- Auteur Jean Antoine Santiago
- Temps de lecture 8 min
Gaby Deslys… le music-hall est né à Marseille !
De Gaby Deslys à la Villa Gaby …. Il y a sur les hauteurs de la Corniche Kennedy, dans le septième arrondissement de Marseille, une riche et belle demeure : la Villa Gaby, témoin d’un autre temps, quand Marseille faisait danser Londres, Vienne et New-York.
La villa de Gaby Deslys, appelée aussi Villa Gaby est située sur les hauteurs de la corniche Kennedy, dans le 7ème arrondissement de Marseille. Au-delà des événements et conférences qu'elle accueille, l'histoire de la Villa Gaby est plus que celle d'un patrimoine d'une villa luxueuse du XIXe siècle surplombant la mer.
Depuis les années 1950, la somptueuse bâtisse est la propriété de l’AP-HM (Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille). En 2015, sa gestion a été déléguée à la société OCM Congrés.
« La vocation de la Villa Gaby est d'accueillir des colloques, congrès, séminaires de direction, "Boards" et Master-Classes de Sociétés Savantes, réunions stratégiques d'associations ou d'entreprises, réceptions et événements servant le rayonnement de la Métropole d'Aix- Marseille-Provence en Europe. » © villagaby.org
L'histoire de la Villa Gaby à Marseille
Pourtant, en 1920, la Villa Maud, ancien nom de la Villa Gaby, était léguée à la Ville de Marseille par sa richissime propriétaire décédée, Gaby Deslys, avec la volonté expresse qu’un hôpital pour enfant y soit créé.
Il y a eu de nombreuses polémiques depuis un siècle autour de ce legs et du respect des clauses qui le constituent. Mais là n’est pas l’objet de cet article. Pour ma part, je voulais juste rendre hommage à Gaby Deslys. Parce qu'oublier qui elle fut serait la plus grande et injuste offense à son égard.
De Gabrielle Caire à Gaby Deslys (1881 - 1920)
Gabys Deslys est une comète. Son passage a été bref, mais intense. Elle a commencé sa course à Marseille, a ébloui Paris, Vienne, Londres et New York. La figure de la comète est des plus à propos. Gaby Deslys est certainement la première star internationale du music-hall. Et non, elle n’était pas américaine, même pas anglaise… Elle était marseillaise !
Elle est née Marie-Elise-Gabrielle Caire, le 5 novembre 1881, à Marseille. Elle est élevée dans une famille de commerçants. Très tôt, elle est attirée par le monde du spectacle. En 1900, après deux années de cours de chant au conservatoire, âgée de 18 ans, elle décide de « monter à Paris », pour conquérir le monde. C’est alors l’Exposition Universelle qui, d’avril à novembre, attirera 51 millions de visiteurs venus du monde entier. Gaby ne veut pas manquer ce rendez-vous. Paris est l’endroit où il faut être pour quelqu’un d’ambitieux et de déterminé.
Gaby la magnifique… le marketing par l’outrance
Elle obtient, d’abord, des contrats réguliers pour des rôles de figuration dans des revues des cafés-concerts de la capitale. Très rapidement, elle accède aux rôles de « Commère » (animatrice de revue) et de meneuse de revue. Dès 1906, elle s’envole régulièrement pour Londres, New York et Vienne et, de succès en succès, amasse une fortune considérable.
Le secret de sa réussite ?
Gaby Deslys, la Marseillaise, devient la figure du « Chic parisien »
Gaby est une travailleuse acharnée. En parallèle de ses prestations scéniques, elle suit des cours de danse, de chant, de théâtre et de diction (son accent marseillais était trop prononcé).
Mais, par-dessus tout, Gaby cultive une extravagance et une démesure jamais vues, jusque-là, dans le milieu du spectacle. Sur scène, ses revues sont des débauches de strass, de paillettes et de plumes de marabouts, de paradis, de flamants, de perroquets, de coqs... Elle peut porter des costumes atteignant facilement les huit à dix kilos. La consommation de plumes par Gaby Deslys et sa revue est telle que Mistinguett devra attendre son décès pour pouvoir enfin se procurer facilement les plumes qu’elle convoite.
Ses chorégraphies sont osées, elle et ses « girls » dansent dans une semi-nudité sur des airs de ragtime. La bonne société d’avant-guerre est outrée et dénonce avec violence la morale trop légère de Gaby Deslys. Ce qui, au final, ne fera qu’attiser un peu plus la curiosité du public et exploser les guichets de chaque spectacle.
Ses tenues de ville sont tout aussi élaborées, multipliant les fourrures les plus luxueuses, les bijoux les plus flamboyants, les chapeaux les plus sophistiqués. Elle se déplace avec des remorques de coffrets à bijoux, de boîtes à chapeau, ses nombreux animaux de compagnie (16 chiens et quelques singes) et une suite de porteurs étourdissante. Ironie du sort, pour la presse britannique et américaine, Gaby Deslys, la Marseillaise, devient la figure du « Chic parisien ».
