qui était vivante à l’époque, était de faire les œuvres complètes. Il n’y a rien à jeter chez Marcel Pagnol, il n’y a rien de mineur. Il y a en effet tout un pan de son œuvre qui passe inaperçue derrière ses œuvres majeures que tout le monde connait comme ‘Jean de Florette’, ‘Manon des Sources’, ‘L’eau des collines’, ‘Les souvenirs d’enfance : «La gloire de mon père, le château de ma mère, le temps des secrets et le temps des amours », la trilogie Marius, Fanny, César. Dans les BD, nous avons tout repris. ‘Le temps des amours’ est une édition posthume et c’est un peu un bric-à-brac. Pagnol avait prévu de découper ‘Le temps des secrets’ et ‘Le temps des amours’ pour les rééquilibrer. Nous on est souvent parti de ses dernières indications pour que le découpage des BD soit plus proche de sa volonté. C’est pour cela que par exemple ‘la partie de boules’ qui est dans ‘Le temps des amours’, nous l’avons mise dans la BD dans ‘Le temps des secrets’. On a vraiment mis ce qui relevait des secrets dans les secrets, ce qui relevait des amours dans les amours. Dans le temps des amours il y avait ‘Les pestiférés’ qui n’avaient rien à y voir, et on a fait ce qu’il voulait en faire, c’est-à-dire une œuvre en tant que telle et aboutie. La Bande Dessinée passe souvent pour un art mineur. Nous faisons ça, je ne vais pas dire d’une manière scientifique, mais le plus minutieusement possible. Là où on est fier, c’est qu’on arrive à donner vie finalement à des projets qui étaient restés inaboutis chez Pagnol, comme par exemple ‘Les pestiférés’ qui, pour la première fois, est édité dans son entièreté.

Grâce aux notes personnelles de la famille, on a pu reconstituer la fin. Et puis il y a cette dimension de refaire découvrir même aux gens de notre génération comme vous et moi qui adorons Pagnol et qui croyons le connaitre par cœur. Il y a tout un pan de son œuvre, finalement, un peu oubliée. Mon plaisir en dédicace, dans les salons de livre ou quand je rencontre les gens, c’est de voir que je leur fais redécouvrir Merlusse, Topaze, Jazz, Cigalon, des œuvres un peu oubliées. On est parti dans la mission de sortir ses œuvres complètes. C’est vraiment une aventure au long cours : une quarantaine de volumes sur une dizaine d’années. Cela dit, c’est un scoop, moi j’ai quitté le bateau. C’est Eric Stoffel, mon coscénariste qui va se mettre à la barre. Il y en a encore deux ou trois qui vont sortir avec ma signature, notamment ‘La prière aux étoiles’ un film sorti en 1941 et qu’il a détruit pour que les Allemands n’y mettent pas la main dessus. Il ne reste que 5 minutes de ce film. On est parti du scénario. On reprend en bandes dessinées le film qui avait disparu, c’est sympa. Et ce qui m’épate le plus, c’est que les libraires nous ont dit que depuis que les BD étaient sorties, ça avait relancé la vente des livres de poche.

Projecteur TV – DDV – un parent du grand musicien Vincent Scotto et le petit-fils de Pagnol, ça donne quoi ?

Serge Scotto – (il rit) C’est vrai qu’on a vraiment l’impression de remettre le couvert d’une vieille aventure

Projecteur TV – DDV - La boucle est bouclée. C’est magnifique.

Serge Scotto – Oui, c’est ça ; ça nous a fait marrer le jour où on s’est rencontrés avec Nicolas Pagnol. Au départ, c’est parti d’une rencontre, d’une amitié, c’était totalement désintéressé. On s’est rencontrés, on s’est appréciés et on s’est découverts. Vincent Scotto est mon arrière-grand cousin. C’est vrai que plus je vieillis et plus j’y ressemble. Ça ce sont les gênes, c’est le cousinage lointain, mais on vient tous de la petite île de Procida, près de Naples.

