Publié le 24/03/2021

Projection sur grand écran : Moonlight de Barry Jenkins

Subtil, contemplatif, d’une grande sophistication visuelle, le réalisateur Barry Jenkins prend le temps de nous faire découvrir Chiron, un Afro-américain de Miami qui se bat contre son milieu (scolaire) et sa famille (mère droguée) pour vivre son homosexualité et s’affirmer tout en demeurant fidèle à lui-même. Moonlight, une expérience visuelle sortie en 2016 et plus que jamais d’actualité.

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Le film Moonlight, réalisé par Barry Jenkins, est l'un des meilleurs films sortis en 2016. Au ton puissant et politique, cette œuvre cinématographique mérite d'être mise sous les projecteurs, au grand public.

In Moonlight Black Boys Look Blue

Il y a des films comme des expériences cinématographiques, et Moonlight en fait partie.

in moonlight black boys look blue

Subtil, contemplatif, d'une grande sophistication visuelle, le réalisateur Barry Jenkins prend le temps de nous faire découvrir Chiron, un Afro-américain de Miami qui se bat contre son milieu (scolaire) et sa famille (mère droguée) pour vivre son homosexualité et s'affirmer tout en demeurant fidèle à lui-même.

Séquencé en trois chapitres, le réalisateur nous déroule les grandes étapes de la vie de Chiron, en tant qu'enfant d'abord, puis adolescent, et enfin adulte. Le film est découpé en trois actes prénommés Little ( le surnom qu'on lui donne tout petit), Chiron et Black, et cela peut être un rappel au fait que le film est tiré de la pièce de Théâtre In Moonlight Black Boys Look Blue de Tarell Alvin McCraney.

C'est un film coup de poing, portrait intimiste et moderne d'un jeune homosexuel du ghetto américain. Récompensé par trois Oscars en 2017, dont celui de meilleur film, la réalisation souligne inévitablement, au delà des récompenses et de l'emballement médiatique qu'il a eu, les dernières discriminations raciales vécues aux USA, l'homophobie et la honte d'être homosexuel.

Moonlight I : Little

À Liberty City à Miami, le trafiquant de drogue cubain Juan trouve Chiron, un enfant introverti qui porte le surnom de « Little », se cachant d'un groupe de brutes dans un crack house. Juan laisse Chiron passer la nuit avec lui et sa petite amie Teresa avant de rendre Chiron à sa mère Paula.

Un des premiers plans du film plante le décor, le trafic de drogue et la violence latente.. Ainsi que le parti-pris de filmer au plus prés de l'action, caméra à l'épaule. L'apparition de Juan le dealer (joué par l'excellent Mahershala Ali), nous apparaît alors comme un félin qui scrute et marque son territoire.

C'est là, dans les logements de Liberty Square, que le trafiquant de drogue cubain Juan va prendre sous son aile le petit Chiron, un enfant introverti qui porte le surnom de « Little »... Les premières confrontations avec son père spirituel donnent au film le ton et le rythme qu'a voulu le réalisateur. De longs silences et des regards qui tiennent lieu de paroles. Lors de ces scènes, on peut être mal à l'aise... On attend une réponse, une action, mais rien ne vient... Que le regard profond de Chiron, et on est cueilli. On peut être dérouté par un tel film, du fait de sa lenteur supposée et de ses silences, mais aussi du fait que Barry Jenkins utilise aussi fréquemment des ellipses... Par exemple qu'est il arrivé à Juan, le dealer-mentor qui recueille Chiron au début du film, et qui disparaît lors du second acte ?

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Mais passé ces premiers instants, on s'attache au petit Chiron, et on compatit à ces railleries et à ses brimades. Cette première partie nous présente l'environnement de Chiron avec sa mère Paula (toxico) et ses premières interrogations. Dans un des scènes à table avec Juan et Teresa, sa compagne, il demande « C'est quoi une tapette ? », auquel lui répond Juan, "c'est ce qu'on dit quand on veut humilier un homosexuel". C'est aussi là que Chiron rencontre Kevin, son premier copain de classe, et qui va jouer un rôle important dans sa vie future.

On découvre aussi le côté paternel de Juan, qui lui apprend lors d'une très belle scène du film, à nager.

On verra par la suite que Chiron adulte s'identifiera ainsi par son comportement et ses attitudes à ressembler à Juan. C'est la place du père absent que nous montre là le réalisateur.

Tout ce début du film, on commence à rentrer dans le sujet profond du film... La place que l'on occupe dans la société en fonction de sa nature et de ses penchants. Chiron est noir de peau, mais cela aurait pu être un européen, cela ne changerait rien au propos du réalisateur... La recherche d'identité.

Et tout cela est déjà magnifié par une superbe photo de la ville de Miami, sa plage et des envolées musicales lyriques qui donnent une certaine poésie au film.

Moonlight II : Chiron

Maintenant adolescent, Chiron jongle avec le harceleur de l'école Terrel et passe du temps avec Teresa, qui vit seule depuis la mort de Juan. Paula laisse sa folle dépendance et la prostitution prendre le dessus et oblige Chiron à lui donner de l'argent que Teresa lui prête.

