- Auteur Philippe Depetris
- Temps de lecture 8 min
Beatrice Rana : « pour moi être pianiste, c’est un style de vie ! »
Pour Beatrice Rana, être pianiste est bien plus qu’un métier : un style de vie rythmé par la création, l’émotion, la virtuosité et le partage. Rencontre avec la pianiste lors d’un concert cet été au festival de musique de chambre de Saint-Paul de Vence invitée par le quatuor Modigliani.

© Simon Fowler Warner Classics
L’Italie a donné à la musique de formidables pianistes depuis Arturo Benedetti Michelangeli à Maurizio Pollini en passant par Maria Tipo pour ne citer qu’eux. Une nouvelle génération marche allègrement sur leurs traces, la pianiste Beatrice Rana. En concert au festival de musique de chambre de Saint-Paul de Vence invitée par le quatuor Modigliani, après avoir été en résidence à Radio-France lors de la saison 24-25, la pianiste fait particulièrement honneur à cette école italienne du piano.

Née en 1993 à Copertino, dans la région des Pouilles dans la province de Lecce au sud de l’Italie, Beatrice Rana grandit dans un foyer où la musique est reine. Son père pianiste et chef de chant à l’Opéra de Bari, sa mère, professeur de solfège transmettront à la jeune Beatrice et sa sœur Ludovica, violoncelliste, l’amour de l’art et de la musique. Avec le piano d’abord, un compagnon de jeu avant de devenir pour elle un compagnon de vie.
Beatrice partage avec son instrument un lien profond et quasi viscéral. Malgré les exigences du travail intense et quotidien qu’elle s’impose et d’une rigueur qu’elle tient de celui qui l’a formée, Benedetto Lupo, la musique reste pour Beatrice un plaisir à partager.
Pour elle, le concert est un moment unique, à la fois spirituel et humain tel un rituel qui unit les musiciens au public et qui donne tout son sens à sa pratique du clavier.
De l’Italie du Sud aux grandes scènes internationales, Beatrice Rana présente un parcours fait d’exigence, de curiosité et d’une liberté artistique patiemment conquise, ce qui en fait sa singularité.
Elle définit la musique classique comme un langage vivant, jamais figé, où l’interprétation rime avec engagement personnel. Une parole sincère et exigeante, entre passion, transmission et liberté retrouvée.
Beatrice Rana, rencontre avec la pianiste
Comment êtes-vous venue à la musique et au piano ?
Beatrice Rana : Tout naturellement. Mes parents étaient musiciens et mon père pianiste lyrique. J’ai donc grandi avec ma sœur dans les coulisses de l’opéra et baigné dans la musique et le chant depuis mon plus jeune âge.
A partir de quel moment avez-vous compris que vous deviendriez pianiste concertiste ?
Beatrice Rana : J’ai touché pour la première fois le clavier d’un piano à l’âge de 3 ans. C’était comme un jeu puis peu à peu j’ai compris que c’était là ma vocation. A 14 ans je savais que je voulais devenir concertiste.

Quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Beatrice Rana : Il y a 30 ans que j’ai commencé à jouer du piano, et je suis heureuse parce que je n’ai jamais été considérée comme une enfant prodige ce que je n’aurais pas aimé. Le piano a toujours été au centre de ma vie mais mon parcours a été très graduel avec beaucoup de travail chaque jour bien sûr mais j’ai eu la chance de grandir à la maison dans mon environnement familial, ce qui a été très important pour moi. J’ai eu une enfance très heureuse avec ma famille et mes amis. C’était important pour moi parce que ce n’est pas courant chez les jeunes musiciens qui doivent souvent très tôt aller étudier loin de chez eux
Que représente le concert pour vous ?
Beatrice Rana : J’ai la chance de jouer maintenant dans le monde entier avec des orchestres formidables et des chefs extraordinaires. Le concert est pour moi un moment magique au cours duquel on partage la part la plus intime de soi. Je pense que c’est aussi une parenthèse heureuse pour les 100, 200, 1000, 2000 ou 3000 personnes qui y assistent et qui peuvent laisser de côté leurs soucis du quotidien, leurs téléphones portables et les réseaux sociaux, pour profiter pleinement de ce partage. C’est un privilège de pouvoir écouter et partager la musique surtout dans ce moment spécifique où le monde ne va pas très bien. C’est un moment d’humanité très fort.
Comment expliquez-vous votre connivence et ce rapport privilégié que vous instaurez avec le public à chacune de vos apparitions sur scène?
Beatrice Rana : J’ai toujours donné à chaque concert le maximum. Le concert est le moment de ma vie le plus intense pas seulement en tant musicienne mais en tant que personne et être humain. Je pense que le public ressent cela. J’essaie de communiquer avec lui le plus honnêtement, en étant la plus présente possible. J’ai toujours essayé de trouver et de nourrir ce lien d’humanité essentiel qui doit exister entre l’artiste et le public. Etre musicien c’est un métier mais pas seulement ! C’est offrir des instants de beauté, de pureté et de communication qu’il faut savoir apprécier que l’on soit interprète ou auditeur.
Vous avez un répertoire très vaste. Quels sont vos œuvres ou vos compositeurs préférés ?
Beatrice Rana : La chance que nous avons nous les pianistes, c’est de posséder un répertoire magnifique et d’une grande richesse écrit par des compositeurs souvent géniaux. Bien sûr Jean-Sébastien Bach reste pour moi une référence mais il y en a tant d’autres que je fréquente avec bonheur ! Pour ma part je suis toujours en mode recherche parce qu’il faut trouver un équilibre entre les pièces les plus connues et celles moins connues et qui méritent de l’être. D’autre part je considère qu’il est important de bien choisir non seulement les compositeurs mais aussi les œuvres qu’ils ont écrites. J’ai besoin de trouver cet équilibre et de me sentir en confiance avec les pièces que j’interprète. Par exemple certaines sonates de Beethoven me conviennent mais pas forcément toutes. Le choix est donc important.
Vous composez ?
Beatrice Rana : J’ai étudié la composition pour mieux comprendre ce que je jouais mais je pense que n‘ai pas suffisamment de talent pour composer. Et puis il faut aussi du temps et j’en consacre beaucoup à mon piano.
La création contemporaine vous intéresse ?

en mode détente ©Philippe Depetris
Beatrice Rana : Oui beaucoup. J’ai créé par exemple cette année un concerto d’Eric Montalbetti dans le cadre de ma résidence à Radio-France. Chaque année je suscite des créations de compositeurs italiens et autres dans mon festival. C’est important pour moi de mettre à l’honneur les compositeurs de notre époque mais aussi d’inspirer leurs créations. Car la musique d’aujourd’hui offre le plaisir de la découverte et me permet de trouver un véritable espace de liberté.
Vous revenez souvent en France et à Saint-Paul-de-Vence ?
Beatrice Rana : J’adore la France et tout particulièrement St Paul de Vence et j’adore mes amis du quatuor Modigliani. J’ai été accueillie ici merveilleusement dès la 1ère fois où je suis venue à leur invitation dans ce magnifique festival qu’ils organisent. Ici c’est le bonheur pour moi. Nous avons partagé beaucoup de projets avec ce quatuor. Ce sont des musiciens extraordinaires. Ils sont à la fois dans l’excellence et dans l’humain. On a en quelque sorte grandi et évolué musicalement ensemble. Je les ai également invités dans le festival que j’ai créé et que j’anime chez moi à Lecce. Je suis quelqu’un de très fidèle dans mes amitiés et mes collaborations musicales.
Vous la partagez aussi avec votre compagnon Massimo Spada avec qui vous avez joué cette année à Saint-Paul?
Beatrice Rana : Comme je l’ai dit, pour moi la musique a toujours été une affaire de famille. J’ai partagé la musique avec mes parents et ma sœur violoncelliste et j’ai la chance de la partager ma vie avec mon compagnon Massimo qui est aussi pianiste. C’est un style de vie que j’apprécie. On travaille beaucoup ensemble avec les mêmes centres d’intérêt et cela nourrit notre créativité.
Comment gérez-vous cette carrière qui ne cesse de prendre de l’importance ?
Beatrice Rana : Mon objectif principal c’est de préserver la joie de jouer pour pouvoir donner à chaque concert le maximum et garder le plaisir. C’est pour cela que je suis très sélective avec les concerts et les collaborations. Je suis heureuse car j’essaie aussi de prendre le temps de vivre et de penser, d’être équilibrée et pour cela il faut absolument tâcher de maîtriser le tourbillon infernal que devenir une carrière
Pour moi être pianiste c’est un style de vie !