Publié le 12/07/2020

Le théâtre antique de Vaison la Romaine, un patrimoine vivant à redécouvrir

En ces temps de redécouverte post-confinement, une promenade dans une ville riche de culture et de patrimoine est l’un de ces plaisirs que l’on ne se refuse pas. Pourquoi pas Vaison-la-Romaine ? Tout est à portée piétonnière et en quelques instants on traverse à grand pas et sans problème de distanciation une longue histoire où se côtoient la modernité de nos contemporains et l’Antiquité du Haut Empire, où se revivent les rencontres avec Claude, Domitien, Hadrien et Sabine, figures impératrices et tutélaires d’un théâtre romain monumental qui a connu une histoire contrastée. C’est ainsi que peut commencer une série de visites ponctuées ensuite par quelques haltes dans la ville basse à dominante gallo-romaine et dans la cité médiévale dominée par le château des comtes de Toulouse. En route donc pour découvrir ou redécouvrir le théâtre antique de Vaison-la-Romaine ressuscité après seize siècles de relâche.

Le theatre antique de Vaison la Romaine en 1907 ©AA

Revisiter Vaison-la-Romaine et son Théâtre Antique, parcourir son histoire, et comprendre ces rencontres qui ont fait de ce lieu, un site insolite.

Le Théâtre Antique de Vaison-la-Romaine, un des théâtres les mieux restitués dans une ville fortunée Vaison, dite « la-Romaine » depuis 1924, est une cité surprenante à bien des égards. L’été, elle double sa population avec ses nombreux festivals et ses célèbres Choralies. « Hors saison », elle est une petite ville tranquille et commerçante avec ses 6 137 habitants recensés en 2020. À peu près autant qu’il y en avait, 2 000 ans en arrière, lorsque son théâtre pouvait accueillir toute la population avec ses 6 000 à 7000 places !

Ce n'est pas le plus grand théâtre de France : celui de Mandeure-Mathay, à proximité de Montbéliard, pouvait recevoir 17 000 spectateurs. Ce n'est pas non plus le plus ancien, qui se trouve à Fourvière dans la cité lyonnaise et dont la construction débuta sous le règne d’Auguste, vers 15 avant J.-C. Mais c'est un des mieux restaurés, même si son mur de scène n'a pas, comme à Orange, résisté au temps. C’est aussi le signe que Vaison était une ville prospère malgré son relatif éloignement du sillon rhodanien, et qu’elle aurait pu être baptisée « Vaison l’Opulente ».

Theatre antique vaison la romaine Reconstitution Golvin_AA
Reconstitution du théâtre avec son velum, par Jean-Claude Golvin ©AA

À la suite de ses diverses reconstructions, restaurations et mises aux normes dont les dernières ont été réalisées en 2008, le théâtre a pu retrouver ses fonctions de lieu de spectacles. Cette renaissance du théâtre a commencé au début des années 1930, en 1932. Certains se souviennent encore du « Prince de Hombourg » présenté en 1951 par Jean Vilar, en marge du Festival d’Avignon, de « Ion » la tragédie grecque d’Euripide adaptée par le scénariste Bernard Zimmer. C’est là que naît ensuite la tradition triennale des Choralies «À Coeur Joie » qui commencèrent en 1953 avec plus d’un millier de choristes. C’est là qu’aujourd’hui se poursuit le festival international de danse depuis 25 ans que seul un méchant virus a pu provisoirement interrompre.

Un théâtre qui a bien failli ne pas revoir le jour

Mais ce théâtre a bien failli ne pas revoir le jour. Avant 1900, le passant ordinaire, en suivant l’ancienne voie du chemin de fer qui reliait Orange à Buis-les-Baronnies, ne pouvait en voir que ces fameuses « lunettes » qui ont fait les délices de peintres admirateurs de vestiges anciens. C’est ainsi qu’on appelait familièrement les deux arceaux isolés émergeant d’un terrain privé d’un certain M. Joseph Jacquet, agriculteur et commerçant en vers à soie. Il fallait être archéologue et professeur d’histoire pour avoir l’idée de creuser au sens propre du terme la question et le sous-sol. C’est ce que fit le doctorant Joseph Sautel, prêtre de son état qui n’a cessé de fouiller la terre vaisonnaise pendant un demi-siècle, jusqu’à sa disparition en 1955.

