- Auteur Marie-Céline SOLÉRIEU
- Temps de lecture 8 min
Avignon : Frédéric Roels met en scène Don Giovanni. « Un opéra très centrifuge »
Sous le signe des Mythes et Merveilles, la saison 2025-2026 de l’Opéra Grand Avignon s’ouvre avec l’incontournable Don Giovanni. Rencontre avec Frédéric Roels qui signe une mise en scène entre déconstruction et reconstruction : symbole du chaos, vers le renouveau.

© Photo Michael et Cedric Studio Deletrade
Premier opéra de la saison 2025-2026 de l’Opéra Grand Avignon — et quel opéra ! — Don Giovanni de Mozart sera présenté les 10, 12 et 15 octobre 2025. La nouvelle saison, placée sous le signe des Mythes et Merveilles, s’ouvre ainsi avec une œuvre emblématique du répertoire, mise en scène par Frédéric Roels.
Une distribution de haut-vol pour cette nouvelle production :
Don Giovanni Armando Noguera
Donna Anna Gabrielle Philiponet
Don Ottavio Lianghua Gong
Il Commendatore Mischa Schelomianski
Donna Elvira Anaïk Morel
Leporello Tomislav Lavoie
Masetto Aimery Lefèvre
Zerlina Eduarda Melo
Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Orchestre national Avignon-Provence
Sous la direction musicale de Débora Waldman
Don Giovanni à l'Opéra Grand Avignon
Frédéric Roels, metteur en scène
Un opéra mythique
Frédéric Roels, vous mettez en scène Don Giovanni. C'est un opéra assez mythique, assez célèbre. Peut -être que le public s'attend à une mise en scène surprenante ... Quelles sont les particularités que vous avez su insuffler à travers votre mise en scène ?

directeur de l'Opéra Grand Avignon
Frédéric Roels : C'est toujours délicat de parler de nouveautés, parce que c'est un opéra qui a déjà été tellement souvent monté, dans tellement de versions différentes, que je n'ai pas la prétention d'amener quelque chose de forcément nouveau. J'ai la prétention d'amener quelque chose qui m'appartient et qui est personnel, mais qui n'est pas forcément nouveau.
Ce qui me touche dans cette oeuvre, c'est l'histoire d'un personnage en fuite. C'est un personnage qui est en fuite du monde, en fuite des principes d'ordre et d'organisation du monde. C'est une sorte d'anarchiste au sens le plus étymologique du terme, c'est-à-dire quelqu'un sans principe, sans loi.
Don Giovanni, la question de la séduction
On voit souvent Don Giovanni, évidemment, comme le prototype du séducteur qui collectionne les femmes, etc. Moi, je ne pense pas qu'il soit vraiment comme cela. Dans l'opéra de Mozart, les femmes qu'il tente de séduire sont presque toutes des échecs in fine. Il y a des tentatives de séduction, il y a des désirs, beaucoup de désirs qui s'expriment, mais peu de conclusions en réalité, de relations réelles qui durent.
Pour moi, c'est un personnage qui n'arrive pas à s'attacher à quoi que ce soit et à qui que ce soit. Il est dans le désir permanent, mais il est dans la fuite aussi dès que ce désir s'approche d'un accomplissement. C'est plutôt l'histoire d'un perdant, une sorte de personnage qui est en décalage par rapport au monde d'ordre dont il est issu.
Don Giovanni, symbole du chaos vers un nouveau monde
C'est un personnage qui génère le chaos, une sorte d'émergence d'un autre monde dont on ne sait pas encore quels seront les principes et les lois. Et cette idée d'un changement de monde, d'un monde que l'on quitte, qui était un monde de lois et d'ordres pour entrer dans une ère nouvelle dont on ne sait pas encore très bien ce qu'elle sera, c'est une chose qui me fait penser très fort à notre époque.
Je pense qu'on est vraiment dans une phase de ce type-là, c'est-à-dire que les années récentes, les bouleversements, le Covid, les bouleversements de l'ordre mondial aujourd'hui, la remise en question de la mondialisation et des équilibres Est-Ouest, tout ça fait un peu peur.
Est-ce le signe du chaos ou celui d’un renouveau ?
Oui, ça peut être un renouveau, mais ça passe forcément par une phase de chaos, ça passe par une phase de désordre, de remise en question des lois, de remise en question des équilibres, qui peut effectivement peut-être générer quelque chose de positif au final, mais on n'est pas encore dans la vision très claire de ce que sera ce positif. Mais on peut garder l'espoir.
Le choix des interprètes
Nous aurons le plaisir de retrouver le talentueux baryton argentin Armando Noguera dans le rôle de Don Giovanni. Pourquoi ce choix en rôle-titre ?

