Publié le 11/11/2021

Projection sur grand écran : Illusions perdues

Xavier Giannoli, scénariste et réalisateur français, nous offre un petit bijou avec son huitième film ” Illusions perdues” nous démontrant que le cinéma français peut être à la hauteur des grandes fresques historiques, telles Barry Lindon ou Les Liaisons dangereuses.

Illusions Perdues Vincent Lacoste - Benjamin Voisin

Illusions Perdues, un film sorti en 2021 actuellement au cinéma, est tiré d'un roman d'Honoré de Balzac publié en trois chapitres entre 1837 et 1843 :
Les Deux Poètes, Un grand homme de province et Les Souffrances de l'inventeur.
Dédié à Victor Hugo, ce texte fait partie du vaste ensemble des Études de mœurs de La Comédie humaine et, plus précisément, des Scènes de la vie de Province. Attaché à ce qu'il qualifiait comme « une histoire pleine de vérité », Balzac considérait le triptyque composant Illusions perdues comme un élément capital de son oeuvre.

César 2022, Triomphe pour "Illusions perdues"

Le film aux 7 césars

Le film Illusions perdues faisait office de favori pour la 47e cérémonie des Césars, avec ses quinze nominations, et il l’a été. Cette adaptation du grand roman d’Honoré de Balzac, réalisé par Xavier Giannoli, a remporté sept récompenses, vendredi 25 février 2022, dont celle de la catégorie reine du meilleur film.
Cette fresque acide sur la presse et ses dérives, succès populaire avec plus de 870 000 spectateurs en France, a valu le César du meilleur espoir masculin à Benjamin Voisin et celui du meilleur acteur dans un second rôle à Vincent Lacoste.
Mais Illusions perdues a reçu également les Césars des meilleurs décors, meilleurs costumes, meilleure adaptation et enfin meilleure photographie.

Illusion Perdues, résumé du film d'après l'oeuvre de Balzac

Inspiré de Balzac par son expérience dans l'imprimerie, Illusions perdues raconte l’échec de Lucien de Rubempré, jeune provincial épris de gloire littéraire.
Le film reprend dans les grandes lignes le parcours malheureux de "ce grand homme de province", a la fois dans sa fougue d'écriture dés son arrivée dans le journalisme, son ambition dévorante qui lui fera atteindre les sommets de la Société, sa volonté éperdue de retrouver son nom de noble, son amour passionnel pour la jeune Coralie, sa trahison envers ceux qui l'ont aidé et enfin sa chute irrémédiable.

En contrepoint du parcours malheureux de ce « grand homme de province », alternativement héros et antihéros, plein de faiblesses, l'histoire évoque le début chaotique de la Presse, et l'émergence du "Cenacle", cercle intellectuel de « vrais grands hommes » où se font et se défont les gloires littéraires et ou un bon mot est l'arme favorite des protagonistes et auteurs.

Illusion Perdues Film critique Benjamin Voisin
Lucien de Rubempré à Paris

Illusions Perdues, synopsis

Lucien est un jeune poète inconnu dans la France du XIXe siècle. Il nourrit de grands espoirs et veut forger son destin. Il quitte l'imprimerie où il est employé, de sa province natale d'Angoulême pour tenter sa chance à Paris au bras de sa protectrice des arts, la Marquise de Bargeton. Rapidement livré à lui-même dans cette ville fabuleuse, le jeune homme va découvrir les coulisses de ce monde voué à la loi du profit et du faux-semblant, connaître les sommets de la gloire et les affres de la d'échéance.

Illusions Perdues, le casting du film

Lucien de Rubempré joué par Benjamin Voisin

C'est le rôle principal du film.
Lucien de Rubempré est un jeune poète qui apparaît dès les premières images, où dans un pré verdoyant, il écrit ses premiers vers, et ou l'on sent poindre sa juvénile insouciance.
Il n'est alors que Lucien Chardon, portant le nom de son père et travaillant dans l'imprimerie familiale, mais il souhaite porter le nom de sa mère, qui fait plus noble et pour mieux réussir dans ses ambitions littéraires.
Il prend alors le nom de Lucien de Rubempré, cultivé et ambitieux, ce jeune provincial monte à Paris pour devenir écrivain. Mais, devant les difficultés, il se lance dans le journalisme et y connaît un certain succès.

