Publié le 23/12/2021

Le Théâtre-Opéra Donizetti de Bergame, Un rendez-vous de rêve et d’excellence

La culture et le patrimoine sont les lignes éditoriales de notre magazine. Dans une Europe où les trajets raccourcissent, où les langues s’uniformisent, nous avons choisi, en cette fin d’année, de mener nos lecteurs en voyage dans un lieu enchanteur, à Bergame en Italie, sur le chemin de la musique. A Bergame, le Théâtre Donizetti est une magnifique salle d’opéra au cœur de la ville, en forme de fer à cheval, un splendide théâtre à l’italienne. Ici s’est assis Gaetano Donizetti. Ici, Bellini en personne a mis en scène son chef-d’œuvre, la Norma.

« Le Théâtre-Opéra Donizetti est le symbole culturel de la ville de Bergame. ». Rencontre avec Massimo Boffelli directeur général "del Teatro Donizetti di Bergamo".

Le Théâtre-Opéra Donizetti - Bergame

Trois Saisons d’excellence : Opéra, Théâtre et Jazz

Aimé des Bergamasques et des nombreux touristes français, trois saisons dirigées par trois éminents directeurs artistiques :
Francesco Micheli pour le festival Donizetti Opera
Maria Grazia Panigada pour la saison de Prose
Maria Pia De Vito pour Bergamo Jazz Festival.
Opéra, Théâtre et Jazz- font le plein de spectateurs pour des spectacles d’excellence.

Bergame, un rêve éveillé

Bergame est un rêve éveillé, une nostalgie à venir, une poésie, une musique. Bergame ne se visite pas, elle se vit et s’insère à jamais dans le cœur de ceux qui la croisent. Franchir les portes d’accès à Bergame Alta sous le regard des lions de pierre de la Sérénissime République de Venise, et découvrir les trésors cachés dans son antre. Bergame Haute la médiévale au charme magique, bourg intact, citadelle historique aux riches palais, aux tours pittoresques. Santa Maria Maggiore y abrite plus de sept siècles de beauté, chefs-d’œuvre d’artistes immenses. Bergame de la Renaissance, ville ouverte, carrefour de marchands, d’écrivains, d’artistes, qui laisseront à la ville leurs chefs-d’œuvre. Le rideau s’ouvre et la Bergame du XIXe siècle monte sur scène : un salon de culture, d’art et de théâtre, qui garde, aujourd’hui encore, l’esprit et la musique du grand compositeur international d’opéra Gaetano Donizetti. Bergame, ville des Mille, guidée par Giuseppe Garibaldi durant le Risorgimento. Bergame aujourd’hui : rigueur et volumes imposants, architectes célèbres qui redessinent l’aspect de la ville entre bibliothèques, centres d’innovations et lieux sacrés. De la colline San Vigilio, le regard embrasse la ville entière, son passé, son cœur vert précieux et son avenir qui s’ouvre à l’horizon.

Rencontre avec Massimo Boffelli, Directeur Général du Théâtre-Opéra Donizetti

Massimo Boffelli-Direttore Teatro Donizetti Bergamo
Massimo Boffelli - Directeur Général du Théâtre Donizetti - Bergame ¢ Gianfranco Rota

Danielle Dufour Verna/Projecteur TV – Bonjour Massimo Boffelli. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Massimo Boffelli – Je présente d’abord l’institution qui gère en réalité trois théâtres dans la ville de Bergame. L’institution, mi privée, mi publique, s’appelle Fondation Théâtre Donizetti. Elle a été constituée en 2017 par la commune de Bergame, par la municipalité de la ville, avec des personnes et des agences privées du territoire. Elle gère donc trois théâtres qui appartiennent à la municipalité de Bergame : l’opéra Donizetti, le Théâtre Social créé en 1800 qui se trouve dans la partie haute de Bergame, et un théâtre moderne réalisé dans les années 2000, qui s’appelle le Creberg Théâtre. Le Théâtre Donizetti est le plus important, non seulement de la ville, mais certainement de ces trois-là, aussi bien par importance que par tradition. Il a été fondé en 1797.

DDV – Je crois savoir qu’un incendie l’a détruit quelque temps après ?

Massimo Boffelli – Plus d’un incendie ! Un au début 1800 et un plus récemment dans les années 1980.

