Publié le 13/02/2023

Cosi fan Tutte à l’Opéra de Toulon : le chef-d’œuvre de Mozart dans le vent des années 70

Avec un travail très soigné, le choix d’une lecture particulièrement intéressante, une dramaturgie pertinente et efficace, une beauté constante, ainsi qu’une excellente direction d’acteurs, Christophe Gayral insuffle à ce chef-d’œuvre tout le talent que lui reconnait sa célébrité de metteur en scène, magnifiant le génie de Mozart. Nul doute que ce ‘Cosi Fan Tutte’ a créé la surprise et a fait le bonheur des spectateurs. Rencontre avec le metteur en scène.

histoire de Cosi Fan Tutte - opéra Mozart

Cosi fan Tutte – Opéra de Toulon – 27/29/31 janvier 2023 – © Fréderic Stephan

Christophe Gayral est le metteur en scène de l'Opéra Cosi fan tutte (Mozart) présenté à l’Opéra de Toulon les 27, 29 et 31 janvier 2023, sous la direction du remarquable jeune chef d’orchestre, Karel Deseure.

Distribution :
Fiordiligi • Barbara Kits
Dorabella • Marion Lebègue
Despina • Pauline Courtin
Guglielmo • Vincenzo Nizzardo
Ferrando • Dave Monaco
Don Alfonso • David Bizic

Cosi Fan Tutte - Opéra de Toulon

Christophe Gayral, metteur en scène

« Je viens du théâtre, et pour moi, l’opéra, c’est du théâtre chanté. »

— Christophe Gayral
Christophe Gayral (à gauche) en répétitions (© Photo archive site du metteur en scène)

Danielle Dufour Verna / Marie-Celine.com – Christophe Gayral, vous êtes metteur en scène, comédien, dramaturge. Pouvez-vous vous présenter succinctement à nos lecteurs ?

Christophe Gayral –Je ne suis plus comédien désormais car il faut choisir je crois. L’opéra, depuis une dizaine d’années, m’a un peu happé au niveau des projets, au niveau du planning aussi puisque les projets à l’opéra se font deux, trois années à l’avance, alors qu’au théâtre les choses se font plus au dernier moment.

DDV – Vous regrettez ?

©Frédéric Stéphan

Christophe Gayral – non, je ne regrette pas parce que je travaille beaucoup, que je ne m’ennuie pas et que, de toute façon, je n’ai pas quitté le théâtre puisque, pour moi, l’opéra, c’est du théâtre chanté. J’ai ce background de théâtre où on doit toujours travailler dramaturgie, personnages… Voilà, c’est la base. Ma mise en scène est toujours basée sur le contenu, le livret et même si je me trouve devant un contenu qui est assez faible, par exemple j’ai monté à San Francisco Radamisto de Haendal et auparavant j’avais monté à la Fenice l’opéra Farnace de Vivaldi. Ce sont des livrets très minces, la dramaturgie est très pauvre où les histoires ne sont pas du tout passionnantes, des histoires de vengeance entre un roi et une reine. Ce n’est pas du tout Hamlet, il faut creuser. Même quand la dramaturgie n’est pas à la hauteur,  on est là, nous les metteurs en scène, les gens de théâtre, pour, à partir de ce matériau, l’étoffer, le magnifier, en faire quelque chose d’intéressant. Ce n’est pas le cas pour Cosi Fan Tutte car on a quand même, à la base, un opéra intéressant. Avec le texte de Da Ponte, comme pour les Noces de Figaro, il y a de quoi faire…

« Je n’ai pas une lecture misogyne de cet opéra »

