Publié le 01/12/2020

David Llari, le chorégraphe qui laisse danser l’autre

« Venez comme vous êtes » et prenez votre place dans le monde. C’est l’intention qui compte … Voici le message de David Llari, fondateur du Ballet de Danse Physique Contemporaine à Marseille, qui invite à la danse sans préjugés ni caricatures. Portrait hors du commun d’un chorégraphe au parcours atypique.

David Llari choregraphe Ballet de Danse Physique Contemporaine Marseille

Danser à tout prix avec le chorégraphe David Llari.

J’étais en roue libre sur mon fil d’actualité Facebook, mon pouce scrollant les articles à vive allure.
Soudain, je suis tombé sur une publication du Ballet de Danse Physique Contemporaine (BDPC). Arrêt immédiat et contrôlé de mon pouce, arrêt net du fil qui continuait de monter (ou descendre, je ne sais jamais quel terme employer) et retour en arrière en douceur.

Le Ballet de Danse Physique Contemporaine était au centre chorégraphique de Strasbourg ! En plein confinement, David Llari, le chorégraphe marseillais et son BDPC sévissaient au pays de la choucroute et du Riesling. Rien n’arrête le personnage qui en 2018 figurait en dixième position, sur la liste des 50 personnalités influentes en Provence Alpes Côte d'Azur, selon Grand Sud Network.
J’ai eu envie de partager quelques lignes à son sujet, avec vous.

Avant d’aller plus loin, je dois vous dire que je danse avec la souplesse d’un playmobil, et que ma morphologie est plus proche de celle de PAC MAN que de BAT MAN. Vous imaginez combien le monde de la danse peut me sembler étranger. Et pourtant, David Llari est parvenu à m’intéresser à cet art pour lequel la nature ne m’a fait aucun cadeau.

PICA, le Minotaure et ses Muses, pas besoin d’explications quand le corps sait parler

Une chorégraphie de David Llari

David Llari Choregraphe portrait MAG 50 copyright
Portrait de du Chorégraphe David Llari ©MAG 50

J’ai vu David Llari et le BDPC, pour la première fois, en 2018, au Centre de la Vieille Charité de Marseille, dans la monumentale chapelle de Pierre Puget. Ses danseurs interprétaient alors un extrait de sa création PICA, le Minotaure et ses muses, à l’occasion de l’exposition Picasso, voyages imaginaires. Les six personnages de bronze de la fontaine des baigneurs (Picasso 1956), se dressaient au milieu du majestueux bâtiment, statiques et imperturbables.
Autour d’eux, tout aussi figé et énigmatique, un groupe d’hommes et de femmes, presque nus, se tenait immobile, les corps peints de noir et d’or. Au son du charango de Jacques Massabo et de la voix lyrique de Maryline Dumont, Thomas Barbarisi, Elena Thomas, Romane Petit, les danseurs du Next/Ballet National de Marseille et de L’École Nationale Supérieure de Marseille ont commencé à prendre vie, à s’agiter et à entamer une chorégraphie dans laquelle les femmes tentaient de s’extirper de l’emprise des hommes-taureaux.

Il n’y avait aucun texte, aucun artifice, aucun accessoire, juste des gestes précis et une énergie mesurée. Et pourtant, le récit était évident. Les quatre muses de Picasso, Eva Gouel, Olga Khokhlova, Marie-Thérèse Walter et Jacqueline Roque, étaient là, dans leur essence, résistant aux assauts envahissants et répétés des Minotaures. Les mouvements des corps empruntaient tout autant à la danse contemporaine, qu’au flamenco, au hip-hop, à la corrida et à d’autres domaines indéfinissables. Le souffle des danseurs, lui-même, s’inscrivait dans la chorégraphie et la musique. Comme le public, j’étais absorbé par le drame antique et tellement contemporain qui se jouait sous nos yeux. Le rapport de Picasso à ses muses interrogeait la violence de notre société faite aux femmes.

C’est l’intention qui compte

David Llari est autodidacte

Le chorégraphe est issu du Hip-hop. Il va développer sa technique auprès des grandes figures des danses urbaines, comme Tony Maskot et Poppin Taco.
En 2005, il devient assistant-chorégraphe de du compositeur (et chorégraphe) Franck2louise qui a permis au Hip-hop de passer de la « rue » à la scène, dès le début des années 1990 en tissant des liens avec la danse contemporaine. Cette expérience dure trois ans.

En 2006, sa légitimité et son talent acquis, David Llari fonde, la Maison du Hip-hop, à Paris.

