- Auteur Victor Ducrest
- Temps de lecture 9 min
Les maisons antiques de Vaison-la-Romaine, un regard sur les conditions de vie romaine
Les maisons antiques de Vaison-la Romaine (domus), des maisons à pas moins de 1 400 m2 habitables ! Parmi ces domus, la Maison du Dauphin, attire particulièrement l’attention : sa structure est typiquement pompeienne, dotée d’une habitation luxueuse de 2 700m2 avec jardin et piscine…
Notre exploration des sites antiques de la Capitale des Voconces se poursuit par nos histoires sur la découverte du patrimoine. Après le théâtre antique et le forum, voici les maisons antiques (domus) de Vaison-la-Romaine.
Sans audioguide, sans connaissance particulière de l’histoire antique, en dehors d’un théâtre très identifiable, d’un porche monumental, de quelques bassins, de colonnades et d’un grand mur alvéolé dans lequel nichent des statues antiques, les sites archéologiques clôturés de Puymin et de la Villasse apparaissent au néophyte comme des lieux où des murs assez bas et irréguliers dessinent des plans dont on aimerait bien décrypter les secrets.
Ce qu’est une domus
Rapidement les panneaux explicatifs nous renseignent : il s’agit de « domus ». Le dictionnaire Gaffiot nous dit que la domus en latin, c’est la maison, la demeure, le logis, l’habitation. Mais pas n’importe laquelle, surtout lorsqu’on est en ville, et en particulier à Vaison-la-Romaine, « la Pompéi française », « l’urbs opulentissima » selon Pomponius Mela, – particulièrement à l’époque d’Hadrien (117-138), ajoute l’archéologue.
La « domus » traditionnelle est une maison individuelle de riche et une maison de ville, par opposition à l’« insula » qui, lorsqu’elle n’est pas une île, est un immeuble collectif et locatif à plusieurs étages. La « domus » par ailleurs se différencie de la « villa » qui en milieu rural est une grande ferme comportant une partie à usage résidentiel et une autre à destination agricole. Lorsque dans une région l’habitat s’urbanise, la villa peut alors devenir domus.
Les domus vaisonnaises ou maisons antiques de Vaison-la-Romaine
Des maisons immenses
À Vaison-la-Romaine, les domus découvertes sont relativement nombreuses – plus d’une douzaine - et couvrent une grande partie des sept hectares de fouilles que le visiteur peut parcourir. Sans compter les quatre domus récemment découvertes sous la place de Montfort mais réenfouies pour raison urbanistique, elles se situent essentiellement sur les sites de Puymin et de la Villasse et ont toutes en commun d’être, à nos yeux, immenses. Leur superficie au sol va de 2 000 à 3 000 m², ce qui paraît assez extravagant et ce qui les rend de ce point de vue tout à fait exceptionnelles ; sachant que sur les vitrines des agences immobilières, l’acheteur de villa hésite aujourd’hui entre des propositions qui vont le plus souvent de 130 à 320 m² !
Sur le site de la Villasse, la Maison au Dauphin s’étend sur 2 700 m². Sur le site de Puymin, la surface au sol de la maison du Paon est estimée à 2 000 m², la maison à la Tonnelle ou Prétoire couvre 3 000 m², la maison à l'Apollon lauré plus de 2 000 m²… À noter que la maison du Buste en Argent qu’on croyait être une maison privée et qui se déploie sur près de 5 000 m², est en fait un collège romain, c’est-à-dire un lieu de regroupement associatif, professionnel, cultuel, funéraire, ou de jeunesse...
Ces maisons très étendues pouvaient avoir un étage, souvent localisé sur une partie des bâtiments, comme si la notoriété se mesurait plus à l’horizontale qu’à la verticale.
Des maisons de notables
Pourquoi ces dimensions hors de notre commun ? D’abord parce que les propriétaires faisaient partie de l’aristocratie de la cité et que celle-ci faisait valoir son importance par la dimension de sa propriété. La société romaine ou romanisée est loin d’être égalitaire. C’est une société d’ordre au sens de classe sociale, définie par son degré de fortune et de dignité, où chaque catégorie d’habitant – patricien, plébéien, patron, client, affranchi, prolétaire - est soumis à un statut particulier de nature juridique, politique ou militaire.
Christine Bezin, qui fut longtemps directrice du Patrimoine de la ville et conservatrice du musée archéologique, fait remarquer que certains indices ne trompent pas : par exemple, l’eau courante présente dans une habitation montre que le propriétaire est nécessairement un citoyen romain car pour obtenir ce privilège il fallait avoir été magistrat de la capitale de la cité. Par ailleurs, sur une inscription qui donne le nom des habitants d’une maison, sont notés leurs trois noms (prénom, nom, surnom). Or les « tria nomina » sont un attribut des citoyens romains.
Une autre raison de ce surdimensionnement des maisons, est que celles-ci abritaient certes une famille, mais élargie aux parents éloignés, et une « familia » c’est-à-dire toute la domesticité esclave.
Enfin on sait que ce type d’habitation était partagé entre une partie privée et une partie publique. Certains visiteurs se rendant au théâtre antique s’étonnent de voir dans la Maison à la Tonnelle des latrines à quatre places assises contiguës ! C’était un service public assuré par un propriétaire privé. L’atrium pouvait appartenir à cet espace public où l’on reçoit ses visiteurs et ses clients, ainsi que le tablinum, c’est-à-dire le bureau où le maître de maison contrôle ses boutiques attenantes, ses domaines agricoles et ses autres propriétés.
