- Auteur Léa-Sarah Perez
- Temps de lecture 8 min
« Métamorphoses » au Festival International de musique de chambre de Salon-de-Provence : un concert exceptionnel sous le ciel de Provence
Ce mercredi 30 juillet, le Festival International de musique de chambre de Salon-de-Provence nous a offert une expérience incontournable au sein du Château de l’Empéri. Rassemblant chaque année les plus grands solistes du monde, le festival nous a concocté un programme unique, mêlant compositeurs de renom et œuvres plus confidentielles.

Paul Meyer – Benedict Kloeckner ©Léa-Sarah Perez
Retour sur un programme saisissant, entre incontournables et œuvres de niche du répertoire classique, lors du concert du 31 juillet 2025, au Festival International de Salon-de-Provence, "Métamorphoses", au Château de l'Empéri. Les fondateurs et directeurs artistiques du Festival International de musique de chambre de Salon-de-Provence sont : Paul Meyer, Eric Le Sage et Emmanuel Pahud.
Concert "Métamorphoses" au Festival International de musique de chambre de Salon-de-Provence
Trio pour clarinette, violoncelle et piano en la mineur opus 114, Johannes Brahms
Paul Meyer (clarinette), Benedict Kloeckner (violoncelle) et Éric Le Sage (piano)
Notre soirée s’ouvre sur le Trio pour clarinette, violoncelle et piano en la mineur opus 114 de Johannes Brahms, interprété par Paul Meyer (clarinette), Benedict Kloeckner (violoncelle) et Éric Le Sage (piano).
Allegro
Inspirée par le clarinettiste Richard Mühlfled, l’œuvre débute avec le premier mouvement Allegro introduit par le violoncelle, jouant un motif ascendant, rapidement rejoint par des accords plaqués au piano. La clarinette fait ensuite son entrée, interprétant la mélodie principale. La clarinette, au jeu fin et sensible, nous charme par son timbre boisé et sa sonorité riche. Tout au long du mouvement, Brahms nous transporte dans une atmosphère mystérieuse et nostalgique, parfois torturée, tel un souvenir ancien refaisant surface—notamment grâce à l’alternance entre les modes majeurs et mineurs.
Adagio
Le deuxième mouvement, Adagio, est une véritable déclaration d’amour. La mélodie principale, restant à la clarinette, donne lieu à un jeu de question-réponse entre celle-ci et le violoncelle — procédé récurrent dans l’œuvre. Le piano, au phrasé ricochant, offre une sonorité cristalline, également retrouvée dans le jeu de la clarinette. Le violoncelle, quant à lui, propose une sonorité plus dense et sobre, tout en restant passionnel.
Andantino grazioso
Andantino grazioso, le troisième mouvement, nous plonge dans un univers plus léger et joueur, où réapparaît le dialogue entre violoncelle et clarinette. Sa fin angélique, marquée par une gamme ascendante et des notes tenues au piano nous introduit au quatrième et dernier mouvement. Allegro, débutant dans un tempo vif avant de retrouver une métrique plus modérée, développe un caractère mystérieux et nous mène à un final majestueux, certifiant ce trio comme l’une des révélations de la soirée.

Quatuor en mi bémol majeur opus 47 de Robert Schumann
Daishin Kashimoto (violon), Amihai Grosz (alto), Benedict Kloeckner (violoncelle) et Éric Le Sage (piano).
La seconde œuvre de notre programme, Quatuor opus 47 en mi bémol majeur de Robert Schumann, est interprété par Daishin Kashimoto (violon), Amihai Grosz (alto), Benedict Kloeckner (violoncelle) et Éric Le Sage (piano).
Composé en même temps que le Quintette avec piano, ce quatuor est longtemps resté dans l’ombre. Une première publique se tient en 1844 avec Clara Schumann au piano, deux ans après la première privée où Felix Mendelssohn tient la partie pianistique.
Sostenuto assai—allegro ma non troppo
Le premier mouvement, Sostenuto assai—allegro ma non troppo, nous plonge dans une ambiance presque lugubre. Le second thème principal, basé sur un choral ancien (Wer nur den lie en Gott lässt walten) provoque une sensation aigre-douce, soutenue par des harmoniques riches en couleur.
Scherzo molto vivace - Andante cantabile
Scherzo molto vivace, au tempo plus rapide, offre une rare opportunité à l’alto de briller comme instrument soliste, chose peu fréquente dans le répertoire classique.
Le troisième mouvement, Andante cantabile met en lumière le violoncelle dans un solo empreint de mélancolie. Imprégné dans le thème de la solitude, il atteint une apothéose dans l’expression des émotions de Robert Schumann.
Finale vivace
Enfin, le Finale vivace, au tempo rapide et au caractère joyeux et séducteur, nous plonge dans l’univers d’un amour se développant. Fugué, ce dernier mouvement est très exigeant au niveau technique, notamment définit par son final éclatant.
