- Auteur Marie Celine SOLERIEU
- Temps de lecture 8 min
Rencontre avec la chef d’orchestre Zahia Ziouani, (Divertimento) : la musique en partage
« Pour moi la musique c’est comme un sculpteur, qui avec sa matière, va façonner son objet, son oeuvre d’art. J’ai vraiment l’impression de façonner le son, et j’adore ça ». Rencontre avec Zahia Ziouani, chef d’orchestre et fondatrice de Divertimento.

Zahia Ziouani ©Manuel Braun
Zahia Ziouani ouvre le festival Marseille Jazz des cinq continents, pour un concert le 1er juillet 2025, avec son orchestre Divertimento, au centre de la Vieille Charité à Marseille. Poetic Ways & Divertimento - Raphaël Imbert invite Divertimento dirigé par Zahia Ziouani.
Invitée pour la seconde fois dans ce festival de jazz emblématique du sud de la France, la chef d'orchestre se dit très heureuse de revenir avec son orchestre symphonique : "Ce n'est pas le chemin naturel de se produire dans un festival de jazz. Et en même temps, j'aime bien à chaque fois créer des ponts, créer des liens avec d'autres arts, d'autres styles."
Voici quelques mots de Zahia Ziouani, à partir de notre interview téléphonique.
La parole à Zahia Ziouani chef d'orchestre et femme remarquable
En 1998, Zahia Ziouani fonde l'orchestre symphonique Divertimento
Zahia Ziouani fonde l'orchestre symphonique en 1998 et écrit son histoire principalement en région Île-de-France. Mais aujourd'hui, c'est aussi un orchestre qui se déplace, qui va au contact des territoires, des publics, des habitants. Après une résidence en région Provence Alpes-Côte d'Azur entre 2010 et 2013, pour préparer la capitale européenne de la culture, le territoire de Marseille, Aubagne, Aix-en-Provence est un territoire qu'elle connaît bien.

Des parents très curieux, très ouverts, très impliqués
J'ai grandi en Seine-Saint-Denis, dans un quartier populaire. J'ai eu la chance vraiment d'être initiée à la musique symphonique, à la musique classique, à plein d'autres styles de musique, aux arts, parce que mes parents étaient très curieux, très ouverts et très impliqués.
Je suis aussi très consciente que dans beaucoup d'endroits, tout le monde n'a pas cette possibilité, n'a pas cette chance, n'a pas cette opportunité. J'ai toujours voulu que la musique soit vue et vécue comme justement une musique populaire dans le sens beau et noble du terme. Très vite, j'ai été convaincue de cela.
Divertimento, un orchestre vers la proximité du public
L'orchestre a sa place dans des scènes internationales, mais je voulais aussi rester proche du public. C'est vrai que lorsque j'ai commencé, je savais aussi que ce n'était pas forcément une démarche simple, parce que je voyais dans les regards, je voyais dans les remarques que l'on me faisait, même dans l'accueil dans le milieu musical, où on me faisait comprendre que la musique classique avait sa place dans des grandes salles institutionnelles, mais pas forcément dans ce côté justement de proximité.
C'est vrai que ça a été un long cheminement, mais je n'ai jamais dévié de ma vision de la musique, de la façon, de la chef d'orchestre que je suis. Aujourd'hui, heureusement les mentalités ont changé. Cela ne veut pas dire que tout est réglé, mais je suis très contente de voir que mon engagement a contribué aussi à des changements. Je ne suis pas la seule, mais en tout cas je sais que ça fait un petit moment que je porte ces discours-là, cet engagement-là, donc évidemment j'en suis très fière.
Je continue, même si aujourd'hui en effet il y a eu les Jeux Olympiques, des tournées internationales. Je continue à garder ce lien. C'est pour cela que venir au festival de jazz des 5 continents Marseille, jouer en plein air, ce sont des moments qui fédèrent beaucoup des publics très différents, et moi j'ai fait ce métier aussi et surtout pour ça.