Tout au long du film, on s'attache à la personnalité et au parcours de Lucien de Rubempré, interprété à merveille par Benjamin Voisin. L'acteur joue de sa naïveté, de son ignorance des règles de la noblesse, et son entrée dans la vie Parisienne, est à la fois drolatique et touchante de simplicité.
Des son premier passage dans l'aristocratie, on sent bien que cela va être difficile...sa nouvelle coiffure frise le ridicule et si dans cette scène de l'Opéra, il nous émeut avec son regard enfantin et sa naïveté, on voit bien que si lui est naturel et simple, voire simplet, tout est faux dans cette société cupide et cynique, jeu de manches et courbettes se profilant autour de lui. A ce titre , le rôle joué par l'excellente Jeanne Balibar, la Marquise d'Espard est magnifique de corruptions et d'arrangements... On sent perdre dans son regard toute la fourberie d'une femme puissante, et une sourde engeance à l'encontre de"ce petit homme de province". Et quand ce ne sont pas des femmes, ce sont des futurs concurrents qui gloussent en le voyant. Mais le jeune provincial n'en a cure, il suit sa route et commence à se lier d'amitié avec Étienne Lousteau, sorte de rédacteur en chef, joué par Vincent Lacoste, qui va lui faire découvrir les arcanes du journalisme naissant.

Benjamin Voisin nous apparaît dans ce film comme un jeune prometteur acteur, et il s'en sort très bien dans ce rôle difficile en costume.

La Marquise Louise de Bargeton et Lucien de Rubempré

La Marquise Louise de Bargeton jouée par Cécile de France

Est ce le fait que nous sommes habitués à voir Cécile de France, dans des rôles forts de femme indépendantes, passionnées et virevoltantes...?
Un peu déçu de sa prestation, je l'ai trouvée, sans méchanceté aucune, un brin mièvre... on la sent subir les évènements et pas du tout en amoureuse... prisonnière de sa vie, sous la coupe d'un mari vieillissant et autoritaire, on ne la sent pas portée par le rôle.
La maîtresse de Lucien de Rubempre est un poil sur la réserve, et même si on a droit à une petite saynète d'amour, on ne perçoit jamais la flamme pour son jeune amant ... cet avis n'engage que moi.

A la question comment a t'elle abordé son rôle ? Et si elle avait lu le livre ... Voici sa réponse :
"Je ne l'avais pas lu jusqu'ici. J'ai d'ailleurs aimé que Xavier regarde mon personnage avec plus d'empathie et de tendresse. Dans le roman, Louise de Bargeton n'a pas de cœur, on la surnomme "Os de seiche", elle est aussi calculatrice que les autres. Dans le film, c'est une femme blessée, malheureuse, seule. Balzac dépeignant sa société comme le ferait un zoologiste. Xavier a un rapport plus humain à ses personnages broyés par le système ".

Etienne Lousteau joué par Vincent Lacoste

Ce nouveau rôle lui va à ravir, et il semble passer un cap dans cette interprétation.
Pygmalion du jeune Lucien lors de leur première rencontre, Etienne Lousteau va lui permettre de rentrer peu à peu dans la société parisienne et surtout lui apprendre toutes les ficelles de ce nouveau métier qui est entrain de naître, le journalisme.
Les séquences dans la salle de la dite presse, le foutoir pourrait on dire, m'ont beaucoup plu par leur réalisme et leur cocasserie.
Si Etienne Lousteau prend son jeune poulain sous son aile au début, on se rendra vite compte que la jalousie et l'envol de Lucien lui sera difficile à supporter, et la vengeance ne sera que plus terrible.

Raoul Nathan joué par Xavier Dolan

Ce personnage de La Comédie humaine d’Honoré de Balzac, est superbement interprète par Xavier Dolan. Il donne à son rôle une profondeur et une certaine ambiguïté que je vous laisse découvrir.
Adversaire farouche au début, les relations avec Lucien de Rubempré évolueront pour devenir sinon une belle amitié, vers un respect mutuel. Fils d'un brocanteur juif mort ruiné et d'une mère chrétienne, il cache soigneusement ses origines lorsqu'il accède à la célébrité comme journaliste, auteur dramatique et romancier. Il apparaît pour la première fois en 1833 dans Une fille d'Ève ; il
est alors un des personnages littéraires les plus importants de Paris. Sa carrière commence en 1821 lorsque le libraire Dauriat publie son premier roman dont Lucien de Rubempré, démolit d'abord le livre pour forcer Dauriat à publier son propre manuscrit, Les Marguerites. Il encensera ensuite ce même livre afin de ne pas se mettre Nathan à dos.

