- Auteur Marie-Céline SOLÉRIEU
- Temps de lecture 8 min
Entre Bach et Vivaldi… Interview exclusive de Nemanja Radulović au Festival de Musique de Menton
Entretien exclusif avec Nemanja Radulović lors de son concert avec l’Ensemble Double Sens au Festival de Musique de Menton, le 23 juillet, entre Les Quatre Saisons de Vivaldi et les 3 concertos de Bach, offrant une interprétation unique de sensibilité.

© Loïc Lafontaine / Ville de Menton
Nemanja Radulović était en concert au festival de Musique de Menton, ce 23 juillet 2025, pour ouvrir la 76ème édition dans la série des Grands Interprètes, sur le parvis de la Basilique Saint-Michel.
Avec son Ensemble Double Sens, orchestre de chambre fondé en 2008 et réunissant ses musiciens préférés de France et de Serbie dans un esprit de famille, le violoniste virtuose a interprété Les Quatre Saisons de Vivaldi ainsi que trois concertos de Bach, offrant une interprétation unique, empreinte de sensibilité.
Après ce concert qui affichait complet, Nemanja Radulović nous a accordé une interview exclusive.
Nemanja Radulović, la passion d'un violoniste
De Vivaldi à Bach, tout en crescendo…

Quel est le lien que vous avez voulu apporter entre les Quatre Saisons de Vivaldi et les concertos de Bach ? Car, à travers ce concert, la transition s’est opérée naturellement, en crescendo…
Nemanja Radulović : Oui en fait il y a souvent, quand on parle de la musique baroque, on parle forcément de ces deux compositeurs, y compris Haendel et quelques autres. Mais Bach était beaucoup inspiré par Vivaldi. Puis les deux ont écrit énormément de répertoires pour le violon.
D'ailleurs pour le concerto en ré mineur, BWV.1052r, on dit que l'original est écrit pour clavecin, mais apparemment c'était écrit pour le violon. La partition était injouable, alors Bach l'a adaptée pour clavecin. On a reconstruit ce concerto en ré mineur. Pour ce concert, on voulait aussi connecter la toute première pièce qu'on avait jouée avec l'Ensemble Contre Sens il y a 18 ans : Les Quatre Saisons de Vivaldi, avec notre dernier projet commun, un album Bach, d'où la sicilienne et puis le concerto en ré mineur.
Les Quatre Saisons de Vivaldi, l'interprétation unique de Nemanja Radulović
Par moment, les tempi étaient très lents et très doux, et d’autres, beaucoup plus rapides que ce que l’on peut entendre habituellement dans Les Quatre Saisons de Vivaldi. Est-ce une manière d’exprimer votre sensibilité et votre personnalité ?
Nemanja Radulović : La première fois que l'on a joué Les Quatre Saisons de Vivaldi, c'était en 2008. À ce moment là on commençait aussi à beaucoup sentir le changement climatique. Auparavant, je me disais que jamais je jouerai Les Quatre saisons de Vivaldi car tout le monde les joue. On les entend partout. Alors qu'est-ce que je peux apporter de plus ? Et finalement quand j'ai pris la partition et quand je me suis mis vraiment à l'intérieur, c'est un océan. Il y a tellement de vie, tellement d'images, tellement de nature, tellement de choses que l'on peut imaginer. D'où les changements des tempi.
Par exemple dans le troisième mouvement du printemps, je ne l'ai pas forcément perçu comme une danse au tout début, mais vraiment comme le lever du soleil qui commence très doucement pianissimo et qui s'ouvre petit à petit. Puis on se retrouve avec tous les musiciens et on fait la fête par la suite, par la danse. Il y a des passages quand même très visuels et presque scénographiques dans cette oeuvre là.