Projecteur TV - DDV – Procida, une merveille…

Serge Scotto – Une merveille et chaque sonnette, peut-être un peu moins maintenant mais il y a encore dix ans, sur neuf sonnettes sur dix, il y avait marqué Scotto. Et tout ce monde-là est cousin. Il faut le reconnaître, on est le résidu de cinq siècles de consanguinité (il rit). Mais il n’y a que des artistes. Tous les Scotto que je connais jouent de la musique, dessinent, écrivent…

« Jacote, veille à ce que mes pièces soient jouées par d’autres, que mes films soient tournés par d’autres. Je ne veux pas devenir un livre poussiéreux dans les rayons des bibliothèques. »

Projecteur TV - DDV – Vincent Scotto, très célèbre et très aimé à Marseille

Serge Scotto – Quand on pense que c’est un autodidacte. Il était venu travailler au chantier naval du Pharo. Tous ces gens qui ont débarqué entre la fin du 19e siècle et le début du 20e faisaient beaucoup de la charpenterie de marine. Mon cousin Daniel Scotto tient toujours une des dernières charpenteries de Marseille. C’est la 4e génération. Finalement Pagnol était malin. Il avait bien compris que pour passer de la célébrité à la postérité, il fallait savoir passer le relais. Nicolas m’a raconté –et c’est quasiment une des dernières volontés de Pagnol- que Pagnol a demandé à Jacqueline qu’il appelait Jacote : « Jacote, veille à ce que mes pièces soient jouées par d’autres, que mes films soient tournés par d’autres. Je ne veux pas devenir un livre poussiéreux dans les rayons des bibliothèques. » C’est quelqu’un qui a été moderne et qui a passé sa vie à s’adapter. On a travaillé sur trois versions de Marius. Topaze était une pièce, ça devient un film etc. C’était quelqu’un qui, au fur et à mesure que le cinéma s’améliorait, repensait sa façon de tourner. Il a été très novateur dans le cinéma. Il est la référence du néoréalisme italien.

Projecteur TV - DDV – C’est le père de ce néoréalisme

Serge Scotto - Oui, ce cinéma d’auteur. Orson Welles trouvait que c’était le plus grand réalisateur. L’image de Pagnol, pour moi, c’est l’image de la modernité. Moderne au point d’être visionnaire, c’est-à-dire de comprendre que les progrès techniques, car il s’y est toujours intéressé, c’était l’avenir, pas les films en noir et blanc. Cette idée de passer le relais, transmettre aux générations suivantes par le biais d’autres réalisateurs, c’est intelligent car cela permet à son œuvre de durer.

Projecteur TV - DDV – C’est aussi un humaniste

Serge Scotto –Totalement. C’est ce qui fait son universalité. Nous on l’aime beaucoup parce que c’est français, c’est patrimonial, surtout pour vous les Provençaux.

Projecteur TV - DDV –Les mesures concernant la Covid vous ont-elles fait mal, commercialement, psychiquement ?

« Je suis très content effectivement parce que vous êtes la première qui ait envie de poser la question des auteurs. »

Serge Scotto – En tant qu’auteur, bien sûr. Nos revenus, ce sont les droits d’auteur. À partir du moment où les librairies sont fermées et même la grande distribution, c’est sûr, c’est divisé par cinq. Maintenant il y a la seconde vague ça veut dire que c’est reparti comme en 40. Ça veut dire que le second semestre 2020 sera aussi catastrophique que le premier. Ce qui est très étrange dans cette affaire, c’est que les auteurs qui sont ceux qui font vivre tout le monde dans la chaine du livre, sont aussi le maillon le plus faible de la chaine du livre. Et c’est d’eux dont on entend le moins parler. Ce qui m’a un peu sidéré dans cette affaire, c’est que lorsque, lors du deuxième confinement, ils ont décidé que les librairies n’étaient pas des magasins pouvant rester ouverts, on a entendu des maires, on a entendu des libraires. On a entendu parler de commerce, on a entendu parler de concurrence, de petits commerçants, de libraires indépendants, de grande distribution, mais on n’a jamais entendu le mot auteur. Personne n’a jamais prononcé le mot auteur, comme si on n’existait pas. Je me suis dit " Ces gens vendent des livres comme si c’était du papier, du PQ. Le livre c’est une matière vivante qui porte un nom."

Projecteur TV - DDV – C’est pour cela que Projecteur tv a décidé de demander leur ressenti à des écrivains, de quelle manière cette Covid les a impactés. Pensez-vous que la culture est bâillonnée ?