DDV – Si je comprends bien, la fondation s’est constituée seulement un an avant la fermeture de l’opéra Donizetti pour restructuration ?

Massimo Boffelli –Exactement. Elle a justement été constituée pour gérer la restructuration. Puis il s’est décidé de donner également la gestion à cette fondation. Le Donizetti et le Théâtre social sont ce que nous appelons en Italie, des théâtres de tradition. Les théâtres de tradition font partie d’une catégorie avec une loi spéciale. Ce sont des théâtres qui, par leur valeur historiques, sont reconnus d’importance nationale. Le Donizetti et le Théâtre social sont des théâtres qui produisent essentiellement des spectacles de haute valeur culturelle qui sont naturellement l’Opéra, la comédie, la musique, avec le jazz, les concerts.

Teatre Donizetti Bergame
La grande salle du Théâtre Donizetti - Bergame

DDV –Et la danse ?

Massimo Boffelli – Depuis quelques années, il n’y a plus de danse. Nous faisons quelques initiatives de ballets, mais pas de saison de danse en particulier.

DDV – Qu’est-ce qu’on éprouve à diriger un théâtre ou s’est assis Donizetti ?

"C’est toujours merveilleux d’entrer dans un théâtre".

Massimo Boffelli – Une émotion, un immense orgueil. D’abord, avant de parler de l’émotion qu’on éprouve dans ce théâtre, il faut dire que c’est l’orgueil de cette ville. Le Théâtre Donizetti est le symbole culturel de la ville de Bergame. C’est le lieu le plus important parmi les nombreuses institutions culturelles historiques, très aimé et reconnu par les Bergamasques. C’est donc un symbole de l’orgueil de la cité. Ceci est une autre responsabilité pour la direction. En fait, quand on regarde la scène où passent toutes ces œuvres et où, au cours des siècles, rien n’a changé, même avec toutes les restaurations qui se sont succédé, on a tenu à maintenir l’historicité du lieu. Ce sont donc des restaurations conservatives qui ont été faites, pas modificatives. Naturellement, la pensée vole vers toutes les époques qu’a traversées l’histoire de ce théâtre et vers tous les personnages illustres qui ont foulé la scène aussi bien comme acteurs que musiciens dans ce théâtre. C’est toujours merveilleux d’entrer dans un théâtre. L’air qu’on y respire est toujours un air de grande joie, de grande émotion.

Teatro Donizetti Esterno
Le théâtre Donizetti vu de l'extérieur © Gianfranco Rota

DDV – Depuis quand êtes-vous Directeur et quelle a été l’évolution du théâtre depuis votre nomination?

Un festival thématique : Le Donizetti Opera Festival

Massimo Boffelli – J’ai débuté ici le 2 mai 2005, je m’en souviens bien. Je suis ici depuis 16 ans. Alors, qu’est-ce qui a changé ? Je peux dire, sous l’aspect de certains festivals, la perspective a changé. J’ai trouvé un grand héritage, surtout au niveau de la comédie, de la prose. Il y a eu, ici, depuis les années 70, un travail très important qui a permis de faire – et aujourd’hui encore cet héritage nous est bénéfique - un théâtre avec énormément d’abonnés et une longue tradition de la comédie. Par contre, deux choses ont beaucoup changé, en premier le Festival d’Opéra qui, depuis quelques années, assume un caractère beaucoup plus international. Auparavant, la saison d’opéra représentait les grands répertoires des cinq compositeurs les plus importants : Donizetti, Verdi, Rossini, Puccini et Bellini. Maintenant, nous avons un festival thématique qui s’appelle Festival Donizetti centré exclusivement sur Gaetano Donizetti. Ce changement a permis d’accueillir un public à majorité internationale qui vient, ici, assister à des opéras qu’il ne verrait pas ailleurs parce qu’ils sont uniques et parce que nous sommes les seuls à donner les opéras originaux qui ont été peu représentés, sans exclure, naturellement un titre ou deux d’un autre répertoire, mais plus spécialement le Donizetti Opera Festival est Donizetti. Deuxième chose, c’est le Festival Jazz avec, ici aussi, un grand héritage du passé car le Festival de Jazz de Bergame est un des festivals les plus anciens nationalement. Il existe depuis 1969. Il a été interrompu dans les années 80 et a repris bon an mal an. Depuis une dizaine d’années, également grâce aux directions artistiques de renommée nationale et internationale, nous avons réussi à réacquérir l’importance internationale du festival. Au point que, là aussi, comme pour le Donizetti Opera Festival, c’est un festival qui accueille énormément de spectateurs étrangers.

