Publié le 29/12/2020

Trésors et pépites cachés dans nos villages : le Monticelli d’Auriol

Il y a des rencontres avec certaines œuvres d’art qui ne s’oublient pas. Il semble que nombre d’entre nous ont un souvenir, ancré en eux, d’un instant où le temps s’est suspendu devant un certain tableau, à l’écoute d’une certaine musique. Découverte inattendue d’une œuvre d’art :  La Source, de l’artiste peintre Adolphe Monticelli, au musée Martin Duby, dans le petit village d’Auriol.

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Le Musée Martin Duby dans le village d'Auriol recèle un précieux tableau, La Source, du peintre marseillais Adolphe Monticelli.
Histoire d'une œuvre d'art, trésor caché d'un patrimoine pittoresque dans l'arrière-pays de Marseille, au Pays d'Aubagne et de l'Étoile.

Il me semble que la visite d’un musée est un lointain souvenir. J’ai l’impression de ne plus y avoir mis les pieds depuis une éternité. J’avoue que les mondanités creuses et convenues, vanité des vanités, échangées autour d’un verre, face à une œuvre d’art, ont un certain charme à mes yeux. Il y a une mise en scène de soi, dans laquelle l’œuvre et la galerie sont le décor. On devient alors le héros d’un jeu de séduction qui se pare des atours d’un discours de convictions.

Ces moments, si fréquents dans la vie culturelle, me manquent, mais je peux m’en passer. En revanche, il me tarde, c’est presque vital, de retrouver les instants d’authenticité, de véritables échanges, avec des amis, autour de l’Art. Ces instants pendant lesquels le monde, à la lumière d’une toile de maître, devient soudain clair et limpide.

J’ai le souvenir d’une telle fulgurance. C’était un soir, à une époque presque lointaine, quand les gens pouvaient sortir le soir, sans se soucier de l’heure, sans porter de masque, sans gel hydroalcoolique. On pouvait boire un verre, deux… Mais à trois verres, bonjour les dégâts (private joke que les moins de trente ans ne peuvent pas comprendre).

J’étais à Auriol, joli village du Pays d’Aubagne et de l’Étoile. Un vernissage m’avait poussé jusqu’au musée Martin Duby.

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Musée Martin Duby © Raimond Calaf

Le Musée Martin Duby d’Auriol, une histoire de lien social

Le musée Martin Duby ? Il est facile à repérer. On le voit de la nationale, lorsqu’on traverse Auriol. Il est au bout de la rue Augustine Dupuy, sous le « beffroi », fièrement dressé depuis des siècles.

Oui, c’est bien le bâtiment orné d’une belle fontaine, sur lequel il est inscrit, en grandes lettres capitales, « Hôtel de Ville ». Ce n’est pas une coquetterie. Avant d’être converti en musée, il fut le siège de l’Hôtel de Ville du village, de 1759 à 1969. Des familles d’Auriolais ont encore des photographies de leur mariage, de celui de leurs grands-parents et arrière grands-parents, devant la fontaine, un jour de noce. Mais sa construction est bien antérieure. Le premier étage fut édifié en 1545. Dans les documents d’archives, il est désigné comme « Loge aux grains ». Il abritait la récolte de l’année. Il faut croire que ce bout de la rue Augustine Dupuy a toujours été un lieu de rencontre et de partage, garant du bien commun qui nourrit les femmes, les enfants et les hommes, qu’il s’agisse de blé ou de culture.

Martin Duby, quant à lui était un notable auriolais, directeur des Beaux-Arts avant la deuxième guerre mondiale. Comme tous ceux ayant occupé cette fonction sous la Troisième République, il était un homme de culture et de Lettres. À son décès, il lègue une riche collection hétéroclite à la Commune, dont il fut, Conseiller municipal. Ce legs constitue la part la plus importante du fond du musée.

Le musée Martin Duby n’a pas le label « musée de France ». C’est un petit musée de village. Sa conservation est confiée à une bénévole, Pascale Falco. Il est le repaire des associations auriolaises, nombreuses à s’investir dans la culture et la mémoire locale, comme l’ASPA (Association de Sauvegarde du Patrimoine Auriolais) ou l’ALCAA (À la Croisée des Arts Auriolais) avec, entre autres, son club photo animé par Raimond Calaf ou son groupe de généalogistes. Il est une ressource pédagogique précieuse pour les quatre groupes scolaires et le collège du village.

Oh, j’entends déjà le mépris de ceux qui ne jurent que par les grands musées, voire les musées parisiens. Laissez-moi aller jusqu’au bout de mon histoire. Je reviens donc à ma fulgurance en bonne compagnie, pendant un vernissage.

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La Source, Adolphe Monticelli © Raimond Calaf

Le Monticelli d’Auriol

La ménagerie cachée

La soirée s’était étirée sur quelques heures, quelques paquets de chips, plaques de pizza de la boulangerie du coin, quelques verres de kir, pastis et autres libations habituelles. Le public avait doucement quitté la salle basse du musée. Il ne restait plus que Pascale Falco, la conservatrice bénévole, deux ou trois membres d’associations culturelles locales et moi. Nous refaisions le monde (il était moins à refaire en ces temps ante-covid).

