Publié le 11/01/2023

« Sings », Rencontre avec une icône Angélique Kidjo

« Mon corps et ma voix doivent devenir un instrument qui fait partie de tout un ensemble. » Angélique Kidjo, chanteuse franco – béninoise, cinq fois lauréate des Grammy Awards et lauréate de l’Académie Charles Cros connue pour la diversité de ses influences musicales, l’originalité de ses clips et son engagement humanitaire comme ambassadrice internationale de l’UNICEF, sera en concert les 12 et 13 janvier avec les musiciens de l’Orchestre National Avignon-Provence, à l’Opéra Grand Avignon, sous la direction du chef d’orchestre et compositeur Gast Waltzing.

Angelique Kidjo concert symphonique orchestre avignon

Les 12 et 13 janvier 2023, à l’Opéra Grand-Avignon, Angélique Kidjo, chanteuse et compositrice visionnaire, le célèbre chef d’orchestre et compositeur Gast Waltzing et les 39 musiciens de l’Orchestre national Avignon-Provence présentent en concert symphonique une œuvre historique « Sings » qui mélange magnifiquement les traditions musicales classiques occidentales et la puissante rythmique bouillonnante des sons de la terre natale de la chanteuse icône, le Bénin.

Au programme, neuf classiques de la discographie d’Angélique Kidjo et deux nouveaux morceaux (Otishe, Nanae) de l’album Eve primé aux Grammy Awards en 2014.

Angélique Kidjo, un talent immense au service de l’amour de l’art et  de l’amour des autres

« Malaika ! Des douces girafes des sauvages savanes
Kidjo ! Kidjo ! Kidjo
Et ta voix qui déchire la suprématie de la mort
Senghor écoute les berceuses mystiques
Quand tu chantes
Khadja Nin est jalouse
Wale Watu !
Wale Watu !
Sous la protection divine de Makeba
Agolo ! des savanes aux forêts étouffés
Agolo ! des battements de cœur de l'Afrique ancestrale
Poétesse
Ta voix rend à notre mère Afrique sa dignité. »

— Gaël Lakpa Ahouman, poésie d'hommage à Angélique Kidjo.

Véritable diva, icône africaine, femme libre et engagée, chanteuse aux nombreuses et prestigieuses récompenses, Angélique Kidjo de nationalité franco - béninoise, est tout entière dans son répertoire. Ses albums reflètent son humanisme sans parler d’un talent reconnu internationalement. Sur scène, elle ne se pose pas en chef mais crée une osmose avec les musiciens et le public, elle entre en égalité avec tous les éléments qui l’entourent. Même la nature et les lieux où elle se trouve semblent sont habités de sa musique et de sa voix. Ils font corps avec la chanteuse. Angélique Kidjo est un exemple pour les artistes et les jeunes de tous les pays, un espoir pour le partage de la culture dans le monde. Angélique Kidjo pénètre le corps et les âmes.

©Sofia And Mauro

Interview de Angélique Kidjo, artiste engagée

Danielle Dufour-Verna/Marie-Céline Magazine culturel – Honorée de vous entendre. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Angélique Kidjo – Je suis une artiste née dans un pays d’Afrique qui s’appelle le Bénin. J’ai grandi dans une famille de dix enfants. Je suis le numéro 7, la dernière fille et la plus chouchoutée de son papa et je chante sur scène avec ma mère depuis que j’ai six ans. 

DDV –Vous êtes-vous déjà produite en Avignon ?