On parle peu des habitants plus modestes. Il faut dire qu’ils n’ont pas vraiment laissé de traces. Selon les Pr. Christian Goudineau et Yves De Kisch, ils pouvaient loger « dans des arrière-boutiques ou des galetas aménagés par les grands propriétaires sous leurs combles ».
La Maison au Dauphin, un exemple particulièrement instructif
Parmi toutes ces maisons, il en est une qui a l’avantage d’être presque complète, d’avoir été beaucoup étudiée et d’avoir fait l’objet d’une restitution en trois dimensions visible au musée archéologique Théo-Desplans. De plus son histoire peut être retracée sur deux siècles et demi. Il s’agit de la Maison au Dauphin, située sur le site de La Villasse, et dont on peut suivre l’évolution depuis le milieu du premier siècle avant Jésus-Christ jusqu’à la fin du deuxième siècle de notre ère. Le nom attribué à cette habitation vient de ce que l’on a trouvé sur place le fragment d’un petit dauphin sculpté monté par Cupidon.
Bref retour sur l’histoire urbaine
La ville semble connaître son plus haut développement à partir des années 80-100, c’est-à-dire sous le règne de l’empereur Domitien, puis pendant tout le 2e siècle jusqu’à ce que les maisons, vers 265, soient abandonnées et pillées, au point que, dit l’archéologue Jean-Marc Mignon, « la ville antique est tombée dans l’oubli » puisque, si on regarde des cartes du dix-septième siècle par exemple, la ville de Vaison se limite à la colline du château alors que toute l'emprise de la ville romaine est occupée uniquement par des terres cultivées avec des champs et des vergers.
Avant ce développement de l’urbanisme, Vaison est simplement qualifiée de « bourg rural », et la Maison au Dauphin, comme l’ont montré les archéologues Christian Goudineau et Bernard Liou, commence par être une simple ferme de 1400 m² dont quatre bâtiments entourent une cour centrale de 18 mètres sur 9.
Les traces actuellement visibles de l’agencement de la maison datent de ces années 80-100, au cours desquelles est percée une voie piétonne. Désormais on a affaire à une habitation urbaine, luxueuse, de 2 700 m² dont 1 800 habitables, de type pompéien dans ses composantes, et qui donne sur ce qu’on a appelé la rue des Colonnes.
Une maison typiquement pompéienne
Sa reconstitution nous montre une maison dont l’entrée se situe entre des boutiques et donne, après la montée de quelques marches, sur un atrium à quatre colonnes. Cette pièce de réception fait partie de l’espace public de l’habitation. Elle a un plafond ouvert en son centre (l’impluvium) et reçoit directement dans un bassin l’eau de pluie (le compluvium). Sur la gauche, derrière une des séries de trois boutiques, sont installées côte à côte une trentaine de latrines. Le fond de l’atrium donne sur le bureau du maître de maison (le tablinum).
L’arrière du bureau s’ouvre sur la partie privée du rez-de-chaussée : un péristyle, c’est-à-dire une colonnade qui borde les quatre côtés d’un jardin au centre duquel se trouve un autre bassin. Autour de ce péristyle se distribuent les autres pièces privées : la cuisine, les thermes composés d’une salle chaude et d’une salle tiède, un salon (oecus) et une salle à manger (triclinium). A l’étage, se trouvent les chambres à coucher. On imagine les intérieurs avec des murs colorés et décorés et des sols dont certains sont mosaïqués.
Le côté droit du bâtiment est occupé par un grand jardin d’agrément (le viridarium) qui vient compléter cet ensemble, le long d’une piscina à exèdres (un bassin à poissons). Ces jardins, comme l’indique leur nom latin, était généralement plantés de végétaux toujours verts comme le laurier ou l’acanthe, ainsi que d’arbres fruitiers.
Ce qu’il reste à découvrir des sites antiques à Vaison-la-Romaine
Après plus d’un siècle de fouilles professionnelles, reste-t-il encore des choses à découvrir ? À cette question les archéologues répondent de façon plutôt positive.
Pour David Lavergne, conservateur du Patrimoine et chercheur au Centre Camille Jullian « il y a certainement encore beaucoup de choses à découvrir à Vaison, ne serait-ce que dans le périmètre réservé du centre antique puisque depuis la dernière guerre à la fois la collectivité et l'État se sont attachés à garder les terrains en réserve archéologique où en théorie il n'est pas question de construire ou alors sous certaines conditions de préservation, et ces terrains n'ont pas été intégralement fouillés. »
Christine Bezin, ancienne directrice du Patrimoine de Vaison-la-Romaine rappelle que la ville antique avait une superficie d'environ soixante-dix hectares et qu’on en a étudié environ une vingtaine. Il reste donc encore cinquante hectares sous la ville actuelle à explorer …
Du travail pour encore quelques décennies !
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Des visites guidées des sites archéologiques sont organisées par la ville.
Du 1er juillet au 27 septembre 2020
Pour toute demande de renseignements :
04 90 36 50 48
www.vaison-la-romaine.com