Publié le 08/02/2024

Saint-Jean-Cap-Ferrat : Au cœur de Santo Sospir en compagnie de Carole Weisweiller

Rencontre un beau jour de printemps, en 2004, à la villa Santo Sospir à Saint-Jean-Cap-Ferrat avec Carole Weisweiller, fille de Francine Weisweiller, autour de la profonde amitié de sa mère avec Jean Cocteau

Carole Weisweller fille de Francine Weisweller amie de Jean Cocteau

Carole Weisweller – ©Viviane Leray

Les premiers "tatouages sur la peau de la villa Santo Sospir" datent de 1950, en 6 mois, à main levée, Cocteau réalise une oeuvre mythologique unique au monde... Francine Weisweiller avait invité le poète à se reposer une semaine, il restera 13 ans... C'est ici, grâce à Jean Marais, qu'il commence à peindre à l'huile, son premier tableau, deux jacinthes, daté de 1951, il l'offrira à la petite Carole, fille de Francine sa Dame de coeur... 

Carole Weisweiller, Francine Weisweiller et Jean Cocteau

Peut-on parler d'amitié amoureuse entre votre Jean Cocteau et Francine Weisweiller, votre maman ?

Carole Weisweiller : Jean aimait s'entourer d'être beaux, maman était très belle, Edouard Dermitt son fils adoptif était magnifique et que dire de Jean Marais ! Il aimait les êtres beaux  mais aussi forts et maman avait un caractère très, très fort. Jean était un instinctif, il a senti de suite que cette maison était sa maison... Cocteau souffrait de ne pas avoir d'enfant, il y avait en lui une immense solitude sans doute due au suicide de son père lorsqu'il avait 9 ans, il avait besoin des autres comme d'oxygène. Est-ce que maman était sa fille, moi sa petite fille ? Nous étions sa famille… 

Comment était la vie de tous les jours à Santo Sospir ?

Carole Weisweiller : C'était une fête perpétuelle à Saint-Jean-Cap-Ferrat, en voyage, sur le bateau, Jean apportait dans le quotidien la passion, le rêve, s'il nous faisait participer à ses angoisses ce n'était jamais pesant, de mes 7 ans à mes 21 ans je ne l’ai jamais vu être impatient. « Monsieur Cocteau » aimait les autres alors que la plupart des gens s'aiment à travers l'autre... Il prenait plaisir à me raconter des histoires comme celle de La reine des rats qui évoluait tous les jours... Un de mes plus beaux souvenirs demeure la découverte de Venise en sa compagnie, en 1956...

Adolescente, il vous guidait dans vos lectures ?

Carole Weisweiller : Jean Cocteau vous rendait intelligent, il vous élevait, et pourtant je n'ai pas eu le sentiment d'être écrasée par son savoir; il m'avait établi une liste de livres mais jamais il ne m'obligeait, il disait simplement :  « J'ai lu ça », il vous donnait envie. Je dois dire que les lectures à la villa n'étaient pas très intellectuelles : Jean s'était pris de passion pour le roman policier : San Antonio, Ponchardier, les américains dont il disait qu'ils étaient « les vrais auteurs du XXème siècle ».

Votre sentiment sur la relation Jean Marais-Cocteau ? 

Carole Weisweiller : « Jeannot » était un personnage très étrange, l'acteur solaire qu'on connaît cachait une face sombre, comme ce plaisir à s'entourer de garçons sans intérêt, même lorsqu'il était avec Cocteau  qu'il aimait, il commettait des incartades. Pour Jeannot la période amoureuse a été courte elle s'est vite transformée en liens filiaux, mais on ne peut pas avoir été plus reconnaissant, il a toujours dit "Je ne serai rien, s'il n'y avait pas eu Jean Cocteau dans ma vie". Jeannot était un enfant pour Cocteau et pourtant il était beaucoup plus fort que lui, très peu de choses le touchaient. Cocteau était crucifié par une mauvaise critique, Jean Marais n'en avait rien à faire ! Lorsque Jean Marais  n'aimait plus, il n'aimait plus, chez Cocteau les plaies restaient béantes : il ne "désaimait" jamais...

Quel regard portez-vous sur la collection du Musée Cocteau - Severin Wunderman, donation du milliardaire américain à la ville de Menton ?

Carole Weisweiller : Comme tout collectionneur inconditionnel il n'a peut-être pas toujours acheté ce qu'il fallait, il y a de très belles oeuvres et d'autres moins, mais c'est une chance extraordinaire pour la ville de Menton d'avoir aujourd'hui, avec le musée historique du Bastion, les deux plus beaux musées Cocteau au monde... J'espère que cette collection pourra être enrichie par d'autres mécènes, personnellement, je pense que je pourrais peut-être en faire partie, mais le plus tard possible !

Notre journaliste Viviane Leray entourée de Carole Wesweiller et de Suzanne Nucéra à la Villa Santo Sospir

Les ouvrages dédiés au « poète intime » par Carole Weisweiller…

Carole Weisweiller est l'auteur d’une pléiade de livres et biographies sur Jean Cocteau : 

Les Murs de Jean Cocteau, photographies de Suzanne Held, Hermé (1998) ; Jean Marais, le bien-aimé (avec Patrick Renaudot), Le Rocher (2002) ; Jean Cocteau, les années Francine (1950-1963), Le Seuil (2003) ; Je l'appelais Monsieur Cocteau (avec Jean Marais), Le Rocher (1996/2003). Le dernier en date Ma Famille de cœur, chez Michel de Maule (2016), à propos duquel l’auteur écrit : « Je voudrais en évoquant ces quelques personnages qui ont beaucoup compté pour moi affectivement et amicalement après le départ du poète Jean Cocteau, faire revivre une époque bénie où l'amitié, l'intelligence, la bonté régnaient en maître, alors qu'aujourd'hui c'est le Dieu Argent qui prime sur tout. Ces amitiés étaient celles de : Raymond Jérôme, Herbert von Karajan, Peter Brook, Satprem, André Chouraqui, Jean Marais, Jean-Claude Brialy, Madeleine Castaing, Jacques Chazot, Pier Luigi Pizzi, Pablo Picasso, Lucien Clergue, Nana Mouskouri. Pour beaucoup de jeunes, la plupart des noms cités leur seront inconnus mais peut être que ce modeste livre leur donnera envie d'en savoir plus sur ces artistes qui ont marqué leur époque ! Croire en soi est ce qu'il y a de plus important pour réussir sa vie et c'est malheureusement ce que je n'ai pas réussi à faire ! »