Paroles de spécialistes

Prosper Mérimée (1903-1870)

En 1834, en passant à Vaison au cours de son voyage dans le Midi de la France, Prosper Mérimée, l’inspecteur général des Monuments Historiques et néanmoins auteur de « Carmen », n’y voit qu’un petit théâtre : « Au-delà du pont, vers la plaine au pied d'une petite éminence, on voit deux arcades antiques à grand appareil, et quelques restes de gradins taillés dans le roc. C’était là le théâtre, fort petit à en juger par le diamètre de son hémicycle ».

Chanoine Sautel au theatre antique de vaison la romaine©AA
Chanoine Sautel

Joseph Sautel (1880-1955)

Joseph Sautel ne fut donc pas le premier à découvrir l’existence du théâtre. Avant lui et avant Mérimée, le dessinateur architecte Joseph Marie Chaix, chargé des recherches autour des monuments antiques en Vaucluse, l’avait révélé en 1821. Mais les premiers coups de pioche exploratoires pour savoir ce qui se cachait vraiment autour des « lunettes » furent donnés par l’abbé Sautel et ses deux terrassiers en juillet 1907. Dès 1908, le prêtre archéologue est convaincu que le théâtre date du 1er siècle de notre ère et qu’il fut probablement démantelé au début du 5e siècle à la suite du décret d’Honorius, cet empereur décadent qui, en l'an 407, avait prescrit d’enfouir ou de briser les statues des divinités païennes.

Des statues impériales : Tibère, Claude, Domitien, Hadrien et Sabine

Les empereurs chez les Romains furent divinisés, objets d’un culte très ritualisé et souvent statufiés dans les niches des murs de scène des théâtres. De toutes les statues impériales découvertes sur les lieux du théâtre de Vaison, c’est d’abord le buste de Tibère (-42 – 37 ap.J.C) qui fut exhumé par le propriétaire des lieux en 1858-1859. Depuis 1860, il se trouve au musée Calvet d’Avignon.

Statue Sabine et Hadrien_AA
Statue de Sabine et Hadrien - Musée de Vaison-la-Romaine ©AA

Les hautes statues en pied de Claude (-10 – 54 ap.J.C), de Domitien (51-96), d’Hadrien (76-138) et de son épouse Sabine (83 ou 88-136), que l’on peut voir au musée archéologique « Théo Desplans », étaient enfouies dans la grande fosse de la scène. Et c’est en 1912-1913 que l’abbé Sautel les déterra en pièces détachées : d’origine elles étaient démontables, ce qui permettait de changer la tête afin de « la mettre à jour » pour les successeurs. Ce qui explique aussi que les diverses parties peuvent ne pas être de la même époque ni du même sculpteur : une des compétences des archéologues consiste donc à être un expert en puzzle. Les statues impériales sont toutes en marbre et mesurent entre 1,84 m et 2,16 m : il fallait qu’elles soient bien visibles de loin.

Hadrien, exhibitionniste ?

La superbe statue d’Hadrien posa au maire de Vaison de l’époque, Paul Buffaven, un problème … de morale publique. L’édile ne fut jamais vraiment convaincu que sa nudité « explicite » devait être perçue comme nudité « impériale ». La christianisation de Vaison avait fait son œuvre. Pour le rendre plus présentable, Paul Buffaven, qui s’occupait du musée, avait fait habiller le digne empereur de voiles tricolores précédemment destinés aux fêtes votives. Pierre Pellerin, l’auteur de « En ressuscitant Vaison-la-Romaine », nous raconte que l’abbé Sautel en avait bien ri et que les enfants venant visiter l’exposition s’amusaient à soulever ces jupes impériales pour bien voir les détails anatomiques qu'elles cachaient. Toutefois l’ecclésiastique et néanmoins sensible à l’art antique n’avait pas manqué de faire remarquer au maire, par ailleurs très coopératif, que la statue n’avait plus de forme et qu’«un torse inspiré d’Apollon n’était pas fait pour servir de porte-manteau » !
La petite histoire ne s’arrête pas là. Reconnaissant que son initiative n’était peut-être pas très heureuse, le maire décida de faire respecter l'Art en même temps que la décence en commandant à un serrurier des morceaux de zinc découpés en forme de feuilles de vigne pour en faire de « jolis cache-sexe » ...

À quoi servait le théâtre antique à Vaison-la-Romaine ?