Comment Monticelli est arrivé dans la discussion ?

Je ne le sais pas. Mais, voilà que je me retrouve devant un tableau représentant une source, de taille modeste, mais à la facture reconnaissable. Je m’avance, je scrute. L’œuvre mesure une trentaine de centimètres sur quarante, elle a été peinte sur un panneau de bois. Le peintre a laissé apparaître le support par endroits. Le marron naturel du bois, devient le marron des sols, de la roche. La couleur a été posée à gros empâtements, vigoureux et précis. La signature conforte mon sentiment, nous sommes face à un Monticelli.

La source de Monticelli

Pascale Falco m’explique que ce Monticelli, intitulé « La source », figurait dans le legs Martin Duby. Il a été prêté à la Ville de Marseille pour l’exposition du cinquantenaire de la mort de Monticelli, en 1936, au Musée Cantini. Sur le catalogue de l’exposition, le tableau est daté de 1868. Monticelli avait 44 ans. Il fréquente alors de l’école de Barbizon, Ziem, Guigou, Ricard, mais aussi Cézanne et Corot. En 1868, dans ce second empire finissant, il est connu et apprécié pour sa peinture de scènes galantes à la manière de Watteau. Elle constitue l’essentiel de sa production du moment.

La Source, création intime

« La source » est donc probablement une création plus intime, moins « commerciale », dans laquelle il exprime ce qu’il a retenu de sa rencontre, en 1855, avec Diaz de la Peña : la peinture des sous-bois, le dessin par la couleur, hérité de Rembrant, Vélasquez, Rubens ou Delacroix, les empâtements, les frottis, la théorie de Chevreul sur le contraste simultané des couleurs (le mélange des tons ne se fait pas sur la palette du peintre, mais dans l’œil du spectateur).

Je me souviens de mon émotion face à ce tableau. Il faut dire que Monticelli n’est pas n’importe qui. Il est celui qui attira Van Gogh en Provence. Arrivé à Arles, le peintre à l’oreille coupée écrit à son frère Théo :

« Je suis sûr que je continue son œuvre, ici, comme si j’étais son fils ou son frère, […] reprenant la même cause, continuant la même œuvre, vivant la même vie, mourant la même mort. »

L’influence de Monticelli sur Van Gogh fut, d’ailleurs, le propos d’une grande exposition du Centre de la Vieille Charité de Marseille (Van Gogh Monticelli – 16 septembre 2008 au 11 janvier 2009). Pour l’historien de l’art, Germain Bazin, "Monticelli est le chaînon nécessaire entre Delacroix et Van Gogh."

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Statue d'Adolphe Joseph Thomas Monticelli au Palais Longchamp, Marseille © Alaric Favier

Faisant fi de toutes les règles de conservation élémentaires, Pascale Falco décroche le tableau et le dépose entre mes mains. Elle accomplit ce geste rebelle en citant Verlaine découvrant l’œuvre de Monticelli : "Voilà un peintre que je voudrais connaître pour lui demander de me prêter ses yeux et de me raconter ses rêves". Certains médecins ont, du reste, émis l’hypothèse que Monticelli aurait été atteint d’hyperesthésie sensorielle qui lui aurait fait percevoir exagérément les couleurs. Le petit groupe que nous sommes commence à observer « la source » de près, de très près. Et si nous cherchions à voir au-delà de ce qui est présenté ? Et si nous essayions de contempler ce panneau avec les yeux d’un hyperesthésique ? L’un d’entre nous a aperçu une tête de cheval, là où était figuré un rocher. Puis nous avons vu une grenouille, un ours, un crocodile et je ne sais quels autres animaux. Il était l’heure de quitter le petit musée du village, de remettre l’alarme et rentrer dans nos foyers. Nous avons bien ri de nos trouvailles.

Je suis repassé au musée, quelques jours après. Pascale Falco était là. Nous avons repris notre observation. Et avec un esprit clair et studieux, nous avons retrouvé la ménagerie découverte lors du vernissage. Monticelli a bien caché des animaux dans « La source ». Depuis, ce tableau est devenu un support pédagogique pour les écoliers et collégiens du Pays d’Aubagne et de l’Étoile. « La source », une peinture à l’huile vieille d’un siècle et demi, permet d’aborder, encore aujourd’hui, les questions de l’eau, de la biodiversité, de la vie, de l’observation de la nature. « La source » est un incontournable du dispositif académique « la classe l’œuvre », dans la collaboration entre le musée Martin Duby et l’éducation nationale.

Vous trouverez, c’est certain, des œuvres majeures dans les musées de nos grandes métropoles.

Mais nos villages regorgent, eux aussi, de ces trésors qui éclairent notre vision du monde.

Ils ont peut-être une plus-value. Il faut les chercher, les dénicher, se déplacer à l’autre bout d’un territoire parfois, pour ne voir qu’une seule œuvre. Mais n’est-ce pas le même exercice que celui qui consiste à faire une longue randonnée de quelques heures pour profiter d’une vue imprenable de quelques minutes, au sommet d’une colline ?