Angélique Kidjo – J’ai fait plusieurs choses à Avignon, notamment un hommage à Claude Nougaro ‘Toulouse’. C’est comme cela que j’ai connu Avignon. J’y suis revenue en 2017 avec Olivier Py pour ‘Femme noire’ dans la cour du Palais des Papes que je découvrais pour la première fois. Je suis entrée dans un endroit où je me suis sentie toute petite. C’est mon histoire, me suis-je dit ! La seule chose qui peut porter l’histoire de cette place, c’est la musique, le théâtre, qui font parler les esprits. C’est un endroit formidable, impressionnant et assez intimidant. J’ai beaucoup aimé faire ces concerts deux soirs de suite dans la cour des Papes. Le premier soir, j’ai failli ne pas commencer mon poème. J’étais à la fenêtre qui donne sur la cour. Je me suis dit – tu ne peux pas, il y a tellement de choses plus importantes que moi qui ont été prononcées de cette fenêtre ; il y a tellement de choses. Comment est-ce que je peux remplir cet espace en amenant l’esprit de  Léopold Sédar Senghor, l’esprit d’unité, de métissage, dans un endroit aussi puissant. Je me suis dit –Allez, n’y pense pas, vas-y. C’est là que je suis tombée complètement amoureuse d’Avignon, de l’histoire d’Avignon, en dehors du festival de théâtre. On vit dans un pays, on reste dans son environnement et c’est cela le défi auquel nous devons faire face, tous : sortir de notre zone de confort pour se dire il y a un endroit, une région de mon pays que j’ai envie d’aller découvrir. C’est cette découverte qui a été très intéressante pour moi et très émouvante.

DDV – Vous vivez en France ?

Angélique Kidjo – je vis entre Paris et New-York, en fait. Je vis plus souvent à New-York car je tourne énormément et New-York est devenue une plate-forme pour aller de là en Asie plus facilement ainsi qu’au Brésil où je travaille beaucoup également. Cela réduit mon temps de décalage horaire. Je pars également de Paris pour aller dans d’autres endroits. Ce sont deux piliers pour moi.  

©Sofia And Mauro

DDV –Vous dites mon pays en parlant de la France et vous êtes né au Bénin à peine un peu avant la décolonisation du Bénin.

Angélique Kidjo – Je suis née française 15 jours avant l’indépendance. 

DDV –Vous qui êtes une femme engagée, naître un 14 juillet, 15 jours avant l’indépendance, ça ne vous chagrine pas un peu ? 

Angélique Kidjo – ça ne me chagrine pas du tout, c’est l’histoire. Il y a une histoire commune avec la colonisation. Le fait que je parle la langue française, je vous parle aujourd’hui ; on partage la langue française ensemble. Pour avancer ensemble, chacun de son côté, on doit faire face à cette colonisation pour trouver une solution. Aujourd’hui, ce dialogue n’est pas encore là, il n’est pas encore clair. Mon engagement, c’est que ce dialogue soit clair, qu’on avance, qu’on ne reste pas toujours dans le passé. 

DDV – Pour le concert des 12 et 13 janvier 2023 vous reprenez des chansons de votre ancien album, revisitées ?

Angélique Kidjo – On a fait cet album « Sings » il y a quelques années de cela, quatre, cinq ans. Toute cette histoire a commencé avec Gast, le chef d’orchestre qui est venu me voir à un festival que je faisais en Suisse, le Festival Jazz de Montreux. Il me dit « Moi, je suis un grand fan de ta musique mais je l’entends avec un orchestre classique. Est-ce-que tu y as pensé un jour ? » J’ai pensé : ce mec il est fou ou il a fumé un truc avant d’arriver. « Choisis quelques chansons je te les arrange » me dit-il. Je lui réponds « Mais, pas du tout ! C’est toi qui a eu l’idée, fais-moi entendre ce que tu entends, moi je n’entends pas. Envoie-moi quelques chansons de mon répertoire que tu auras arrangées pour l’orchestre. » Il m’a envoyé deux ou trois chansons et je me suis dit « Waouh, waouh, mais c’est vrai que c’est possible tout ça ! » Quand on me dit un truc qui est possible musicalement, peu importe l’endroit, je saute à pieds joints sur ces signes de construction que nous allons commencer. Prudente, je lui demande de choisir plusieurs chansons dans mon répertoire et de faire un concert en France, en amont. Toujours dans le doute, j’ai amené, pour ce premier concert, mes musiciens sur scène. Je me suis là rendu compte qu’entre le monde amplifié et le monde classique, c’est un clash, on ne s’entend plus, ce n’est pas un dialogue possible. L’un prend le pas sur l’autre et ce n’est pas cela mon but, à moi. Je voulais l’osmose des deux. Au fur et à mesure que je faisais le concert avec Philippe Gast, je me suis rendu compte, qu’en fait, mon corps et ma voix doivent devenir un instrument qui fait partie de tout un ensemble. 

