Publié le 09/04/2021

Rencontre avec Fabien Gauthier, dernier artisan fresquiste de la ville de Menton : “Homme de l’art !”

Fabien Gauthier, aujourd’hui, seul fresquiste du patrimoine de la ville de Menton, artisan dans l’âme, restaure frises et fresques d’antan, tout en créant celles de notre temps. C’est par sa première passion la peinture que Fabien a découvert le beau métier de fresquiste. Sur la Côte et à l’étranger, il s’attache  à transmettre son savoir-faire à la jeune génération. Nous vous proposons d’entrer dans l’univers très personnel de l’artiste le temps d’une rencontre où il est question d’apprentissage, d’amour du travail bien fait, et du monde de l’art en général.

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Fabien Gauthier est un artiste complet, aujourd’hui seul fresquiste de la ville de Menton. Fresquiste du troisième millénaire, Fabien Gauthier restaure les frises de Menton, ces "rubans du patrimoine".

Fabien Gauthier, dernier artisan fresquiste de la ville de Menton

Vœux 2021 de l'artiste.

Fabien Gauthier, depuis plus de trente ans, exerce l’art du décor, l’art des fresques, des frises et du trompe-l’œil et ce dans le respect de la technique antique, en « artisan ». Tout un état d’esprit est compris dans ce joli mot « artisan », l’un des plus nobles de la langue française… Artiste peintre à ses heures de loisirs, tendance réaliste, surréaliste, c’est le métier de fresquiste qui a fait de lui un artiste à temps plein : Fabien vit son rêve en « gagnant sa vie » : un brin rebelle : « On n’est pas artiste pour se gaver » me dira-t-il avec son franc-parler.

Pour faire de sa passion un métier, Fabien Gauthier a beaucoup appris, pas seulement la technique. Une technique sans imagination reste une technique… Alors, tout jeune, il s’est piqué au jeu d’approfondir la grande Histoire du patrimoine de sa belle ville de Menton, dont année après année, jour après jour, par ses connaissances, il a pu faire renaître le passé, redonnant vie aux frises effacées par le temps qui passe, aux plafonds des belles demeures d’antan. Par ses savants traits de pinceau, volutes, fleurs, fruits, imaginés par lui ou par les maîtres de l’art du passé, si nous levons la tête « le nez en l’air » font notre admiration.

Aujourd’hui, seul fresquiste de la ville de Menton, Fabien s’attache à transmettre son savoir-faire à la jeune génération à travers des stages d’une dizaine de jours, histoire de susciter des vocations, pour un métier physiquement dur, mais un métier de passion qui se mérite : un métier qui rend heureux…

Rencontre avec un artiste complet

Viviane Le Ray - ProjecteurTV : Fabien Gauthier, vous êtes artisan-fresquiste, autrement dit « homme de l’Art », le métier ancestral qui consiste à restaurer ou créer, des fresques, des frises, des trompe-l’œil, a-t-il toujours, en 2021, un bel avenir ?

Fabien Gauthier : Le métier de fresquiste a un avenir puisqu’on peut recréer dans le même esprit artisan, c’est-à dire travailler directement sur site, ou bien, c’est plus courant aujourd’hui travailler sur toile ou sur papier et appliquer des collages sur tout ce qui est plafond. Car le plafond c’est quand même physiquement ce qui est le plus dur pour le corps humain en raison des positions très peu confortables. Il est un fait que travailler en atelier sur un support vertical est moins pénible et permet d’avoir une meilleure dextérité. Aujourd’hui, grâce, ou à cause, du numérique on peut travailler sur une toile en atelier, l’inconvénient est que le rendu visuel sera mécanique, donc très régulier comme un papier peint, tandis que le travail à la main présentera toujours le petit accident malheureux, mais qui fera tout le charme : une feuille pas tout à fait tournée dans le même sens, une couleur un peu plus puissante qu’une autre, le résultat sera plus de poésie… Mais on peut très bien aussi faire de petites retouches au pinceau pour redonner un peu de cette poésie perdue. Donc le métier ne s’arrêtera jamais. Le plus difficile à l’heure actuelle c’est de trouver des volontaires, fresquiste est un métier de passion si on veut le faire en véritable artisan « à l’ancienne ».