— Christophe Gayral

- … C’est vraiment un opéra magnifique au niveau de la forme et du contenu et de ce que cela raconte. Ici, j’aurais aimé avoir plus de temps pour travailler plus longtemps avec les chanteurs-comédiens pour, justement, aller au plus loin de la caractérisation des personnages, de la psychologie des personnages mais aussi et surtout de l’ambiguïté des personnages. Je pense qu’avant tout, Cosi fan Tutte est une œuvre dont on peut avoir plusieurs lectures. On travaille sur l’ambiguïté de chaque personnage. Cosi Fan tutte n’est pas le vrai titre puisque c’est ‘L’école des amants’. Le titre en lui-même est plein d’ambiguïté et contrairement à certaines personnes je n’ai pas une lecture misogyne de cet opéra. Ce n’est pas ce que je veux voir dans l’œuvre. C’est une œuvre qui propose des possibilités de lectures très grandes et c’est formidable. Cela veut dire que l’on doit travailler toutes ces voies possibles pour en retirer la chose la plus intéressante.

©Frédéric Stéphan

DDV – Vous reprenez un peu de la mise en scène que vous aviez faite avec Philippe Breuil ?

Christophe Gayral – Non, pas du tout. J’ai travaillé avec Philippe Breuil il y a quinze ans. J’étais assistant. Non, j’ai fait ma version qui n’a rien à voir. Lui, c’était en costumes d’époque, assez traditionnel. Pour moi, c’est en costumes contemporains modernes et c’est une vision très différente. 

DDV – Où se situe l'action de ce Cosi fan Tutte?

« … les années 60-70, toute cette époque où il y avait des courants, dans la jeunesse, des pensées qui étaient contre la guerre, qui étaient pour l’amour, pour l’amour libre, pour l’hédonisme. »

— Christophe Gayral

Christophe Gayral – je la situe dans une époque que je pense, sociologiquement parlant, une époque plus ouverte à beaucoup de choses, c’est à dire plutôt les années 60-70, toute cette époque où il y avait des courants, dans la jeunesse, des pensées qui étaient contre la guerre, qui étaient pour l’amour, pour l’amour libre, pour l’hédonisme. Ce qui est important pour moi, c’est la figure des deux personnes qui manigancent, entre guillemets, l’histoire dans Cosi fan Tutte. C’est bien sûr Don Alfonso au premier chef car c’est quand même lui qui propose, au départ, le jeu avec les deux romantiques, les deux hommes, sûrs de leurs maitresses, et Despina en second lieu, qui est un peu le faire-valoir de Don Alfonso.

©Frédéric Stéphan

Dans les productions un peu classiques, généralement, Don Alfonso et Despina sont des personnes âgées qui vantent leurs connaissances de la vie. Lui a connu les femmes, elle a connu les hommes. Pour elle, les hommes sont tous des menteurs. Lui pense plutôt que les femmes sont un peu volages. Mais quand vous lisez bien le texte, ce n’est pas si sûr que cela. Je pense qu’on pourrait voir ces deux personnages, non pas comme des personnes donnant des leçons de morale aux jeunes couples, mais au contraire des gens qui sont aussi jeunes qu’eux, qui ne donnent pas de leçon de morale mais qui, au contraire, leur disent :

« profitez de la vie, jouissez de la vie, parce que, non, les femmes ne sont pas volages. Elles le sont peut-être parce qu’elles butinent un peu partout comme le font les hommes, et elles ont aussi leurs raisons. Soyez plus ouverts, soyez moins coincés dans vos règles de vie. Faites comme nous qui avons le même âge que vous. Ayez une attitude hédoniste, profitez de la vie. »

©Frédéric Stéphan

C’est pour cela que j’ai choisi cette époque où, au contraire, chez les jeunes, le Happy flower, le Peace and Love, on va vers une espèce d’utopie où l’on pense qu’on peut tout partager ensemble. L’émancipation de la femme est très prometteuse à ce moment-là. Cosi fan Tutte, pour moi, ce sont deux couples de jeunes romantiques, très sérieux, plutôt bourgeois et rigides dans leur idée d’amour. A savoir que, derrière l’idée que quand on rencontre quelqu’un c’est pour la vie, la vie vous montre que rien n’est pour toujours, qu’on peut aimer quelqu’un très fortement et que les changements dans la vie font qu’on peut aussi en aimer d’autres. C’est cela le message de Despina et de Don Alfonso. Ils ouvrent les yeux de ces deux jeunes tourtereaux, ces deux couples qui sont en fait, très coincés, on pourrait dire presque catho dans l’âme : on se marie pour la vie, on fait des enfants et c’est comme ça. Sans penser qu’on a le droit d’être désillusionné. Ce n’est pas une faute, au bout d’un moment, dans la vie, d’être désillusionné par une personne avec laquelle on s’est engagé. Cela fait partie des risques de la beauté de la vie.  

