- Auteur Léa-Sarah Perez
- Temps de lecture 9 min
Le Bestiaire Magique, Niki de Saint Phalle à l’Hôtel de Caumont : entre surréalisme et féminisme
Il était une fois, Le Bestiaire Magique de Niki de Saint Phalle à l’Hôtel de Caumont – Aix-en-Provence. Une exposition d’une expérience hors norme à vivre, nous plongeant dans les œuvres d’une artiste libre qui a marqué le XXe siècle. À voir jusqu’au 5 octobre 2025.

Sirène – Niki de Saint Phalle ©Léa-Sarah Perez
Ce mercredi 30 avril 2025, Le Centre d'art de l'Hôtel de Caumont ouvre ses portes à une toute nouvelle exposition, mêlant peinture, collage et sculpture : Le Bestiaire Magique, un hommage à l’artiste Niki de Saint Phalle.
Conçue comme un véritable voyage à travers l’imaginaire « bestiaire » de Niki de Saint Phalle, cette exposition célèbre une artiste libre qui a marqué le XXe siècle par son approche unique et ses engagements politiques.
Exposition Le Bestiaire Magique, Niki de Saint Phalle à l’Hôtel de Caumont - Aix-en-Provence
Une expérience immersive à ne pas manquer

©Léa-Sarah Perez
Tout au long de notre parcours, nous rencontrons divers animaux dont le serpent, l’araignée, et le crocodile, animaux fétiches de Niki de Saint Phalle. Leur présence, apparue en 1956, est très encrée dans l’éducation religieuse de l’artiste (le serpent représentant le mal tentant la Vierge). Dans d’autres œuvres, telles que Le poète et sa Muse (1974), c’est l’oiseau qui est mis en lumière, symbole de liberté.
L’exposition Le Bestiaire Magique est un véritable conte de fées, nous invitant à voyager entre êtres protecteurs, monstres et sorcières. La présence d’êtres effrayants est une manière pour Niki de Saint Phalle d’affronter ses peurs, telle une enfant apprenant à s’émanciper.
L’imagination au service du féminisme
La première partie de notre exposition, Il était une fois, s’ouvre avec la sculpture Nana Boa (1983), symbole de l’émancipation féminine. La représentation du corps féminin rond, musclé et fier, devient l’emblème d’une femme forte et égale à l’homme : « parce que les hommes le sont, parce qu’il faut qu’elles soient davantage pour pouvoir être leurs égales », affirmait Niki de Saint Phalle en 1995.

© Léa-Sarah Perez
Nous continuons notre parcours avec plusieurs tableaux de châteaux, peints entre 1956 et 1958, introduisant le chapitre Bêtes Maudites et Symboles Rédempteurs. Le tableau le plus mémorable, est sans doute Le Château du monstre et de la mariée (1956-1958), mettant en scène différentes figures féminines – une jeune mariée et une femme enceinte et une princesse tuant un dragon –, aux côtés de nombreux monstres.
Ce tableau mystique nous offre un point de vue intimiste, nous plongeant dans la recherche d’émancipation de la jeune Niki de Saint Phalle, désirant devenir artiste. Selon elle, cette passion pour les châteaux vient de son enfance : « Est-ce que se sont les châteaux de mon enfance qui m’ont inspirée les lieux imaginaires que je ferai plus tard, qui sembleraient sortir d’un conte de fées ? ».
Les monstres et dragons réapparaissent dans d’autres œuvres, dont Le Dragon rouge (1964) et Monstre (1963), d’impressionnants assemblages d’objets en plastiques. Monstre (dragon), créé en 1964, reprend la forme de la bête légendaire, à travers un collage papier feutres et crayons de couleur.
Les monstres au premier plan : des êtres fantastiques à la réalité des femmes
Notre chemin se poursuit avec Who Is The Monster, You or Me?. Cette fascination avec la monstruosité l’amène à créer de nombreuses œuvres, lui ouvrant la porte du groupe des Nouveaux Réalistes dans les années 1960. Dénonçant une société ancrée dans la violence et le patriarcat, cette monstruosité prend plusieurs formes. D’abord à travers Birth (Study for King Kong) en 1963, une œuvre frappante qui décrit l’accouchement et toute sa douleur. Les accouchements dépeints comme monstrueux, permettent à Niki de Saint Phalle, d’exprimer son féminisme et d’affirmer le pouvoir du sexe féminin.
En effet, la maternité est un sujet très sensible et important pour l’artiste, ayant eu une mère assez étouffante durant sa jeunesse. L’imagerie troublante se prolonge dans Be My Frankenstein (1964) et Black Widow Spider (1963), œuvres composées d’assemblages d’objets et de peinture, tous deux représentant la fragilité de la vie humaine (black widow se traduisant littéralement par « veuve noire », une araignée porteuse d’un venin neurotoxique, fatal pour l’être humain). L’araignée incarne également la figure maternelle et l’interrogation de Niki de Saint Phalle sur son propre rôle maternel.
Une artiste engagée : entre féminisme et droits civiques
"Last Night I Had a Dream"