Extraits de préludes, Claude Debussy
Hyo-Eun Park (piano)
Notre soirée se poursuit avec une sélection de préludes de Claude Debussy, interprétés par la jeune pianiste Hyo-Eun Park.
Livre 1 : n°5 Les Collines d’Anacapri
Livre 1 : n°5 Les Collines d’Anacapri trouve son inspiration dans l’île italienne que Claude Debussy affectionnait particulièrement. À l’ouverture douce et aérienne, l’œuvre exige une technique pointue. Son caractère rebondissant et brillant, où l’on retrouve le rythme de l’Habanera, ainsi que l’usage du mode pentatonique. Tout au long de l’œuvre, nous avons également la présence de staccatos marqués et des alternances de tempo vif et lent, nous plongeant dans une sensation inconfortable.
Livre 1 : n°6 Des pas sur la neige
Le deuxième extrait des préludes, Livre 1 : n°6 Des pas sur la neige au tempo lent, utilisent les modes mixolydien et dorien, offrant une couleur harmonique particulière. Les harmonies, à la fois brillantes et sombres nous transporte dans une atmosphère morose, remplie de solitude. Des pas sur la neige est sans aucun doute l’un des préludes où les plus représentatifs de l’impressionnisme debussyste, nous invitant à écouter et à partager un voyage solitaire dans la neige, au rythme de nos pas.
Livre 2 : n°8 Ondine
Livre 2 : n°8 Ondine, puise son inspiration de la mythologie germanique, « ondine » symbolisant les nymphes aquatiques (résidants notamment dans les rivières). Le thème principal de l’œuvre coule et scintille comme une eau vive, s’écoulant sur les pierres. Composée de différents motifs, de nombreux frottements et dissonances font leur apparition, souvent rapidement résolus, résultant en un sentiment d’acharnement, tel un courant tempétueux.
Maiblumen blühen überall d’Alexander Zemlinsky
Daishin Kashimoto (violon), Clémence De Forceville (violon), Amihai Grosz (alto), Joaquin Riquelme Garcia (alto), Benedict Kloeckner (violoncelle), Zvi Plesser (violoncelle) et Alma Sadé (soprano)
Maiblumen blühen überall d’Alexander Zemlinsky (interprétée par Daishin Kashimoto, Clémence De Forceville, Amihai Grosz, Joaquin Riquelme Garcia, Benedict Kloeckner, Zvi Plesser et Alma Sadé est une œuvre remarquable par son originalité.
Inachevée, elle fut retrouvée sur une esquisse de Es war einmal. Composée après sa rupture avec Alma Schindler, nous retrouvons le caractère torturé et obsessionnel d’un amant achevé par sa tristesse. Son ouverture jouées aux cordes nous plonge doucement dans une torpeur, évoquant un état de semi-conscience. Maiblumen blühen überall est riche en harmonies et couleurs, infusées de dissonances.
L’entrée de la soprano Alma Sadé marque un tournant, livrant les confessions d’une âme perdue, à la fois passionnelle et tourmentée, au bord du désespoir. Au fil de l’œuvre, l’atmosphère s’assombrit, tel un amant se renfermant sur lui-même dans sa douleur. La reprise du thème initial aux cordes, offre une brise d’air frais au caractère aigre-doux, semblable au retour d’un souvenir douloureux. Les dernières notes, suspendues, font écho aux dernières paroles du poème chanté : « Et le soleil—cette vielle divinité aveugle—l’a brûlé à mort, là, debout, dans les blés mûrs. », signant le dernier souffle expiré de notre protagoniste.
Métamorphoses de Richard Strauss
Notre soirée se clôture avec les Métamorphoses de Richard Strauss, inspirée par La Métamorphose des plantes de Goethe. En deuil, le compositeur se livre à l’auditeur son inquiétude pour le futur de son pays, dévasté par la Seconde Guerre mondiale. Marqué par la quête de soi, Métamorphoses se compose de cinq thèmes.
L’ouverture, confiée aux cordes, est une véritable lamentation, amplifiée par le violon solo et son timbre sombre. Le tempo lent nous donne parfois l’impression d’être parfois au ralenti, comme suspendus hors du temps. Les différents thèmes se répétant tout au long de l’œuvre, nous plongent dans un tourment, avec notamment le quatrième thème, aux phrases musicales semblables à des questions, renforce cette impression de tourment intérieur.
Par moments, nous avons une sensation d’espoir où la musique s’éclaircit est devient plus tendre et enjouée, tel l’apparition du soleil après l’orage. Peu à peu, les sonorités sombres et légères se coïncident dans un tempo plus vif, résultant en une sorte de chaos musical, métaphore de pensées se bousculant dans l’esprit du compositeur. Cette tension est accentuée par l’usage de la méthode question-réponse, notamment entre le violon et l’alto. Le final, sombre et suspendu nous laisse bouleversés, bousculés par nos propres pensées.
Les Métamorphoses est un concert sensationnel, nous introduisant à différents répertoires musicaux, au message poignant de la recherche de la paix et de la reconstruction après guerre.