Dès 2008, il décide de se consacrer à sa compagnie Sun of Shade, devenue depuis BPPC (Ballet de Danse Physique Contemporaine), qu’il installe à Marseille. L’ipséité du danseur est au cœur de son approche artistique : sa morphologie propre, sa technicité issue d’un parcours qui n’est que le sien, sa sensibilité intime. La référence à toute esthétique existante est accessoire, qu’il s’agisse de Hip-hop, de danse classique, moderne ou autre. Seuls comptent la singularité du danseur, le geste, et l’intention qui en est à l’origine.

Mais comment la chorégraphie du collectif peut-elle être cohérente si elle est la somme d’autant de singularités qu’il y a de danseurs ?
Et bien, pour chaque création, en concertation avec le groupe de danseurs, David Llari élabore un répertoire gestuel commun et exclusif. Par la suite, le travail va être centré sur l’intensité associée aux gestes. Dans la forme, les mouvements sont interprétés de façon très personnelle, d’un danseur à l’autre. En revanche, ils devront, tous, s’exprimer avec une intensité et une énergie équivalentes. La cohérence tient dans l’énergie du groupe, plus que dans la forme du ballet.
Cette vision de la danse a été récompensée par le Prix de la critique, lors du trentième Concours chorégraphique international de Hanovre, en 2016.

David Llari est incontestablement une grande figure de la danse contemporaine

Aussi, les structures formant les danseurs de demain font régulièrement appel à lui pour que les élèves apprennent à puiser leur expressivité au fond de leur être. Tel est le cas, ces derniers jours, avec les élèves du cycle 2, en troisième phase du Centre chorégraphique de la Ville de Strasbourg.

« Venez comme vous êtes » et prenez votre place dans le monde

Si la méthode de David Llari est reconnue dans le milieu de la danse, elle peut, selon lui, bénéficier au plus grand nombre. Au même titre que toute pratique culturelle et artistique, la danse peut jouer un rôle fondamental dans le développement des enfants et adolescents. À plus forte raison, si la pédagogie est axée sur l’ipséité de l’individu, en dehors de toute considération esthétique déjà existante, quelle que soit la dextérité ou la forme du corps. Révéler son unicité à chacun pour prendre sa place dans le monde. Et cette place est d’autant plus juste, que le langage dansé est défini par le groupe lui-même, dans une parfaite concertation et écoute de soi et de l’autre.

C’est dans cette logique que David Llari crée le Jeune Ballet Urbain de Marseille (JBUM), en 2017. Chaque année, 21 danseurs, de 7 à 17 ans, sont sélectionnés pour intégrer des ateliers chorégraphiques hebdomadaires dispensés gratuitement au Ballet National de Marseille. Tous les ans, le JBUM, produit 4 créations qui donnent lieu à 8 représentations dans des lieux prestigieux comme le Théâtre de l’Œuvre, le Théâtre Toursky, le Festival de Marseille ou l’église des Célestins à Avignon dans le cadre du Parcours de l’art. Le Jeune Ballet Urbain de Marseille est un lieu d’expérience de la diversité. Les origines des jeunes sont variées (danse contemporaine, moderne, classique, hip-hop ou esthétique personnelle…). La parité filles-garçons est un impératif. Les créations abordent des thèmes sociétaux d’actualité, comme, entre autres, la condition humaine, les discriminations ou l’altérité.

David Llari a étendu son action dans des endroits bien loin des conservatoires et des salles de danse. Il intervient dans les écoles, les collèges et lycées de la République, mais aussi dans les centres sociaux, comme celui de la Busserine, dans les Quartiers-nord de Marseille. Les résultats sont aussi prometteurs que ceux que l’on peut espérer de la pratique sportive.

Je pense que moi-même, rond comme PAC MAN et raide comme un Playmobil, je trouverais ma place dans un groupe dirigé par David Llari. C’est probablement ce point qui m’a interpellé : sans être danseur, sans avoir la culture nécessaire pour pouvoir parler de danse, sans « savoir danser », je me sens autorisé à participer à un de ses ateliers.

2021 sera bestial

Comme je l’écrivais au début de cet article, entre deux confinements, David Llari et son BDPC ont maintenu une activité régulière avec de nombreux spectacles, sur Marseille, sur Agay avec les Nuits d’Agathos, sur Strasbourg avec le festival « Strasbourg danse l’été », une semaine de résidence au Ballet National de Marseille…
Mais cette période aura surtout été propice à l’écriture et la mise en place de sa prochaine création : « La Bête du Vaccarès ». David Llari interprète et revisite le récit de Joseph d’Arbaud, « La Bèstio dóu Vacarés » en traitant la question des migrations et du rapport à l’étranger. Un calendrier est déjà en cours de bouclage…

Ce sera une autre histoire que j’aurais le plaisir de vous conter en temps voulu.