Chiron enfant, est la victime désignée d'un petit groupe d'élèves de son école. Il baisse la tête et subit. Une nuit, après une errance en métro, il se retrouve seul sur une plage, à ne rien attendre. Apparaît alors Kevin et pour ne rien dévoiler, sinon que c'est une scène très forte du film... Remarquablement filmée à la lumière de la lune. Le lendemain, il est soumis à une provocation et son nouvel ami est poussé à le frapper. Kevin frappe à contrecœur Chiron jusqu'à ce qu'il soit incapable de se lever avant de regarder Terrel et ses copains le battre à terre. Chiron ne dénoncera personne. Le lendemain, en arrivant en classe, il abat une chaise sur le meneur de la bande Terrel. La police arrive et arrête Chiron pour voies de fait, l'envoyant dans un centre de détention pour mineurs.

Dans cette partie de l'adolescence de Chiron, on découvre ainsi un nouvel acteur et l'on peut dire qu'une des grandes forces de ce beau film réside dans le fait que les trois acteurs qui jouent Chiron sont si remarquables de justesse qu'on a l'impression que c'est le même homme qui grandit... Mêmes silences, mêmes regards, mêmes attitudes. Chiron a grandi mais au fond de lui il est resté le même, et les acteurs arrivent à performer cet état au fil du récit. Le film à cet instant s'attarde sur la construction du futur homme que sera Chiron, sa volonté de ne pas subir, de réagir aux brimades et de devenir enfin qui il est.

L'affiche de Moonlight quant à elle reflète sa structure en triptyque, elle représente les trois visages de Chiron aux trois époques de sa vie dépeintes dans le film.

Moonlight III : Black

Dix ans plus tard et adulte, il s'est transformé après un séjour en prison : il est devenu dealer et vit seul en Géorgie, à Atlanta. Il reçoit toujours des appels de sa mère. Une nuit, Chiron reçoit un appel de Kevin qui est devenu cuisinier dans un restaurant et père d'un enfant d'une union dissoute. Le lendemain, il rend visite à sa mère, puis à Kevin.

Désormais surnommé « Black », Chiron, devenu adulte, est libéré de prison et vend de la drogue à Atlanta. Il reçoit des appels fréquents de Paula qui lui demande de lui rendre visite en cure de désintoxication. Dans une scène avec sa mère, on voit toute la détresse de Chiron et son amour pour elle. Lors de sa visite à Paula, Chiron rompt son silence. Sa mère reconnaît ses erreurs et s'excuse de ne pas l'avoir aimé quand il en avait le plus besoin et lui dit qu'elle l'aime même s'il ne l'aime pas en retour. Finalement, les deux se réconcilient en pleurant avant que Paula ne laisse son fils partir. Après vision, on s'aperçoit de toute la richesse de ce film qui est parsemé de ces scènes si émouvantes, filmées toujours très près des visages.

Un jour, il reçoit un appel de Kevin, qui l'invite à lui rendre visite si jamais il décidait de venir, un jour, à Miami.. Chiron se rend à Miami et retrouve Kevin, qui travaille maintenant dans un restaurant. Lorsque ses tentatives pour sonder Chiron au sujet de sa vie aboutissent au silence, Kevin lui dit qu'il a eu un enfant avec une ex-petite amie et que, bien que la relation soit terminée, il est comblé par son rôle de père. Chiron fait de même en parlant de son trafic de drogue inattendu et demande plusieurs fois à Kevin pourquoi il l'a appelé, ce à quoi Kevin répond qu'une chanson jouée par le juke-box lui a fait penser à Chiron.

Après que Kevin ait servi le dîner de Chiron, ils se rendent tous les deux dans son appartement. Kevin dit à Chiron qu'il est heureux malgré le fait que sa vie ne se soit pas déroulée comme il l'avait espéré, ce qui a entraîné la rupture avec Chiron et admet qu'il n'a été intime avec personne depuis leur rencontre au lycée et depuis son arrestation. Kevin le réconforte, en le prenant dans ses bras.

Cette partie du film est pour moi la plus émouvante, surtout la nouvelle rencontre avec Kevin. On sent la relation future entre les deux partenaires, même si Chiron « Black » a bien changé physiquement, musclé et bodybuildé. Au fond de lui, c'est le même petit garçon, et il va enfin découvrir qui il est, au son de la musique envoûtante du Juke box.

 Moonlight, au clair de lune

in the mood for love

Je n'ai pas trop voulu dévoiler certaines scènes, car Moonlight est un film qui mérite d'être découvert, apprivoiser et pouvoir vivre ainsi sa propre expérience cinématographique, comme je vous l'avais énoncé en préambule. Chaque personne réagira à sa façon, de la perception des choses de la vie, de ce que l'on porte en chacun de nous, au plus profond de son âme et de son corps, et qu'on peut être tout simplement différent et avoir les mêmes sentiments de tout un chacun.

Ce film est par là une ode à la différence, et à l'amour. Par certains aspects, il n'est pas sans rappeler le magnifique film In the mood for love réalisé par Wong Kar-Wai.

On notera aussi les superbes musiques de Nicholas Britell et les photographies de James Laxton, qui donnent cette note si poétique au film, et une sensibilité à fleur de peau.

A la fin du film, dans un flash-back, « Little » se redresse sur une plage au clair de lune (moonlight en anglais), et il est et restera ce petit garçon... Ce garçon bleu au clair de lune. Barry Jenkins, ne nous montrant rien, mais nous disant tout.

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le paraître, au clair de lune, pour tous les petits garçons ou petites filles différents.

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