Frédéric Roels : C'est un peu intuitif. J'ai souvent vu Armando Noguera en spectacle, je n'avais jamais travaillé avec lui, mais il me semblait qu'il avait une particularité et une énergie spécifique qui convenaient bien au personnage. Ce qui se confirme complètement. Son interprétation est très créative, très authentique. Il répond parfaitement à cette idée que j'avais d'un personnage tourmenté, séduisant, mais en même temps effrayant par certains aspects. C'est un grand plaisir de travailler avec lui.
Par son côté latin aussi ?
Frédéric Roels : Oui absolument, on peut y voir El burlador de Sevilla y convidado de piedra qui était la pièce originale qui se passait à Seville.
Une mise en scène qui interroge
À quelle époque situez-vous cette mise en scène ?
Frédéric Roels : Comme vous l'avez évoqué, c'est un mythe. Dans ce mythe, il y a une sorte d'éternité des choses. Nous ne sommes pas dans une époque particulière, statique.
L'on voit bien dans le décor que l’œuvre se situe dans un moment dans déconstruction, reconstruction. Une architecture un peu en ruine où l'on on ne sait pas trop si c'est parce qu'on est en train de construire ou détruire. Les costumes sont un mélange d'époques : le Don Juan du 16e pseudo historique, celui du 18e qui est l'époque de Mozart, et celui de notre époque.
L'idée est un peu de mélanger les époques, et de se dire que finalement la situation dans le pan n'a pas une importance colossale.
Est-ce aussi une volonté d'interroger le public, de le surprendre ?
Frédéric Roels : Dans toute mise en scène, j'espère, il y a une forme d'interrogation du public, il y a évidemment une recherche d'émotions, de jeux, de tragédies. C'est à la fois un drame, mais en même temps c'est joyeux, c'est joué. Il y a un mélange de comédie et de drame dans cette pièce, et c'est très important de préserver, je pense, cet équilibre-là dans la mise en scène et dans l'interprétation.
L'idée est d'emmener le public à la fois dans ces péripéties-là, mais aussi avec une distance critique qui permet d'interroger, de se dire dans quel monde sommes-nous aujourd'hui ?
Quels sont nos questionnements? Qu'est-ce que désirer ? Qu'est-ce que rejeter ? Qu'est-ce que mettre tout en l'air ? Quelles conséquences ?
Une femme chef d'orchestre pour diriger Don Giovanni
Débora Waldman à la direction musicale ... Il fallait bien une femme pour diriger Don Giovanni !

Frédéric Roels : En effet, c'est un choix artistique, messager, symbolique. C'est d'abord l'histoire d'une rencontre et d'une relation entre elle et moi, elle à la tête de l'Orchestre national Avignon-Provence, direction artistique de l'orchestre, et puis moi, celle de l'opéra.
Elle a une vraie appétence pour Mozart, et elle avait une vraie envie de diriger Don Giovanni. Je m'en réjouis parce que c'est vraiment intéressant de travailler avec elle. C'est en plus quelqu'un qui est très à l'écoute de tous les aspects du spectacle et de la mise en scène en particulier, qui est vraiment dans la recherche de collaboration avec les interprètes et le metteur en scène.
Ce n'est pas une chef qui impose une vision et qui ne se préoccupe pas du reste. On est vraiment dans le collectif.
Une équipe artistique fidèle depuis 25 ans
Parlez-nous de l'équipe de création ...
Ce sont mes fidèles collaborateurs depuis longtemps sur beaucoup de mes productions. La scénographie est signée Bruno de Lavenère, les éclairages Laurent Castaintg, les costumes Lionel Lesire. Cela fait 25 ans qu'on travaille ensemble, je pense que l'on a un langage commun immédiat, c'est très agréable.
Retransmission gratuite sur écran géant le vendredi 10 octobre à 20h, place Saint Didier à Avignon
Le spectacle est diffusé en même temps, en plein air, sur un grand écran, évidemment, avec des transats sur la place. C'est une manière de faire sortir. On parlait d'opéra centrifuge, on est aussi dans une conception de la représentation centrifuge. Nous avons le spectacle en même temps sur scène, dans un lieu fermé, et puis dans l'espace public, pour permettre à un maximum de gens de s'intéresser à ça, d'y passer un moment.
Je pense que c'est notre mission de rendre cet opéra accessible au plus grand nombre.