Publié le 13/08/2020

“On a décidé d’exister” – Rencontre avec René Martin au festival de piano de la Roque d’Anthéron

Exister pour rencontrer le public et rendre la musique vivante. Le Festival International de Piano de la Roque d’Anthéron a résisté à la crise sanitaire, parmi les rares événements culturels à s’être exprimés. Le directeur a re imaginé son concept et axé la programmation artistique vers la jeune génération. Un festival qui pour cette année si particulière, se veut être fraternel. Notre interview avec René Martin.

Interview de Rene Martin Festival de Piano 2020

Entre deux concerts, au festival de piano de la Roque d'Anthéron, interview du directeur René Martin, à l'ombre des cèdres.

Re imaginer le festival, c'est que René Martin a fait pour préserver la continuité de ce festival international de piano qui célèbre cette année ses 40 ans d'existence. Résister à la crise sanitaire, à travers un concept différent : plus de concerts hors les murs, mais trois concerts par jour sur cet espace en plein air de deux hectares, des artistes invités résidant en France avec la jeune génération des interprètes en primeur aux côtés d'artistes de renom et de grands professeurs de musique.
Parce que le festival de piano de la Roque d'Anthéron, sous l'impulsion de son directeur René Martin, c'est de laisser l'espace de la scène aux jeunes talents. Un tremplin qui permet à ces jeunes artistes en devenir, d'être propulsés sur les autres scènes françaises ou internationales.
Et puis, cette année marquera un festival de recueillement, un festival fraternel, où les 32 sonates de Beethoven s'imposent avec douceur et fraternité, parmi une programmation riche autour du piano et dense dans son éclectisme.

Ainsi, les musiciens, amputés de leur instrument depuis plusieurs mois, ont pu reprendre à s'exprimer. Un souffle d'espoir, dont l'énergie rayonne dans ce magnifique Parc du Château Florans, , où entre le chant des cigales et la brise de la Provence, résonne la musique.

Interview de René Martin, directeur du Festival de Piano de la Roque d'Anthéron

On a décidé d'exister

Dès le confinement le 17 mars, j'ai beaucoup parlé avec l'Association présidée par Jean-Pierre Onoratini. On a décidé d'exister. Nous avons un cadre magnifique, un parc de deux hectares et nous sommes surtout en plein air. On a beaucoup de chance d'être en plein air. On a discuté avec le Préfet, et j'ai refait une programmation complète. Il fallait décider que les artistes ne puissent venir qu'en voiture, car les aéroports et lignes internationales étaient bloqués. Suite à la nouvelle programmation du festival, j'ai prévenu les artistes tout début mai en leur disant qu'il y a beaucoup de chances que nous allons exister pour leur donner la possibilité de rencontrer leur public.

Un an sans festival, une âme qui se perd

Cela aurait été extrêmement dommage de ne pas faire de festival cette année. Je vivais cette situation. Je parlais beaucoup aux artistes. Les artistes étaient complètement anéantis. Tout s'est arrêté pour tout le monde. Les jeunes pianistes, les violonistes, et surtout sans aucune perspective de nouveau départ.
Lorsque j'ai écrit aux musiciens, en leur disant qu'il y a une chance que l'on existe, pour eux, cela a était un cadeau du ciel. Ils se disaient "on va avoir la chance de redémarrer, de retrouver notre public, et cela va être un nouveau départ".

Le festival de piano de la Roque d'Anthéron, été 2020, un nouveau concept

Le festival de Piano à la Roque d'Anthéron, se déroule à La Roque, bien entendu, au parc du château Florans, mais c'est aussi d'autres lieux. Néanmoins, ces lieux là, nous ne pouvions pas y aller, pour des raisons simples : nous ne pouvions pas garantir toutes les protections sanitaires. Autant ici, on sait exactement ce que l'on fait : le parc est très grand, il y a des allées principales qui permettent que le public se croise très peu; un auditorium très vaste avec 1 mètre 50 entre chaque spectateur, alors que dans d'autres lieux comme Gordes ou Eygalières, c'était impossible.
Ici, c'est beaucoup plus rassurant. C'est pour cela que j'ai décidé de rajouter d'autres concerts, le matin à 10 heures.

Intégrale du cycle Beethoven pour les 40 ans du festival de piano

Le cycle Beethoven était prévu, mais pas de cette façon là. J'en ai parlé avec l'association et nous avons bien choisi les horaires. C'est le 250 ème anniversaire de Beethoven (et les 40 ans du festival). C'est une année terrible car le monde entier devait fêter le compositeur, et le monde entier a tout arrêté. J'ai eu de la chance, le seul événement qui a fêté Beethoven, c'est la Folle journée de Nantes début février.

Une programmation des artistes adaptée pour cette année particulière du festival de la Roque d'Anthéron

Comme je ne pouvais plus faire venir des artistes du Japon, de Russie, de Chine, je me suis dis "c'est le moment où jamais de valoriser l'École de piano française", une école absolument magnifique. J'ai invité surtout des pianistes français, des jeunes pianistes, des pianistes confirmés des grands professeurs. On a un touche cette année axée sur l'école française de piano.
On ne peut pas donner de concertos, puisque les concertos nécessitent des orchestres de 70-80 musiciens. Aujourd’hui, on ne connaît pas les normes pour accueillir les artistes sur scène. Je me suis dit, au 19ème siècle, il y  avait beaucoup de transcriptions de concertos : transcription pour piano, quatuor à cordes et contrebasse. Et donc on donne des concertos de Chopin, Mozart, Beethoven, mais dans des versions transcrites, et souvent transcrites par le compositeur .

L'ADN du Festival, la jeune génération

Cette année la programmation met un accent particulier sur justement la nouvelle génération avec des pianistes extrêmement jeunes . Mais aussi avec des grands professeurs qui enseignent dans des grandes institutions musicales et ils sont là . Je pense que c’est une année extrêmement émouvante . On devait fêter les 40 ans du Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron et on a décidé de ne pas les fêter, parce que c'est année de deuil. Après ce qu'il s’est passé , après  ces 30 000 morts, on ne peut pas décider tout d'un coup de faire une grande fête.

Un festival de recueillement, un festival fraternel

Pour moi, c'est un festival de recueillement, un festival fraternel, où la relation avec le public est complètement différente, parce que le spectateur est seul. Il n'a personne autour de lui. Il a l’impression que l'artiste ne joue que pour lui. Et l'artiste le ressent très bien. J'espère que ce sera la seule année ou nous vivrons cela. Ce sera une année terrible mais en même temps, qui laissera des traces.
Et la musique de Beethoven a sa place dans ce festival de recueillement. c'est une musique fraternelle.

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