Publié le 28/03/2020

Michel-Ange et Jules Cantini à la croisée de nos chemins

Michel-Ange et Jules Cantini… S’ils furent tous deux sculpteurs, ils vécurent dans des pays différents, à des siècles différents. Mais une sculpture les rassemble, un chef-d’œuvre qui, de Florence à Marseille, marie dans un même élan admiratif tous les amoureux de l’art.

Le David de Michel-Ange - Création Adan- fresques de la Chapelle Sixtine

Pourquoi, me direz-vous, réunir deux sculpteurs, l’italien Michel-Ange Buonarrotti (1475-1544) et le français Jules Cantini (1826-1916) dans une même chronique ? C'est à cause (ou grâce) de la statue du David implantée dans le 8ème arrondissement de Marseille qui rassemble les deux sculpteurs.

Proposer à nos lecteurs, en ces temps difficiles, une chronique italienne, est une manière, non seulement d’enrichir notre savoir, mais aussi de tendre la main à nos courageux amis de la péninsule. L’art, la culture, tissent des liens entre les peuples. Projecteur TV croit en une fraternité au-delà des frontières.

S’ils furent tous deux sculpteurs, ils vécurent dans des pays différents, à des siècles différents. Mais une sculpture les rassemble, un chef-d’oeuvre qui, de Florence à Marseille, marie dans un même élan admiratif tous les amoureux de l’art. Cette statue à la beauté souveraine, c’est le David de Michel-Ange.

Florence, bouleversante de beauté

Accélération du rythme cardiaque, vertiges, jusqu’à des suffocations… Non, tous les visiteurs ne sont pas atteints par le syndrome de Stendhal appelé également syndrome de Florence à la vue des chefs-d’œuvre qui constellent la ville des fleurs, mais tous sont ébranlés par tant de beauté, frappés d’admiration, voire de béatitude. Tous ont le sentiment d’un bonheur assouvi, d’une plénitude. De retour chez soi, c’est le souvenir de ce bonheur qui pousse à revenir à Florence, encore, et toujours.

La Renaissance

'Portrait de Michel-Ange Buonarroti, demi-longueur, portant du noir' huile sur toile.
Portrait de Michel-Ange Buonarroti, demi-longueur, portant du noir huile sur toile. Auteur : Jacopino Del Conte

À Florence, le gouvernement tyrannique des Médicis a pris fin et la jeune République s'est installée dans la ville. L'envie de tout recommencer est grande et cette tendance se manifeste surtout à travers l'art. Michelangelo Buonarroti a un peu plus de 25 ans à l'époque, mais son nom fait déjà le tour de toute la ville, en raison de son grand talent de sculpteur.

Il reçoit la commande du David, le 16 août 1501, de l'Opera del Duomo, et de l'Arte della Lana (la plus importante maison de commerce et de banque de Florence au XIVe siècle, liée aux tisserands). Il érige une structure en bois autour du bloc pour le cacher et travaille ainsi jusqu'au 23 juin 1503 (fête de la saint Jean-Baptiste, patron de Florence), jour où la statue est dévoilée. Michel-Ange sculpte son David dans un seul bloc de marbre de Carrare. Avec ses 4,10 mètres le David pèse près de 6 tonnes. Initialement placé à Florence devant le Palazzo Vecchio pour symboliser la détermination de la jeune République face au tyran, l'original est exposé depuis 1873 dans la Galleria dell'Accademia. La statue placée sur la place de la Signoria est une copie. Par cette œuvre, Michel-Ange égale le génie des grands sculpteurs de la Grèce Antique, tout en créant un nouvel archétype. Comme son sujet, le roi David, ce jeune génie, par cette victoire inattendue, s’est hissé de son vivant au niveau de la légende.

Michel-Ange, Génie de la Renaissance

"Ce que David a fait avec sa fronde, moi, Michel-Ange, je l’ai fait avec mon arc" (feuillet d’études conservé au Louvre)

Génie incontesté de la Renaissance, Michel-Ange Buonarroti (1475-1564) a su révolutionner l'art de son temps en donnant une interprétation très personnelle et libre des règles de la peinture, de la sculpture et de l'architecture. Avec l'énergie extraordinaire de son talent, il a créé des modèles inégalés dans les fresques de la Chapelle Sixtine, dans la Pietà, dans le Moïse, chefs-d'œuvre d'une personnalité titanesque, capables de bouleverser non seulement notre façon de voir l'art, mais aussi celle de considérer l'homme et le monde.
En effet, dans sa relation difficile et dramatique avec le monde d'une part et avec le divin d'autre part, l'homme est au centre de la poétique de Michel-Ange, qui a fait de la représentation de la figure humaine en mouvement le centre de toutes ses études et de ses intérêts.

David, œuvre monumentale et sublime

David, par Michel Ange
David by Michelangelo - Florence Galleria del l'Accademia

Le David de Michel-Ange

Parmi les nombreuses missions, la plus célèbre est sans aucun doute celle de l'exécution de la gigantesque statue de David (1501-04), conçue à l'origine pour la cathédrale florentine. L'œuvre présente un défi pour les capacités de Michel-Ange car on s'attend à ce qu'il réutilise un bloc de marbre déjà utilisé en partie par le sculpteur Agostino di Duccio au XVe siècle. Le combat de David - héros biblique, roi d’Israël, mais surtout jeune berger- contre Goliath, est un épisode biblique, tiré du premier livre de Samuel. L’artiste ne le représente pas dans la fureur du combat ni triomphant sur la dépouille de son adversaire –comme c’est le cas avec le David de Donatello mettant un pied sur la tête de son ennemi.