De la douceur à l'orage des quatre saisons
Quelles images voyez-vous ?
Nemanja Radulović : Ça peut aller comme évidemment l'orage, ça peut être très très fort. La solitude aussi par moment. Ça peut être aussi la connexion quand on est tout seul dans un endroit pendant la nuit et on regarde le ciel et on voit les étoiles. On a l'impression d'appartenir à un tout. Ça arrive par exemple dans le second mouvement de l'automne où je ne joue pas d'ailleurs. Et d'avoir cette constante, ce constant changement entre une douceur, entre une écoute, par moment souvent quand on est en répétitions, on se dit qu'il faut laisser la musique arriver. Et quand on met plus de sentiments, ça devient plus évident. Le tempo peut également varier en fonction de l'acoustique.
La sensibilité d'une acoustique

Comment décririez-vous l’acoustique de ce concert en plein air au Festival de Musique de Menton, dans ce cadre unique entre mer et patrimoine ?
Nemanja Radulović : Hier soir nous avons joué dans une église donc forcément il y a une énorme différence entre le plein air. Mais ici, nous avons quand même une qualité de son et des couleurs que l'on peut exprimer. Ce n'est pas souvent le cas en plein air. Et puis surtout lorsque je me tournais vers les musiciens, il y a la mer, la côte, c'était encore plus beau et puis aussi le public.
La proximité avec le public
Et puis le public est très proche de la scène ...
Nemanja Radulović : J'aime beaucoup être entouré des gens. C'est vrai que lorsque j'ai demandé d'éteindre les portables, ce n'est pas forcément que cela me dérange. Mais je me dis que lorsque les spectateurs vont revoir leur enregistrement, ils ne vont pas forcément ressentir la même chose. Ils vont peut-être rater un moment, une magie.
L'Ensemble Double Sens, une famille de musiciens d'origine entre la France et la Serbie

L'Ensemble Double Sens, pourquoi ce nom ?
Nemanja Radulović : Lorsque j'ai créé cet orchestre Double Sens, j'ai voulu regroupé des musiciens qui viennent d'ex-Yougoslavie, mon pays natal, et des musiciens qui viennent de France, qui reflètent un peu ma vie. C'est vrai qu'au tout début, il nous fallait un tout petit peu de temps de trouver notre son à nous, notre expression aussi, l'interprétation, parce que ce sont des écoles très différentes. Après ce passage de début, ça y est, on se comprend maintenant, on s'est accepté ! Alors c'est énorme !
On ressent une grande complicité entre vous, et forcément cela se ressent dans la musique ?
Nemanja Radulović : Oui, c'est vraiment une famille qui est sur la route, les musiciens n'ont pas changé depuis 18 ans. On a grandi presque ensemble !
Entre rock star du violon et Monsieur tout le monde dans sa vie privée

Vous êtes un virtuose considéré du grand public comme une star du violon.
Comment le vivez-vous ?
Nemanja Radulović : Je pense que je vis un peu comme tout le monde ! (rires et humilité)
Je suis passionné ! Je trouve que j'ai énormément de chance. On se disait avec les musiciens que l'on avait vraiment beaucoup de chance de vivre une passion, qui en plus, devient une profession. Que l'on soit en concert, en répétitions, que l'on déchiffre une oeuvre, on va toujours avoir cette passion par rapport à la musique parce que la musique nous parle, la musique nous met dans des états que l'on ne peut pas forcément ressentir ailleurs.
Et puis dans ma vie privée, je fais comme tout le monde. Je vais chercher du pain, je vais sortir la poubelle, je fais toutes les choses qu'il faut. Je vais emmener ma fille à l'école.
Souvent l'on pense que parce que l'on est sur la scène, il y a quelque chose de différent dans la vie. En fait, pas du tout !
La seule chose dont je suis reconnaissant c'est juste que je suis heureux de ma vie depuis toujours. Et la transmission de la musique aussi.
La transmission de la musique
Cela vous rend heureux, la transmission de la musique ?
Nemanja Radulović : Évidemment ...
Que ce soit envers le public ou que ce soit avec des jeunes étudiants, oui, toujours.