DDV – Vous m’avez dit que le Théâtre Donizetti est très aimé des Bergamasques, mais quel impact a le théâtre, non seulement sur la population, mais sur la culture de la ville et du pays ?

Un théâtre à vocation culturelle civique

Fesques du Théâtre Donizetti Bergame
La particularité des fresques de la grande salle du Théâtre Donizetti © Gianfranco Rota

Massimo Boffelli – Ici, l’histoire de l’offre culturelle de ce théâtre, comme je l’appelle, est une longue histoire avec un but et une matrice bien clairs depuis de nombreuses années avec les diverses municipalités qui ont géré ce théâtre. C’est à dire, ceux de donner une vocation culturelle que nous appelons civique. Il a été fait en sorte que la caractérisation de l’offre des spectacles soit une offre de qualité mais avec un principe éducatif. Par exemple, la municipalité gère trois théâtres, comme je vous l’ai dit. Deux théâtres, le Donizetti et le Théâtre social respectent cette vocation et se différencient d’une manière nette avec le Creberg Théâtre, moderne, où, au contraire, le divertissement a sa place. Nous avons décidé de différencier et donc de donner une proposition un peu plus populaire à celui situé plus en périphérie, situé en dehors de la ville. Mais les deux théâtres qui se trouvent à l’intérieur de la ville, de la ville haute et Donizetti, ont cette vocation. C’est pour cela que nous cherchons, non à insérer mais au moins de donner une approche, une ligne culturelle bien définie dans la programmation. Une ligne qui s’éloigne en fait totalement du profit. Dans nos représentations d’opéras, nous respectons les compositions des compositeurs, mais dans la prose, nous avons une programmation qui affronte, selon la saison, des thématiques de caractère civil, historique. Le spectacle suit donc des initiatives collatérales qui ont des implications à caractère civil.

DDV – Donc de caractère politique, au sens de la civilisation. Vous programmez, en fait, une pièce sur l’après Falcone et Borsellino

Massimo Boffelli – Tout à fait. Par exemple, pour cette saison, nous, dans les représentations, à part les grands classiques qui sont très importants pour les étudiants, pour l’école -la première fois que je suis venu au Théâtre Donizetti, j’avais 16 ans, j’étais à l’école et j’ai vu un grand classique- à part donc de ces grands classiques très importants, nous avons une revue théâtrale qui va au-delà, qui explore les confins de l’histoire de notre République, comme nous l’avons fait cette année. Donc non seulement cela rappelle l’histoire de notre république, mais fait également réfléchir sur beaucoup de thématiques : la justice, la démocratie… tous les thèmes, parce que nous nous tournons beaucoup vers les jeunes et vers les écoles. Des thèmes forts qui, justement par la vocation civile que nous nous sommes donnés, reflète notre identité. Je ne vous cache pas que la grande majorité de la ville l’accepte, mais il y a toujours, dans la politique sans grand idéal, des gens qui n’aiment pas ces thématiques. Mais c’est notre tradition et, depuis des décennies, nous poursuivons cette route.

DDV – En Italie, les gens étaient passionnés d’opéra. Qu’en est-il de la culture en devenir ?

"Moins on a de culture et plus la personne s’appauvrit ..."

Massimo Boffelli – Certainement, notre évolution, selon les principes actuels de notre société, est en train de vivre une crise très profonde qui risque de mettre en difficulté l’essence même de notre démocratie et peut la mettre en danger. Les principes de la démocratie sont de moins en moins présents. Nous devons donc être inséminateurs d’éducation culturelle. La culture a un rôle fondamental dans le sens où elle permet d’apprécier les aspects qui rendent une âme belle. Si tu bois à cette fontaine, tu trouveras toujours de la sensibilité pour voir, observer sans les subir ou, si tu les subis parce qu’elles sont plus fortes que toi, tu auras toujours une prise de conscience. La culture, selon moi, a ce but. Le théâtre est un instrument, pas le seul, qui permet d’alimenter cela. Moins on a de culture et plus la personne s’appauvrit parce que, à la fin, elle réfléchit en termes seulement économiques, pratiques, ou matériels. Si on va sur cette ligne, il est évident que la part idéale de la culture sera perdue. Je ne parle pas seulement pour l’Italie. Je crois, malheureusement, c’est le cas de l’Europe. Par exemple, j’ai trouvé écœurant qu’il y ait eu, lors de manifestations antivax, des personnes comparant l’obligation vaccinale aux Juifs dans les camps de concentration.