Viviane Le Ray : Êtes-vous encore aujourd’hui, plusieurs artisans-fresquistes à Menton ?

Fabien Gauthier : Vraiment artisan, je suis tout seul. Mais j’ai deux collègues qui travaillent avec moi et j’accepte des gens en stages, de préférence des jeunes pour les initier et que le métier perdure. Il faut faire confiance à l’avenir, même si les volontaires se raréfient, il existera toujours des passionnés. Le problème est de réussir financièrement dans ce métier et trop souvent la jeunesse actuelle veut de l’argent, beaucoup d’argent et tout de suite ! Personnellement, entre le moment où j’ai commencé à réaliser, créer du décor, à obtenir la maîtrise, une bonne qualité de travail, pour prétendre à un potentiel de clients, il m’a fallu quand même une quinzaine d’années. J’ai débuté dans le métier à 30 ans, à 45 ans je commençais à gagner ma vie. C’est la vie d’artiste… Après tout on ne fait pas ce métier pour se gaver ! Du moins c’est mon opinion. Le problème de la jeunesse actuelle, c’est qu’elle parle argent avant de parler travail. Avant de gagner cet argent, il faut apprendre.

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Viviane Le Ray : Des écoles de formation de fresquistes existent-elles, et si oui font-elles la part belle à l’imagination, à la liberté de créer de l’élève ?

Fabien Gauthier : Même si elles sont quelque peu dictatoriales, les écoles de beaux-arts sont nécessaires pour apprendre la technique. Il est certain qu’on a plus d’imagination en étant indépendant tout à fait, mais les jeunes lorsqu’ils sortent de l’école sont encore malléables… Si l’étudiant est cultivé et intelligent, il comprendra que le professeur n’est la panacée, il ira à la découverte de cet art de la fresque par lui-même, à l’instar des Compagnons du Tour de France qui allaient de ville en ville, de village en village, travailler à chaque étape avec un nouveau patron, de nouvelles méthodes. Chacun a sa technique, au jeune de trouver, d’inventer, créer. Il faut oser !

Ce qu’il faudrait, c’est créer des écoles vraiment spécialisées dans l’art de la fresque. Apprendre l’histoire de l’art, le dessin, l’infographie c’est important, mais ensuite il faudrait un enseignement axé sur la fresque, la frise et le trompe-l’œil, une école où le jeune aurait le temps d’approfondir ses connaissances pour devenir dans la vie tout à fait libre… Au départ, je dois avouer que le passé ne m’intéressait pas, j’ai appris à l’aimer. On apprend quand on se retrouve confronté in situ à un projet sur le patrimoine, alors on se documente et on se pique au jeu et on aime passionnément découvrir l’histoire d’une ville, d’une maison, sans oublier, c’est émouvant, et source d’inspiration, le passé de ceux qui y ont vécu. Après, place à l’imagination. On a le droit de créer une nouvelle forme de décor adapté à notre siècle on n’est pas voué à ne faire que du classique. On peut faire du contemporain, même du design. Le geste du peintre c’est le geste du peintre, après bien sûr il y a la volonté, le désir du client. C’est sympa aussi !

Viviane Le Ray : Vous avez, et travaillez toujours au Service du Patrimoine de la ville de Menton ?

Fabien Gauthier : J’ai pas mal travaillé sur le patrimoine de Menton, beaucoup pour des entreprises qui refont des façades, la restauration ou la création de plafonds chez des particuliers qui me contactent ou bien comme ça m’est arrivé récemment sur un ancien hôtel de Menton devenu l’École de Turin : 200m² de plafond, réalisé en 10 jours, avec des jeunes apprentis fresquistes, nous étions était six à travailler. Un ouvrage d’art passionnant, exceptionnel sur un décor mauresque. J’espère seulement que les enfants ne regarderont pas que leur assiette mais lèveront les yeux pour regarder le plafond de leur cantine, j’espère aussi qu’un professeur leur aura expliqué que la décoration de ce plafond a été réalisée il y a peu de temps, ce qui pourrait donner l’idée, ne serait-ce qu’a un ou deux élèves de l’École de Turin, que le métier de fresquiste, ça pourrait être un beau métier… Il faut parler culture aux enfants qu’ils sachent aussi qu’un métier de passion peut faire vivre et rend heureux !