©Léa-Sarah Perez
La quatrième section, Last Night I Had A Dream, nous plonge dans un songe autobiographique, mêlant amour, corps féminin et engagement politique. Le titre Last Night I Had a Dream, rend hommage au célèbre discours de Martin Luther King : I Have a Dream. En effet, Niki de Saint Phalle, enfant new yorkaise, assiste à la ségrégation raciale, encore présente à son époque. Très affectée par cette discrimination, elle exprime sa solidarité à travers une œuvre représentant un couple interracial dans un lit, symbole de l’amour au-delà des différences. Dans ce chapitre transitoire, nous sommes introduits au surréalisme de Niki de Saint Phalle, nous plongeant dans un monde parallèle. Les différentes œuvres présentées intitulées Sculptures à rêver, mettent en scène la femme dans toute la splendeur, mais aussi le serpent, aux couleurs vives sur fond blanc.
Avant de poursuivre notre parcours onirique, nous devons gravir un escalier, orné de Nanas Ballons, un concept que Niki de Saint Phalle a mis en place plus tard dans sa carrière, afin d’offrir la possibilité à son public, d’acquérir une œuvre, à seulement dix euros.
L’art comme outil de prémonition

©Léa-Sarah Perez
À l’étage, nous sommes accueillis par un extrait du film Un Rêve plus long que la nuit (1976), décrivant le récit initiatique d’une petite fille désirant de devenir adulte et les différentes créatures qu’elle rencontre sur son chemin. Un Rêve Plus Grand que la Nuit, notre cinquième chapitre, explore le thème bestiaire à travers différents bijoux (dont Rhinocéros gris, Serpent à tête bleue et Grenouille), minis sculptures (Le Repas du Lion, Portrait de Marina…) et une grande tapisserie, Le Voyage de Pénélope à travers le temps (1972/1973), parfois interprété comme prémonitoire des attentats du 11 septembre 2001 – on peut distinguer des avions percutant des gratte-ciels.
Les minis sculptures, chargées de féminisme, ont beaucoup d’humour : les femmes y sont représentées comme maîtresses de la nature et paisibles, opposées aux hommes, se faisant dévorés par les divers animaux représentés.
Femmes et Nature : une symbiose puissante
Les Nanas Au Pouvoir
Notre sixième section, Les Nanas Au Pouvoir, nous fait découvrir les Nanas, sculptures colorées et rondes, symboles de l’harmonie entre la nature et le monde animal. Ici, ce n’est pas la monstruosité qui est mis en lumière, mais la joie de vivre, peignant le sexe féminin comme maître : les femmes ont repris le pouvoir.

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Ce volet s’ouvre avec Nana Dancer, créée pour le ballet L’Éloge de la folie (1966) de Roland Petit. La force féminine se manifeste aussi dans The Unicorn (1994), représentant une femme armée d’un fouet chevauchant une licorne, ou encore Nana sur le dauphin (1994), représentation de la grâce. Le personnage du serpent fait son grand retour dans Tree of Liberty (2000-2001), interprétation de Niki de Saint Phalle de la fameuse statue de la liberté.

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La religion au centre de la révolution féminine
L’arche de Noé, septième chapitre de notre parcours, met en scène divers sculptures utilitaires, rendant hommage aux animaux.
Thoëris, Hippo Lampe (1990), inspirée de la déesse égyptienne, incarne la mère protectrice, gardienne du foyer. Les œuvres suivantes, Miroir aux serpents (1981-1982), Pouf serpent jaune (1991) et Le Miroir (magie du miroir, 1980) transforment des objets du quotidien en véritables œuvres d’art.

©Léa-Sarah Perez
Cet avant-dernier volet se clôture avec une sculpture animée, se déconstruisant et se reconstruisant chaque minute.
Notre chemin touche à sa fin avec Êtres Protecteurs, marquant un tournant dans la carrière de Niki de Saint Phalle. Durant les années 1980 et 1990, elle décide de participer à la cause de l’environnement, avec notamment Acqua sporca acqua pulita (1988), mettant en scène un oiseau flottant à la surface d’une eau polluée, interprété souvent comme un phœnix.
Enfin, L’Ermite (1988) et Déesse de la lumière (1981), font échos aux Nanas, par leur opposition esthétique. Ici, le corps humain est fragile, maigre mais souple, inspirés par le jeu de tarot. Ces deux œuvres retrouvent des symboliques déjà travaillées, avec la Déesse de la lumière incarnant la mythologie, représentée mi-femme, mi-oiseau et L’Ermite, Vierge tentée par le serpent.