DDV – C’est terrible !

Massimo Boffelli – C’est un exemple flagrant de barbarisation culturelle. Cela veut dire que la personne ne sait pas. Si une personne vit de culture, elle ne peut pas avoir cette attitude. Je n’y crois pas parce que culture veut dire histoire, veut dire connaissance, veut dire lectures, veut dire approfondissements. On peut avoir toutes les idées qu’on veut, mais basées au moins sur la connaissance du thème qu’on affronte. La culture est exactement cela, faire réfléchir, donner également la possibilité de passer des moments heureux parce que la culture ne doit pas être seulement réflexion. C’est donc le point pour donner une vision d’ensemble plus complète par rapport à ce que nous vivons.

DDV – De la façon dont vous me parlez du théâtre Donizetti, il allie culture et humanisme.

Massimo Boffelli – Absolument ! C’est fondamental ! Absolument ! C’est une mission que nous devons avoir et faire perdurer, malgré des moments de tentation à aller sur des routes plus commerciales que nous devons au contraire chercher à, non à combattre, parce que le seul divertissement a également son sens, mais il ne peut pas être la seule proposition théâtrale.

DDV – Est-ce un atout pour le théâtre le fait que Bergame soit une ville très touristique ?

Bergame et son aéroport international

Massimo Boffelli – C’est fondamental. La ville a pris un tournant important quand un aéroport de petite dimension né au début des années 70 est devenu, par rapport à une série de circonstances et de divisions des politiciens de l’époque, et à cause d’une mauvaise gestion d’aéroports plus proches comme celui de Milan, est devenu un aéroport international important. Ce fut l’instrument qui fit que beaucoup d’étrangers viennent d’abord ici pour ensuite même transiter sur Milan ou dans d’autres villes. Ils sont ainsi presque contraints à venir voir Bergame qui est une très belle ville. Cela a permis une augmentation du flux de tourisme qui a énormément répercuté sur le théâtre. L’aéroport de Bergame est relié à toutes les villes d’Europe. Cela favorise énormément le théâtre.

DDV –Y-a-t-il des échanges avec des théâtres français, d’orchestre, de mise en scène, etc. ?

Une coproduction avec l’Opéra de Bordeaux

Massimo Boffelli – Nous y travaillons. Notre directeur artistique est en train de travailler avec le théâtre de Bordeaux pour une coproduction sur un Opéra de Donizetti.

Teatro Donizetti - Bergamo
Le Roi Lear au Théâtre Donizetti -©Rossetti-PHOCUS

DDV – Quelle est votre espérance pour l’avenir du théâtre en général ?

"Mener les jeunes au théâtre"

Massimo Boffelli – Pour le moment, l’espérance plus immédiate est de pouvoir vaincre, ou au moins, dépasser la situation sanitaire actuelle. Nous avons à peine terminé le Donizetti Opera Festival. Nous avons la prose cette semaine au théâtre avec énormément d’abonnés. Le théâtre est toujours plein. Ce n’est pas la même chose partout en Italie. Il y a des théâtres, même de tradition, avec des salles à moitié vides. Cela m’attriste beaucoup. Pour nous qui remplissons la salle, nous ne pouvons permettre une autre fermeture par rapport à notre public. Le public recommence à nous faire confiance et, même si cela n’était pas de notre faute, nous ne pouvons pas permettre une autre fermeture. C’est la chose plus immédiate que j’espère surmonter. Je regarde chaque soir le téléjournal avec la préoccupation constante des données sur la pandémie, même à l’étranger. La seconde espérance, notre objectif, est de mener les jeunes au théâtre. C’est le grand pari des prochaines années. Pour avoir cet espoir, nous travaillons intensément sur cet argument.

DDV – Une dernière question, que signifie, pour vous, le bonheur ?

Massimo Boffelli – (rires) Le bonheur réside dans les choses simples de la vie et pour moi, les choses simples de la vie, c’est avant tout la famille.