Illusions perdues film 2021 - Lucien de Rubempre - Benjamin Voisin
Lucien de Rubempré (Benjamin Voisin) découvre la noblesse

Illusions Perdues : contexte, références historiques et modernité du film

L’action se déroule sous la Restauration. Le roman dépeint les milieux de l'imprimerie, des cercles littéraires, le début de la presse et de la publicité, et les soubresauts de la noblesse.

Avec le jeu des acteurs, c'est la reconstitution historique de cette époque qui m'a le plus plu dans ce film... Le réalisateur Xavier Giannoli nous gâte.

Les décors, les costumes, l'ambiance parisienne, les rues d'époque, le théâtre, l'Opéra, tout est refait à merveille... ou en décors naturels (le palais royal à Paris entre autres), et on ne doute pas qu'un César des meilleurs décors ou costumes ne vienne récompenser ce travail admirable.

C'est aussi cela la magie du cinéma, et si on est évidemment sujet aux émotions que nous transmettent le jeu des acteurs, on peut être aussi éblouis par la magnificence et la réalité de ce que l'on voit sur un grand écran de cinéma...j'en profite pour préciser que ce genre de film, comme tant d'autres ne peut que s'apprécier en cinémascope, dans une salle, et à fortiori pour profiter également d'une musique très lyrique. A ce titre, le réalisateur a vraiment réussi à nous en mettre plein les yeux, et les oreilles.
Les scènes à l'Opéra sont tous simplement magnifiques, comme la somptuosité des costumes.
J'ai adoré aussi l'ambiance des premières salles de presse ou de rédaction, foisonnantes, bruyantes, borderlines, avec l'explication de ce qu'on nomme aujourd'hui "les Fake News"...en fait on a rien inventé... et les vilains petits canards qui se baladent dans les bureaux m'ont fait bien rire et les premiers journalistes s'en donnent à coeur joie !
Comme quand le petit singe doit choisir lui même le livre à critiquer... je n'irais pas jusque là, quoique !
La symbolique des pigeons voyageurs, en fait et place de nos réseaux sociaux, résonnent aussi dans notre société contemporaine, comme le début de ce qu'on appellera plus tard "la publicité".

Illusions Perdues : analyse, projections sur notre société contemporaine

Illusions Perdues film scène Salle de presse

A plus d'un titre, ce film tiré d'un roman datant des années 1840, nous rappelle sa modernité.

Par sa trame, on est entraîné dans l'univers féroce de la presse, des enjeux économiques et sociétales,
du pouvoir en place et de la course à la réussite sociale. Le film nous décrit tout cela avec une remarquable justesse tant dans les dialogues, et de la mise en scène.
La polémique chère à Étienne Lousteau, le pseudo rédacteur en chef, nous en fait une vibrante démonstration...et on pourrait se demander qu'est ce qui a changé de nos jours...

"Polémique et surenchère font vendre du livre "

A l'ère des réseaux sociaux, on est plus que jamais assoiffé de scandales et de potins. Le ver dans la pomme a de quoi se nourrir avec ces outils de communication. Cette liberté d'expression est propice au travail du journalisme d'un certain côté, mais il peut être fait sans que personne ne soit incriminé, ou vilipendé.

Enfin, et c'est aussi un des aspects forts du film, et à vrai dire surprenant pour l'époque, il aborde également le rôle d'égéries des comédiennes à travers la publicité qui favorise ou promeut leur carrière, avec en point d'orgue cette scène très forte où les sifflets ou les applaudissements font ou défont une carrière.

Illusion Perdues - Xavier Dolan - Raoul Nathan
A ce titre, le rôle joué par le regretté Jean-Louis Stevenin, Singali "chef de claques" est édifiant de cruauté et de cynisme, on a du mal à croire que cela ait pu exister, d'ailleurs dans le roman, Singali joue un autre rôle...
De la part de Balzac, c'était là aussi très moderne et visionnaire.

Illusions perdues : conclusion

Illusion Perdues est le film du moment, la mise en scène électrise le spectateur, l’envoyant deux siècles en arrière tout en lui faisant entendre ce qui relie l’époque de la Restauration (1814-1830) au XXIe siècle, le casting est rafraîchissant et plein de promesses, et n'en doutons pas Xavier Giannoli tient son œuvre majeure dans sa filmographie.

Citation d'Honoré de Balzac

"Je pense à ceux qui doivent trouver en eux quelque chose après le désenchantement."