DDV – C’est donc une parfaite harmonie avec l’orchestre que vous allez vous produire.

« On peut créer un espace de dialogue que ne peuvent peut-être pas créer les hommes politiques de ce monde. On ne fait pas de la politique, la musique n’a pas de couleur, n’a pas de nationalité. Elle a un langage universel qui nous unit de toute façon. »

— Angélique Kidjo
©Sofia And Mauro

Angélique Kidjo – Bien sûr, autrement, ce n’est pas faisable. On ne peut pas demander un dialogue à quelqu’un si on n’écoute pas l’autre. On est deux, on est plusieurs à parler. Pour que chacun parle il faut s’écouter et parler en harmonie. C’est cela que j’ai vraiment appris avec l’orchestre classique, il n’y a pas une note qui n’a pas sa place. Il n’y a pas une virgule de musique qui n’a pas sa place. C’est un espace d’écrire qui est très plein et qui montre qu’on peut se parler. Dans le monde, chacun a le droit de parler, de se faire entendre, que ce soit en harmonie, sans réclamation de violence et de non-respect de l’autre, sans l’intransigeance de ne pas écouter les autres. La musique, c’est vraiment l’exemple ; quand je suis sur scène, le guitariste doit jouer sa part ; le batteur doit jouer sa part. Ma voix est accompagnée par quoi ? Même quand j’ai fait un concert toute seule, je suis obligée d’écouter ma voix, d’écouter les faiblesses de ma voix, les puissances de ma voix, d’écouter mes émotions. Je n’écoute pas seulement avec ma tête mais avec mon cœur, mon esprit etc. C’est-à-dire que ce dialogue on le commence avec soi-même et quand on arrive avec un orchestre, on amène sa richesse culturelle. Elle entre dans l’orchestre de musique classique. Je me suis laissé porter cette généralité qui est une force en fait : pouvoir parler sous une autre forme de musique avec le public le plus large du monde. Il faut arriver à le faire. On peut créer un espace de dialogue que ne peuvent peut-être pas créer les hommes politiques de ce monde. On ne fait pas de la politique, la musique n’a pas de couleur, n’a pas de nationalité. Elle a un langage universel qui nous unit, de toute façon.  

DDV – Politique, le peuple, polis, pensez-vous que les artistes peuvent amener une influence positive, une espérance dans ce monde fou actuel ? 

« Il y a des endroits où il sera difficile d’aller mais si cela rend un service pour que le dialogue soit possible, pour que l’oppression d’un peuple ne soit plus une réalité, je suis prête à y aller, peut-être au détriment de ma vie. C’est ma mission de chanter. La politique, ce n’est pas seulement la polis, c’est aussi l’engagement de chacun d’entre nous. »

— Angélique Kidjo

Angélique Kidjo – Absolument, on a un rôle à jouer. Je dis toujours : ma musique m’amènera partout. Il y a des endroits où il sera difficile d’aller mais si cela rend un service pour que le dialogue soit possible, pour que l’oppression d’un peuple ne soit plus une réalité, je suis prête à y aller, peut-être au détriment de ma vie. C’est ma mission de chanter. La politique, ce n’est pas seulement la polis, c’est aussi l’engagement de chacun d’entre nous. Quand on va voter quelque part, le fait de mettre un bulletin dans une urne, c’est vouloir un monde auquel on a envie de participer. Voter pour moi, ce n’est pas anodin. Cela ne s’arrête pas là. Il faut qu’on soit vigilant par rapport aux promesses qui ont été faites. Il faut assumer l’action. 

DDV – Vous êtes un exemple pour les jeunes générations.

« Mon père envoyait à l’école beaucoup plus d’enfants que ses enfants propres parce qu’il croyait profondément que les hommes et les femmes éduqués sont des hommes qui vont créer des hommes de paix. Ce n’est pas autrement. »

Angélique Kidjo -Je n’imagine pas de société sans musique. L’imagineriez-vous, là où vous êtes, pouvez-vous imaginer un monde sans musique ? Ce n’est pas possible. La musique, l’art en général, est une continuité. Vivre demande beaucoup de courage et ce courage, il est dans nos engagements à tous niveaux. Mon engagement vient de mon éducation. Nous n’étions pas une famille riche mais mon père et ma mère étaient éduqués tous les deux. Mes parents n’ont jamais dit non à quelqu’un qui venait à la maison pour demander de l’aide. Mon père a pu nous élever et mettre à l’école dix enfants. Des gens, dans les villages, disaient parfois, on n’a pas les moyens de mettre les enfants à l’école. Mon père disait, pour l’éducation, je ferai le nécessaire. Mon père envoyait à l’école beaucoup plus d’enfants que ses enfants propres parce qu’il croyait profondément que les hommes et les femmes éduqués sont des hommes qui vont créer des hommes de paix. Ce n’est pas autrement. 

