- Auteur Philippe Depetris
- Temps de lecture 5 min
Rencontre avec Ibrahim Maalouf : “transcender les frontières musicales”
Rencontre avec un artiste au parcours impressionnant dont la capacité à transcender les frontières musicales font de lui un artiste incontournable de la scène musicale de notre temps.

Le trompettiste Ibrahim Maalouf était en concert au Palais des Festivals de Cannes le 23 janvier 2025 , avec l’Orchestre national dirigé par Benjamin Levy.
Un grand auditorium du palais des festivals plein à craquer, un Orchestre national de Cannes en pleine forme qui offre sous la direction de Benjamin Levy une lecture dynamique et enthousiasmante de la 1ère symphonie écrite par un Georges Bizet de 17 ans et un abord passionnant des irisations musicales de la pièce contemporaine de la compositrice Graziane Finzi « L’existence du possible » ainsi que la venue exceptionnelle d’Ibrahim Maalouf, tous les ingrédients étaient réunis pour faire de cette soirée un événement. L’artiste mène une carrière internationale au sommet enrichie par la publication de plus d’une vingtaine d’albums et de bandes originales acclamés par la critique, devenant ainsi le jazzman le plus populaire en France. Sa carrière musicale transcende les genres, explorant le jazz, la pop, le classique, l’électronique, ainsi que des influences orientales et africaines, créant un mélange interculturel explosif.
Ibrahim Maalouf, trompettiste jazz et compositeur
On vous a entendu dans un grand concerto classique. Il s’agit d’un retour aux sources ?
Ibrahim Maalouf : Il est vrai que j’évolue dans des univers musicaux multiples mais j’ai toujours une immense tendresse pour la musique classique, celle dont mon père trompettiste m’a communiqué l’amour dès ma tendre enfance en étant mon premier professeur puis de par ma formation au CNSM de Paris. J’ai été heureux de jouer ce concerto de Hummel. C’est un compositeur dont j’aime la folie et l’exubérance, un improvisateur génial qui fut très aimé à son époque. Je me suis vraiment beaucoup amusé à le jouer.
On vous a entendu aussi dans une adaptation que vous avez réalisée de « Smile » ?
Ibrahim Maalouf : Oui nous avions eu l’occasion de jouer ce thème ici avec l’Orchestre national de Cannes pour une émission de télévision qui célébrait le festival international du film. C’est l’une des plus belles mélodies jamais écrites pour le cinéma. Elle m’accompagne depuis toujours.
J’ai un immense respect pour Charlie Chaplin, pour son humanité et pour tout ce qu’il a défendu au cours de sa vie.

Vous jouez de plusieurs instruments mais la trompette est celui de votre cœur ?
Ibrahim Maalouf : J’ai tout appris de la trompette. C’est un instrument qui ne ment pas. C’est par lui que je transmets tout ce que j’ai dans le cœur et dans l’esprit et le message d’amour et d’universalité que je veux transmettre à mes contemporains. Sa sonorité est primordiale et elle est la véritable signature de celui qui le joue. Elle est comme une voix nourrie du souffle de la vie. C’est cet héritage qui m’a conduit à m’y consacrer.
Qu’est-ce qui vous a construit et nourrit votre inspiration ?
Ibrahim Maalouf : Je suis issu d’une double culture libanaise et française et j’ai été baigné dans différentes influences qui se superposent. La musique, avec mon père, la littérature avec mon oncle écrivain Amin Maalouf, le contact de ces civilisations marquées par la diversité, tout cela fait que je suis profondément imprégné de ce riche passé. Mais le présent dans lequel nous vivons fait que nous sommes immédiatement connectés au monde entier. Ainsi l’artiste que je suis se veut le témoin de l’époque dans laquelle je vis et a pour mission selon moi d’imaginer ce que sera le futur sans pouvoir évidemment faire abstraction de cette diversité qui est la marque culturelle de notre temps.
Y a-t-il une rencontre qui a marqué votre vie ?
Ibrahim Maalouf : Il y en a eu heureusement beaucoup mais si je devais en choisir une c’est le bonheur d’avoir connu Quincy Jones. Il a été mon mentor et mon manager et il a changé le cours de ma vie et ma vision de la musique. La richesse de son inspiration, son état d’esprit, sa liberté de créer et de mélanger les couleurs musicales, sa capacité à faire tomber les murs et à repousser sans cesse les frontières de la musique et de la vie ont été essentiels pour moi. Je n’oublierai jamais qu’il m’a invité au Hollywood Bowl pour le concert de ses 90 ans. Quincy m’a donné une place incroyable. Le croiser a été un cadeau !
Qu’est-ce qui vous motive et vous donne cette énergie particulière que l’on vous reconnait ?
Ibrahim Maalouf : C’est sûrement mon appétit de créer mais c’est aussi l’envie de me connecter en permanence aux autres. La musique permet de réunir autour d’une idée ou d’une cause les personnes de toutes générations, de toutes cultures, de toutes opinions politiques ou religieuses. On danse ensemble, on chante ensemble et on partage des moments de vie. Le concert est pour moi l’instant privilégié du partage absolu, du dialogue entre les êtres. Seuls la musique et l’art ont la capacité de nous faire oublier nos difficultés. Pour ma part je suis quelqu’un de fondamentalement optimiste. J’ai vécu personnellement des choses compliquées dans ma vie. Et je sais que la musique est le vecteur du bonheur. Je vis chacune de mes rencontres avec la musique comme le degré d’un escalier que l’on gravit pour atteindre un monde meilleur.