« Mon ressenti c’est un ressentiment. » «À part vous, personne ne s’est jamais posé la question de la survie des auteurs. »

Serge Scotto –Justement, ça c’est un autre point. Déjà, je suis très content effectivement parce que vous êtes la première qui ait envie de poser la question des auteurs. J’ai trouvé ça assez dingue et mon ressenti c’est un ressentiment. On a été pris en otages. Finalement on a tenu compte de l’avis de tout le monde sauf de celui des auteurs, comme si on n’était qu’un produit, et au final c’est pour nous, la double peine. On a fermé le rayon livres dans la grande distribution sous prétexte d’équité. Là où il nous restait encore un point de vente, on finit par le perdre aussi. On ne s’est jamais posé la question de la survie des auteurs. Vous êtes la première. Quand les gens rentrent chez eux le soir et qu’ils lisent un livre, qu’ils se rappellent qu’il est écrit par quelqu’un. J’ai l’impression qu’en France, on ne respecte que les auteurs morts. Et c’est un peu affolant. C’est une grosse déception de se dire également qu’on fait vivre les libraires mais qu’on ne compte pas. En plus, tout va finir par Amazon qui se gave.

« Si l’ordre établi s’en prend à l’ordre établi, c’est qu’on va changer d’ordre établi, tout simplement»

Projecteur TV - DDV – Qu’espérez-vous pour demain ?

Serge Scotto – Vous me demandez si la culture est bâillonnée, oui certainement, mais ce serait un long débat. À mon avis, elle va l’être de plus en plus. En tout cas la culture divergente, il y a une culture autorisée. Pour parler de la Covid de façon générale, si j’avais le sentiment qu’il ne s’agissait que de traverser une crise sanitaire, je prendrais mon mal en patience. Si j’étais convaincu de la bienveillance de ceux qui nous gouvernent, si j’étais convaincu de la parole des scientifiques et qu’on puisse leur faire confiance… Je crois qu’au final, les gens ont moins peur de la Covid que de ce dont elle est le nom. On a l’impression d’assister à une véritable mutation sociétale, une crise sécuritaire, un reset. C’est comme si on changeait de paradigme. C’est comme s’il fallait faire la peau d’un vieil ordre établi pour arriver à établir un nouvel ordre qui se fait au dépend par exemple des commerçants indépendants etc. On sent qu’il va se passer en trois ans ce qu’ils ont mis vingt ans à accomplir. Il n’y a pas besoin de complot là où les intérêts convergent. C’est simplement le monde qui change mais pas forcément dans le bon sens. J’ai l’impression que l’humanité, la démocratie vont en sortir étrillés, l’impression qu’on ne pourra plus jamais revenir en arrière. Evidemment les gens sont terrorisés par la maladie. Je vous donne une réflexion très simple qui pour moi résume tout. J’ai 57 ans et toute ma vie, face aux catastrophes, j’ai entendu les gouvernements rassurants, Tchernobyl, le nuage s’arrêtait aux frontières etc. L’ordre établi se veut toujours rassurant parce qu’il est là pour rassurer la société. Pour la première fois de ma vie, je vois un gouvernement alarmiste, un gouvernement terrorisant. C’est lui qui fait tout pour provoquer le chaos. Si l’ordre établi s’en prend à l’ordre établi, c’est qu’on va changer d’ordre établi, tout simplement. Je ne sais pas à quoi on assiste, mais tout le monde sent bien qu’on n’assiste pas qu’à une crise sanitaire. On finit par douter de la bienveillance de tous ceux qui sont à la manœuvre.

« J’ai l’impression que l’humanité, la démocratie vont en sortir étrillés, l’impression qu’on ne pourra plus jamais revenir en arrière. »

DDV –Quelle serait votre définition du bonheur ?

Serge Scotto – Elle a changé avec l’âge. À 20 ans, le bonheur aurait été pour moi d’arriver à combler des ambitions. À 57, il me suffirait qu’on me foute la paix. Je sais que je ne vais plus changer le monde. Je voudrais juste qu’il ne change pas trop et qu’il ne me change pas trop. Après le bonheur, c’est à l’intérieur, je m’en charge pourvu qu’on ne nous fasse pas un extérieur trop pourri.

Photo à la Une : © Nicolas Pagnol