DDV – C’était ma prochaine question, d’où vient cet engagement qui vous caractérise. Donc de cette éducation que vous portez en vous et que vous revendiquez.

« Les choses ne doivent pas forcément être belles pour être utiles. »

— Angélique Kidjo

Angélique Kidjo – Oui, que je revendique. J’ai eu deux grands-mères, veuves très jeunes, et qui ont refusé d’épouser la personne la plus proche de leurs maris. Elles ont dit non, nous ne sommes pas des marchandises, on a épousé un homme. J’ai toujours entendu ce discours. Ma grand-mère maternelle avait une connaissance des plantes incroyable. Elle me forçait pour aller avec elle à 6 heures du matin pour aller chercher des plantes dans la forêt et me faire comprendre ce que c’est que les plantes. Je ne me souviens pas du nom d’une plante dangereuse qu’elle m’a montrée mais quand, aujourd’hui, je sens son odeur, je m’enfuis. Cette plante-là, elle n’est pas bonne pour les humains, mais elle est bonne pour l’équilibre de la nature. Les choses ne doivent pas forcément être belles pour être utiles. Il faut qu’on comprenne la complexité du monde dans lequel on vit. Quand on est quelque part, on est soi-même, on n’essaie pas de se changer pour faire plaisir aux autres parce qu’il n’y a pas de vie autrement. Pour accepter que l’autre soit différent il faut accepter soi-même. 

DDV – Ne pensez-vous pas que la proximité avec les grands-parents, avec la famille, à l’africaine, manque cruellement à notre société ? 

Angélique Kidjo – ça manque énormément ! J’ai un respect énorme pour les personnes âgées. J’aime toujours m’asseoir près deux. A la maison, c’était, pourquoi, quand, comment. Je posais tellement de questions que les gens me disaient –tu ne peux pas aller jouer comme les autres ? Je n’arrivais pas, en tant que gamine, à comprendre la complexité. Elles trouvaient des façons de m’expliquer. Mon père encourageait tout le monde à me répondre – Si ma fille pose des questions, répondez-lui ;  si c’est écrit dans le livre, ce n’est pas la même chose que l’expérience que vous partagez avec les enfants, tous les enfants. Et c’est comme cela que j’ai grandi.

DDV – le fait de ne plus garder nos anciens nous entraine dans une société foncièrement égoïste. Le pensez-vous ?

Angélique Kidjo – Complètement ! L’égoïsme, c’est le fondement du capitalisme. La communauté, ça ne l’est pas. Quand on réfléchit ensemble, on prend des décisions qui ne briment pas financièrement les gens. 

DDV – Très juste !

Angélique Kidjo - C’est vrai que je vis dans un monde un peu parallèle et j’ai parfois du mal à dire ce que je pense. On me dit, c’est ringard…

DDV – Merci de l’avoir fait avec nous. Une dernière question, quelle est votre propre conception du bonheur ?

Angélique Kidjo - C’est de savoir se contenter de ce qu’on a et d’avancer en faisant le meilleur possible pour soi et pour les autres.

Informations pratiques, réservations, billetterie concert Angélique Kidjo, à l'Opéra Grand Avignon

Opéra Grand Avignon / Avignon
Jeudi 12 Janvier 2023 20:00
Vendredi 13 Janvier 2023 20:00
Durée : 1h15
Tarif : De 5 à 30 euros
Par téléphone : au 04 90 14 26 40, du mardi au samedi, de 10h à 17h sans interruption / En ligne : www.operagrandavignon.fr
Par correspondance et sur place : Opéra Grand Avignon service Billetterie 4 rue Racine 84000 Avignon