Créer un orchestre qui fait sens
Lorsque j'ai créé cet orchestre, j'étais jeune, et j'avais envie que ce soit un orchestre qui ait du sens.
J'ai créé mon propre orchestre, parce que je me rendais compte que ce n'était pas évident en tant que jeune chef d'orchestre de faire sa place. Et puis, surtout en tant que femme, on me disait : "il faut que tu te concentres sur tes études, sur tes études d'instruments."
Je sentais très bien qu'on n'allait pas m'appeler, me dire "Zahia, on vous propose la direction de tel et tel orchestre". J'avais envie déjà moi-même de pouvoir m'offrir mes propres opportunités pour diriger.
Lorsque j'ai commencé à l'âge de 20 ans, en tant que chef d'orchestre, bien sûr que j'avais envie de diriger dans les plus grandes scènes du monde entier, mais j'avais aussi envie de garder cette idée que la musique a sa place partout, et particulièrement en Seine-Saint-Denis. Et puis je me suis dit que l'on n'a pas à choisir entre une scène de proximité et une scène internationale, il faut pouvoir aller partout.
C'est ce que je fais depuis 25 ans. Même si aujourd'hui je suis un peu plus présente à l'international bien évidemment, mais je garde toujours aussi ce lien avec les habitants. Avec l'Orchestre Divertimento, nous avons beaucoup de projets à la rencontre des familles, des habitants, des écoliers. Parce qu'un jour, on pourrait les retrouver dans les scènes de concert.
S'imposer en tant que femme chef d'orchestre
C'est bien beau de se dire "tiens je vais créer un orchestre", mais il faut aussi créer un projet d'amour artistique. Quelque part c'est aussi créer sa propre entreprise avec justement commencer à comprendre l'écosystème, les liens institutionnels, à taper aux portes des institutions publiques, privées pour avoir les financements nécessaires. Je dois dire que c'était loin d'être simple. Mais j'ai grandi en Seine-Saint-Denis et on m'a toujours dit que la vie serait dure, alors je ne me suis pas tellement posé de questions et j'ai foncé.
Mes parents étaient mélomanes, et aussi exigeants. Ils m'ont toujours dit qu'en tant que femme dans plusieurs domaines il faudra certainement fournir plus d'efforts pour y arriver. J'ai été vraiment élevée dans ce sens de l'effort, de l'engagement, de la persévérance. Clairement, je n'y serai pas parvenue si je n'avais pas eu cette éducation, ça c'est clair et net.
La passion de la direction d'orchestre

Il y a plusieurs choses qui me passionnent. La première, j'aime beaucoup concevoir les programmes. J'adore faire des recherches, créer des liens, se dire tiens, "telle œuvre elle a aussi été inspirée par d'autres cultures, d'autres arts". Ensuite, arriver à construire une vraie ligne artistique, quelque part un projet politique. Ce que je souhaite pour chaque programme que l'on fait, ce n'est pas simplement parce que c'est joli, mais parce qu'il y a un message qui passe.
Je ne suis pas philosophe, je ne suis pas politicienne, historienne. Ce n'est pas mon rôle d'amener les gens à avoir un point de vue précis, mais en tout cas les amener à s'interroger ou à découvrir des choses.
Pour moi la musique c'est comme un sculpteur qui avec sa matière, va façonner son objet, son œuvre d'art.
Quand je suis devant l'orchestre avec les musiciens, j'adore les emmener dans la même direction.
Pour moi la musique c'est comme un sculpteur qui avec sa matière, va façonner son objet, son œuvre d'art. J'ai vraiment l'impression de façonner le son, et j'adore ça.
Zahia Ziouani et la transmission auprès des jeunes
La transmission est très importante. Mon parcours personnel m'a beaucoup fait réfléchir à quel chef d'orchestre j'avais envie d'être. J'ai eu cette grande chance que ce soit mes parents qui ont été les premiers à investir dans cette démarche. Je ne peux donc pas rester maintenant égoïstement à en profiter, et ne pas en faire profiter des jeunes.
Nous en tant qu'artistes, on doit aussi avoir cette responsabilité, cet engagement. Pour moi la transmission n'est pas une option mais quelque chose qui me tient beaucoup à cœur. Être sur scène bien évidemment, mais aussi de transmettre cette passion, et de la partager avec des jeunes. C'est ce que je fais tout au long de l'année, tout au long de mes saisons musicales.