DDV - Est-ce la première fois que vous travaillez avec le chef Karel Deseure ? 

Christophe Gayral –Oui, je suis très content. C’est un jeune chef et j’ai beaucoup d’admiration pour la Belgique où j’ai fait trois mises en scène. Ce sont des gens très ouverts, très agréables au travail. Il est venu lui aussi avec le même esprit. C’est très intéressant. C’est la première fois qu’il conduit Cosi fan tutte et j’imagine qu’il y a un challenge derrière pour lui et pour nous. 

©Frédéric Stéphan

DDV – Quand on est metteur en scène, est-ce qu’on met un peu de soi dans les mises en scène comme le fait inconsciemment un écrivain dans son livre ?

Christophe Gayral – Je ne pense même pas à ça. Peut-être que j’ai une petite nostalgie pour cette vraie tolérance qui semblait poindre à l’époque et vers laquelle on avait l’impression qu’on allait aller … la guerre du Viet Nam, tout cela. On pensait qu’on allait vers un monde beaucoup plus ouvert, plus harmonieux. 

DDV – Vous parlez de cette époque comme si vous l’aviez vécue…

Christophe Gayral – Cela fait partie aussi de la mise en scène. Quand on fait de la mise en scène et qu’on veut mettre une œuvre dans une certaine époque, il faut travailler. Il faut la connaître au niveau de l’iconographie, de l’économie, de l’histoire etc. On ne se dit pas je vais mettre les années 70 parce que c’est chouette, il y a de la couleur, non. Avant tout, le but d’un metteur en scène est de faire de vrais choix, des choix qui aient un sens derrière, un fond. Pour moi, rien n’est choisi au hasard, les costumes, les accessoires, tout va dans le même sens, dans la même direction. Rien n’est décoratif. On est là pour proposer une lecture aux gens, une réflexion, une synthèse de ce que pourrait être, selon moi, Cosi Fan Tutte. 

DDV – Vous avez travaillé partout. C’est la première fois à l’opéra de Toulon ?

Christophe Gayral – Oui, absolument. Je suis très content que Toulon ait repris ce spectacle qui a été créé à Saint-Etienne il y a quatre ans et que peu de personnes avaient vu. Toute l’équipe est très contente de remontrer ce spectacle qui, hélas, n’avait été joué que trois fois. C’est une nouvelle aventure avec une nouvelle distribution et un nouveau chef d’orchestre. 

DDV – Quels sont vos projets à court terme ?

Christophe Gayral – Après Cosi fan Tutte, je vais mettre en scène La Bohème avec une nouvelle très grande production, à Torre del Lago, au grand festival Puccini, au mois de juillet. Nous travaillons aussi d’arrache-pied sur la préparation de ce spectacle. 

DDV – Vous travaillez beaucoup en Italie ?

Christophe Gayral – Oui, j’ai beaucoup travaillé, à la Scala, à la Fenice, etc. J’ai aussi travaillé en Angleterre, à San Francisco… 

DDV – Quelque chose à ajouter à cette interview ?

Christophe Gayral –Je viens du théâtre, et pour moi, l’opéra c’est du théâtre chanté. Il y a un vrai  travail, comme au théâtre. Je pense avant tout au théâtre et à la musique. C’est l’éternelle question : ‘Prima la musica, dopo le parole’. Pour moi, c’est tout ensemble, il n’y a pas de compétition. Si on privilégie l’un ou l’autre, tout le monde est frustré. C’est cette balance que l'on doit trouver.