Viviane Le Ray : A vos heures de loisirs, vous êtes aussi artiste peintre. Comment qualifieriez-vous votre peinture personnelle ?

Fabien Gauthier : En raison du manque de temps de par mon métier, je peins un peu moins mais j’ai toujours sous le coude des envies d’atelier bien sûr. Avec des amis artistes nous avions un projet juste avant la Covid : nous voulions créer des ateliers avec une galerie ; un partenariat autour du patrimoine avec des photographes, des peintres, des sculpteurs, et la création de manifestations, dont un concours de fresques et de frises sur les murs, dans les rues, démontables. Le Maire souhaitait même les laisser vivre à l’année… Cela pourrait toujours se faire mais, comme tous les artistes, on est un peu en rade. On attend, mais c’est dur d’attendre car les années passent… « Attendre » c’est un peu le problème actuel français, on n’a pas confiance, il y a d’autres priorités… Ça peut se comprendre mais la culture fait partie de la vie. C’est notre vie à tous. Là où il y a de bonnes volontés comme nous, il faut en profiter. Nous ne demandons pas d’argent, seulement l’autorisation de « faire » et un lieu pour « faire » !

Viviane Le Ray : Vous avez débuté la peinture, c’est assez rare de nos jours : « Peintre au Chevalet » ?

Fabien Gauthier : Au départ c’était la passion de ma vie, mais il est difficile d’en vivre ! Avant de devenir fresquiste je peignais nuit et jour. Et puis, j’ai pas mal bourlingué à travers le monde, je suis allé tenté ma chance aux États-Unis, là je suis tombé sur des fous furieux, qui me disaient « votre peinture est très belle faites-moi quarante tableaux par mois », la peinture à la chaîne c’est pas mon truc. A l’époque mon style était une peinture réaliste, surréaliste, ce qui implique d’y consacrer du temps… Après je peux prendre un sceau d’eau et une serpillère et faire du grand format. Mais est-ce vraiment de la peinture ? J’appellerai ça un divertissement… Plus le balai est grand plus on couvre de surface, le hasard prodigue bonne ou malchance. Je n’ai pas de temps à perdre à penser à ma publicité !

Viviane Le Ray : Les critiques d’art, bien souvent, doux euphémisme, n’éloigneraient-ils pas de l’art « l’homme de la rue » par leur jargon intello, destiné à une soi-disant élite ?

Fabien Gauthier : Exactement ! Cela s’appelle infantiliser les gens… La musique on l’écoute, l’art on le regarde, on a le droit d’aimer ou ne pas aimer, on ressent ou ne ressent pas une émotion, chacun reçoit différemment une œuvre. C’est l’émotion qui relie l’œuvre à telle personne, c’est l’émotion qui fait naître un tableau… L’intellect passe par le virtuel, le virtuel par l’abstraction. L’abstraction totale c’est le grand vide, c’est le néant total… Les « forts » donnent toujours une explication, on peut s’en échapper par l’ironie ou adhérer, les prétendus « faibles » désabusés, quittent une exposition malheureux et n’ont plus de perspectives. Je n’ai plus rien à faire de ce monde-là.

C’est à nous de leur échapper, d’être à la hauteur, de fuir ce monde au brouhaha permanent. Un artiste doit se mettre à la portée de tous. Si on a envie de partager il faut partager, partager donc avec beaucoup, pas qu’avec les prétendues élites ! Toutefois pour « faire du fric » c’est une solution les élites ! C’est peut-être là qu’on a pêché en voulant plaire à tout le monde ! Bientôt avec la multiplication (pas des petits pains) mais des vaccins on aura pléthore de collectionneurs d’art, de futurs Bernard Arnaud. Il en faut mais qu’ils dépensent leur argent intelligemment ! Plus je connais la vie plus j’apprécie la mort, sans souffrance si possible, mais pour le moment, la fuite dans les alpages c’est pas mal non plus ! Ce monde moderne ne nous mérite pas… Courage fuyons !