Il choisit au contraire l’instant crucial qui précède l’action où toute la tension de David se ressent en premier lieu dans la position des mains, les veilles saillantes, le front irrité, mais aussi dans la détermination du regard. Le David de Michel-Ange est une dynamique saisie dans cet instant de la latence qui précède son déchainement. La posture est naturelle, équilibrée, aérienne, concentrée et suggère le mouvement grâce à la posture dite du « contrapposto »  (où un déhanchement porte le poids du corps sur une seule jambe).
On croirait presque voir l’œuvre de marbre blanc bouger sous nos yeux. Il s’agit d’un homme fait, éclatant de jeunesse et de virilité. Mais l’œuvre n’a pas qu’une vocation illustrative chrétienne, ce corps antique -qui rappelle Hercule, héros protecteur de la ville- et cette thématique biblique ont une intentionnalité civique. L’image du David exalte ce que la Renaissance considère comme des vertus civiques : La Force et la Colère intimement liées à l’idée de la défense des idées républicaines. Front et mains sont soumis à une même tension alliée à une glorification physique et morale du citoyen. Ce dernier est caractérisé par une tension musculaire dominée et une tension spirituelle exprimant le contrôle du héros sur son propre destin. Les formes puissantes et l'anatomie parfaitement étudiée confèrent au jeune homme les traits d'un dieu grec, faisant de lui un prototype de la beauté masculine.

Le David de Jules Cantini, à Marseille

Le David de Jules Cantini à Marseille
Le David de Jules Cantini à Marseille - Rond-Point du Prado

Quand on descend l’avenue du Prado à Marseille, l’odeur du sel, porté par les embruns et un léger mistral, chatouille déjà les narines. La mer est toute proche et les Marseillais le savent qui chaussent leurs lunettes de soleil avant d’attaquer la Corniche. Une magnifique statue nous salue : Le David.
C'est un rond-point, un lieu de rendez-vous, mais c’est surtout une figure emblématique de Marseille, une magnifique statue qui trône face à la mer, une copie du David de Michel-Ange offerte par le marbrier-sculpteur et mécène français Jules Cantini (Marseille 1826 - 1916). Devant la plage du Prado depuis 1949, elle fait tourner toutes les têtes.

Jules Cantini, marbrier, mécène et fils d’Italiens

En 1903 Gaétan Cantini, le père de Jules, maçon d’origine italienne, réalise la démolition de l’aqueduc de la Porte d’Aix en 1823 pour y réaliser l’arc de triomphe. Avec son épouse, Thérèse Farci, ils s’installent rue Longue des Capucins et ont de nombreux enfants dont Jules, le Cadet. Orphelin dès l’âge de 5 ans, Jules entre en 1837 à l’école de dessin et se marie avec Rose Lemasle en 1856. Il débute dans l’atelier de sculpture décorative que son frère a créé rue des Beaux-Arts et exploite les carrières de marbre rouge de Vitrolles puis achète des carrières de marbre à Carrare en Italie et en Algérie. On doit à ses ateliers la réplique du David de Michel-Ange, et bien plus encore. Fortune faite, il offre à la Ville de Marseille la Fontaine de la Place Castellane que son ami Joseph Allar a réalisée d’après ses dessins et bien d’autres œuvres. Jules Cantini acquiert un hôtel particulier et, grand amateur d’art, en fait don à la ville en 1916, afin qu’il devienne un musée consacré à l’art de notre temps : le musée Cantini.

Fontaine Jules Cantini par Allar, Place Castellane, Marseille
La Fontaine Jules Cantini par Allar, Place Castellane, Marseille

ET SI…

Et si on comparait le géant Goliath à ce virus qui sème l’effroi dans nos campagnes ? Il faudrait alors, tous ensemble, aider le jeune berger à ajuster sa fronde. Seuls les héros bibliques sont capables de délivrer le monde du mal. L’art, par contre, unit les peuples au-travers d’une aspiration universelle, celle de la culture qui ennoblit l’homme. L’avenir appartient aux hommes. A eux de créer les liens nécessaires entre chacun, entre chaque maison, chaque ville, chaque pays, pour créer, ensemble une humanité véritable.

En Italien

‘E se confrontassimo il gigante Goliath con questo virus che semina terrore nelle nostre campagne? Sarebbe quindi necessario, tutti insieme, aiutare il giovane pastore ad adattare la sua fionda. Solo gli eroi biblici sono in grado di liberare il mondo dal male. L'arte, d'altra parte, unisce le persone attraverso un'aspirazione universale, quella della cultura che nobilita l'uomo. Il futuro appartiene agli uomini. Spetta a loro creare i collegamenti necessari tra ciascuno, tra ogni casa, ogni città, ogni paese, per creare, insieme, una vera umanità.’