- Auteur Marie-Céline SOLÉRIEU
- Temps de lecture 5 min
Don Giovanni à l’Opéra Grand Avignon. Une mise en scène contrastée
Don Giovanni à l’Opéra Grand Avignon : une mise en scène contrastée et audacieuse signée Frédéric Roels. Notre retour sur la première représentation ce vendredi 10 octobre, en ouverture de saison sous le signe « Mythes et Merveilles » ….

© Marie-Céline Solérieu
La saison 2025/2026 de l’Opéra Grand Avignon s'est ouverte ce vendredi 10 octobre avec la première représentation de Don Giovanni, opéra mythique qui s'inscrit dans la programmation du Mythe et des Merveilles de la grande maison d'opéra de la Cité des Papes.
Devant un public venu en nombre, (les trois représentations affichant complet ! ), la scène de ce théâtre à l'italienne qui célèbre cette année son bicentenaire, s'est transformée en un univers foisonnant où tout se bouscule.
Soulignons la formidable idée de proposer la diffusion de l'œuvre sur la place Saint-Didier, le soir de la première, retransmise gratuitement sur écran géant, dans un esprit de rentre la culture accessible à tous.
Don Giovanni, un opéra intemporel et universel qui interroge
Écrit en 1787, Don Giovanni est un opéra en deux actes composé par Mozart, sur un livret en italien (sur-titré en français) de Lorenzo Daponte. Il fait partie de la trilogie de la vision du compositeur sur la relation hommes-femmes avec Cosi fan tutte et Les Noces de Figaro. Ici, dans ce Dramma Giocoso, l'on y voit un homme (Don Giovanni) en constante insuffisance d'amour. Il séduit les femmes, l'une après l'autre, les jeunes, les moins jeunes, les femmes mariées ou célibataires, les plus belles, les moins jolies. La liste est longue, comme le décrit Leporello, son serviteur, dans le premier acte, en décrivant à Donna Elvira, l'une des amantes de la toile, toutes les conquêtes amoureuses de son maître.
L'histoire de Don Giovanni reste intemporelle et universelle. Jalousie, luxure, violence, séduction, trahison, érotisme, l’œuvre interroge de manière approfondie sur la relation entre les hommes et les femmes.
Une mise en scène contrastée
Ici, à l'Opéra Grand Avignon, Frédéric Roels signe une mise en scène contrastée. Le spectateur est aussi impressionné par la richesse des décors imaginés par Bruno de Lavenière, sublimés par les lumières de Laurent Castaingt, où plusieurs époques se bousculent :
à la fois contemporaine, avec des téléphones portables ou appareil photo numérique, des années 80 avec une cabine téléphonique et une vespa sur le plateau, et, une période plus classique, des décors architecturaux gigantesques avec balcons pour des duos enflammés.
Autre bouleversement, les codes musicaux et théâtraux : une connexion intime entre la chef d'orchestre, et les solistes, les musiciens de l'Orchestre national Avignon-Provence, les chœurs de l'Opéra Grand Avignon.
Tout l'opéra s'articule sur des contrastes : force, douceur, délicatesse, jusqu'à un final suspendu. Par moments, l'on devine sur les lèvres de Débora Waldman, depuis son pupitre de directrice musicale, les paroles du livret, signe d'une connexion intime avec les solistes. Grâce aux entrées et sorties de Leporello et de Don Giovanni par la salle, le public, le regard haletant tout au long de la représentation, reste surpris, attentif et intrigué par l’énergie des artistes.
Une distribution de haut vol
Choix intuitif de Frédéric Roels, la distribution artistique de Don Giovanni à l'Opéra Grand Avignon, excelle dans la prestance vocale et scénique de chacun des solistes. L'interprétation du rôle titre par le baryton argentin Armando Noguera ne pouvait être plus intuitive. Au corps de Don Juan et à la voix de séducteur, sa tessiture vocale au delà de sa justesse, est envoûtante par son jeu d'acteur interprété avec finesse. Il apparait un homme en quête d'amour et de liberté, sans limite.
Tomislav Lavoie, endosse le rôle de Leporello à merveille. A la fois naïf et révolté par le mensonge, sa fidélité portée à son maître nous attendrit, engendrée par son timbre de basse à la fois profond et sensible.
Joli tableau aussi avec la venue de Zerlina interprétée par Eduarda Melo. Vêtue d'une longue robe blanche, la soprano portugaise resplendit entre la pureté et la sensualité. Lumineuse, à la voix pétillante, elle incarne avec justesse une femme déchirée entre la tendresse soumise à Masetto, son futur époux et l’attirance troublante pour Don Giovanni, avant de retrouver le chemin de la fidélité.
Intrigue sonore et visuelle lors de l'apparition du spectre du commandeur, représenté en SDF, incarné par Mischa Schelomiansky. À la poursuite de Don Giovanni de manière aveuglée, brandissant une pancarte 'J'ai Fin" (F.I.N), l'apparence imposante de la basse russe, impressionnante par sa puissance vocale profonde. Il endosse avec harmonie son rôle pour mettre fin à la soif de séduction. Un moment suspendu, intense, faisant écho aux ténèbres.
La soprano Gabrielle Philiponet (Donna Anna), la mezzo-soprano Anaïk Morel (Donna Elvira) et le ténor Lianghua Gong (Don Ottavio) complètent cette distribution de haut vol, par leur fidèle interprétation des rôles incarnés.
Le final, au moment du repentir de Don Giovanni, fait vibrer les murs de l’Opéra Grand Avignon, entre les résonances orchestrales, mécanique souterraine de précision, amplifiée par une formation réduite des choeurs dans la fosse, et la tension dramatique portée par les voix.
Viva la libertà !
Frédéric Roels, a ainsi réussi son pari, faire de cet opéra comme un chemin et non comme un état.. Contrastes, intrigues, doutes, bousculades, sont les clés de sa mise en scène, en parfait écho au personnage complexe de Don Giovanni.
"Je voudrais que la mise en scène fuie comme le personnage principal, qu'elle ne s'impose que par la mobilité et la dynamique qu'elle suscite. Et que jamais les choses ne semblent installées." Frédéric Roels.