Gaby Deslys, une femme libre, trop libre pour son époque
Il faut ajouter à cet attirail, un physique et une plastique qui ne laissent personne indifférent. Gaby est déjà l’archétype de la blonde fatale, avec un corps mince et élancé, de grands yeux bleus expressifs. Il est évident qu’elle rencontre un grand succès auprès des hommes. Sa liaison la plus remarquée est certainement son idylle avec le jeune et dernier Roi du Portugal, Manuel II, dès 1909. Dans l’année qui suivra, le trône sera renversé par la jeune République naissante. La relation du monarque avec la star du music-hall a été très mal perçue par l’opinion publique portugaise. On peut se demander si Gaby n’a pas un peu participé, malgré elle, à la fin de la monarchie.
Gaby crée et entretient l’image d’une femme libre, trop libre pour son époque. De fait, la presse et le public en redemandent. Gaby joue de cette fascination avec brio.
Madonna, Britney Spears, Lady Gaga, Miley Cyrus n’ont rien inventé…
Gaby Deslys invente le music-hall
"Les hommes préfèrent les blondes"
J’ose écrire que sans Gaby Deslys, Marilyn Monroe n’aurait peut-être pas connu la même carrière.
Après une telle affirmation, je dois me justifier.
Les hommes préfèrent les blondes de Howard Hawks (1953) est le véritable tremplin de sa carrière. Il y a, pour Marilyn, un avant et un après Gentlemen prefer blondes. Ce film la propulse au rang de sexe-symbole universel et de star internationale. Elle vole même la vedette à la véritable tête d’affiche du film, Jane Russell, dont le cachet est dix fois supérieur au sien. La séquence dans laquelle elle interprète le célèbre « Diamonds are girl’s best friend » y a sans doute beaucoup contribué. Quel rapport avec Gaby Deslys ? Et bien Marilyn descend, en chantant, ce grand escalier rouge, entourée par une cohorte de « boys » en smoking. Ce procédé de mise en scène semble être un grand classique, mais c’est bien Gaby Deslys qui, la première, l’a introduit dans le music-hall. De cette manière, elle magnifie son personnage qui semble descendre d’un ailleurs invisible, vers les mortels que sont les spectateurs.
Ce n’est pas la seule innovation apportée par Gaby Deslys au music-hall. J’ai déjà évoqué plus haut les plumes, les strass et les costumes impressionnants, conçus pour souligner les corps et leurs mouvements. Et rien n’est laissé au hasard dans les chorégraphies. Entrées, sorties, enchaînements, tout est millimétré avec une grande maîtrise.
Enfin, les décors sont spectaculaires. Ils sont empruntés à l’industrie nouvelle du cinéma. En 1913, elle présente « Honeymoon express » au « Winter garden » de New-York. Elle subjugue la critique en dansant devant un décor filmé et projeté sur un écran (technique de trucage de scène utilisée dans le cinéma et appelée « transparence »). Rien n’était plus moderne qu’un spectacle de Gaby Deslys.
Dans les années 1950, toutes les comédies musicales américaines portées à l’écran sont imprégnées du génie de la star marseillaise.
Pas de Glam Rock sans Gaby Deslys
Pour aller plus loin dans cette uchronie, qu’eût été le Glam Rock, sans l’exubérance de Gaby Deslys ?
David Bowie, Elton John, Marc Bolan et tant d’autres seraient-ils devenus les icônes que nous savons s’ils n’avaient pas porté leurs tenues excentriques très inspirées par celles de Gaby ?
Retour à la case départ… et à l’oubli
Gaby Deslys meurt à l’âge de 38 ans, le 11 février 1920, terrassée par une pleurésie, dans son hôtel particulier parisien.
Moins de deux ans avant, elle avait acquis cette bastide qui deviendra la Villa Gaby. Après des funérailles parisiennes dignes d’un Chef d’État, son corps sera rapatrié dans la cité phocéenne. Elle repose au cimetière Saint-Pierre.
Comment son nom peut-il avoir disparu de la mémoire de Marseille ? Tous les ouvrages consacrés à l’étude du music-hall lui accordent un chapitre, quelle que soit la langue dans laquelle ils aient été rédigés. Ils racontent, tous, le rôle déterminant que joua la Marseillaise dans l’industrie du spectacle. Mais Marseille l’a oubliée. L’hôpital pour enfants qu’elle souhaitait n’a jamais vu le jour. Il ne reste que la Villa Gaby que peu de Marseillais ont visitée et une ruelle, même pas visible sur Google Street view, dans le quatorzième arrondissement... de surcroît, mal orthographiée « Allée Gaby Deslis ».
Et, pourtant, elle mériterait bien de siéger auprès de Pythéas et Euthymènes, dans le Panthéon des Marseillais ayant fait briller Marseille au-delà des limites qu’on pouvait lui imaginer.