Les théâtres romains, comme salle de spectacle grandioses, n’étaient cependant pas vraiment comparable au Zénith ou au Grand Rex du point de vue de leurs fonctions. Certes, des représentations s’y donnaient avec des tragédies, des comédies qui pouvaient aller jusqu’à de véritables bouffonneries. Mais au-delà du divertissement, il faut rappeler que cette scène publique était un lieu à la fois religieux et politique.

Le public que le théâtre reçoit est celui de la ville et de ses environs. À mesure que la société se romanise, les habitants se divisent globalement en trois strates sociales : une aristocratie formée de magistrats, de prêtres, de fonctionnaires, de membres des assemblées locales, une petite bourgeoisie dans laquelle on trouve des gens de métier, des « sévirs augustaux » qui sont de riches et honorable affranchis, et enfin la masse des esclaves et des affranchis. À l’orchestre, étaient réservées les places d’honneur. Les gradins – et c’est ce que la restitution du théâtre de Vaison ne montre pas – étaient séparés pour notifier ces positions sociales.

Il faut ajouter que ces grands spectacles gratuits se donnent à des moments particuliers de l’année : les « Jeux », qui sont des fêtes ritualisées avec des processions, des libations et des sacrifices, contrôlées par les autorités et financées sur des fonds publics. La séance de cinéma gratuite offerte chaque année au théâtre antique par la municipalité aux Vaisonnais n’en est donc qu’une très lointaine filiation.

Subventions et mécénat, soutiens vitaux de l’action archéologique

À l’évidence, sans subventions et sans le mécénat de Maurice Burrus qui s’est exercé de 1925 à la seconde guerre mondiale, Vaison-la-Romaine ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui : une ville culturelle particulièrement attractive.

Joseph Sautel parle beaucoup dans ses écrits de ses recherches de subsides quand il s’agit de fouiller, de produire des restitutions et de conserver vestiges et objets. Pour ce faire, l’administration des Beaux-Arts a donné des subventions mais sans commune mesure avec la contribution du mécène Maurice Burrus.

le mecene Maurice Burrus du theatre antique de vaison la romaine©AA
Le mécène Maurice Burrus ©AA

Maurice Burrus (1882-1959)

Maurice Burrus, homme d’affaire considéré comme le roi du tabac suisse, avait accumulé une fortune considérable. Après un voyage en Grèce, cet Alsacien, plutôt taciturne, se découvre une nouvelle passion : l’archéologie. À l’occasion d’une inspection et d’une partie de chasse organisée en Alsace, Jules Formigé, architecte en chef des Monuments historiques et « fan » de Vaison, rencontre le milliardaire. Le premier fait valoir la richesse archéologique de la capitale voconce où toute une ville est à explorer, et le second fait connaître son intérêt pour la préservation de l’héritage gréco-latin. C’est ainsi que l’homonyme de Sextus Afranius Burrus, le précepteur vaisonnais de Néron, va proposer de combler les lacunes du budget des Beaux-Arts.

Dans les années 1910, l’administration des Beaux-Arts avait commencé à subventionner la recherche archéologique à hauteur de 500 francs de l’époque pendant trois ans. De 1925 à 1939, ce sont 14 millions de francs que Maurice Burrus versera pour le même objet à Vaison, devenue « Vaison-la-Romaine ». Burrus se prit d’amitié pour le maire de la ville, Ulysse Fabre, chez qui il séjournait avant d’acheter une maison en plein centre historique. Sautel, Formigé, Burrus, Buffaven, Fabre, voilà les noms des personnalités majeures qui ont modelé cette petite ville provençale que les visiteurs, épris de patrimoine, aiment parcourir en toute saison.

C’est dire que passion, finances, rigueur scientifique, ténacité et opportunisme, au sens positif du terme, ont été quelques-uns des ingrédients qu’ont su associer des personnalités, dont la rencontre, sans être due au seul hasard, n’était pourtant pas programmée à l’avance.

Photo à la Une : Le théâtre antique de Vaison-la-Romaine en 1907, quand les gradins étaient enfouis sous les restanques de M. Jacquet. ©AA

Autres articles :
Vaison-la-Romaine : Histoire, Art et Culture se rejoignent en Pays Voconces
Le Forum de Vaison-la-Romaine, centre vital de la cité antique

Des visites guidées des sites archéologiques sont organisées par la ville.
Du 1er juillet au 27 septembre 2020
Pour toute demande de renseignements :
04 90 36 50 48
www.vaison-la-romaine.com

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