Publié le 09/02/2024

Joyau de l’Histoire de l’art de la Belle Époque « La Villa Juturne » à Beausoleil

Joyau de l’Histoire de l’art de la Belle Époque « La Villa Juturne » à Beausoleil, Fanny Rogolini nous ouvre les portes de la Villa Juturne à Beausoleil, construite à la Belle Époque par son grand-père Patrizio Rogolini, depuis 2018, la villa est inscrite au titre des Monuments historiques.

Villa juturne peintre beausoleil

Visite guidée de la Villa Juturne à Beausoleil, commune de proximité avec Monaco, inscrite aux Monuments historiques depuis 2018. Rencontre avec Fanny Rogolini, petite fille de Patrizio Rogolini, ce peintre décorateur né en 1864 à Cuveglio in Valle, en Italie, constructeur de la Villa Juturne.

La naissance de la commune de Beausoleil et de la Villa Juturne

Histoire de l’art de la Belle Époque

©Viviane Leray

C’est en 1904, que voit le jour la commune de Beausoleil créée par le détachement de deux hameaux de la cité de La Turbie, pratiquement accolés à la principauté de Monaco. Dès les années 1860, apparaissent des chantiers monégasques qui attirent une population ouvrière. Au fil du temps Beausoleil sera promue au rang de station climatique : en 1921. En 1913, Patrizio Rogolini (1863- 1943), formé dans la tradition familiale aux métiers du bâtiment, décidait d'y faire construire un immeuble de rapport « La Villa Juturne » dans laquelle il réserverait le rez-de-chaussée pour y loger sa famille. Son goût pour l'art allait l’orienter vers une carrière de peintre-fresquiste : il s'illustra dans la restauration de décors peints d'églises baroques et dans la création de décors comme celui de l'ancien Sporting de Monte Carlo. Par arrêté du 26 février 2018, la Villa Juturne est désormais inscrite au titre des Monuments historiques, à la suite de la demande effectuée par ses descendants, dont sa petite fille Fanny qui nous conte son histoire…

Rencontre avec Fanny Rogolini, petite fille de Patrizio Rogolini

Tout d’abord, Fanny Rogolini, d’où vient le nom de la Villa « Juturne »

Fanny Rogolini ©Viviane Leray

Fanny Rogolini : Une histoire de famille, mon grand-père avait donné pour prénoms à ses enfants, mon père et ma tante : Icare et Juturne. La légende d’Icare nous la connaissons tous, Juturne, elle, est une Déesse de l’Antiquité, on trouve même un Bassin Juturne sur l’une des sept collines de Rome, elle est donc le symbole de l’eau, symbole qu’on retrouve dans toutes les religions : l’eau qui purifie, renouvelle et Juturne avait selon sa légende le don de guérison et à la fois le don d’immortalité, ma tante Juturne s’est éteinte presque centenaire ! Juturne est aussi mon troisième prénom, donc si j’en crois son histoire vous allez me voir encore longtemps faire visiter la villa Juturne !

A l’origine de la Villa une belle histoire celle de votre grand-père 

Fanny Rogolini : Patrizio Rogolini, italien, comme son nom l’indique, était originaire de la région du Lac Majeur, d’un village dans les terres, près de Laveno. A la fin du XIXème siècle, au début du XXème il arrive à Menton où il devient ami de la grande famille de peintres-fresquistes Cerutti-Maori, un peu plus tard il s’installera à Beausoleil, où mon père verra le jour. Mon grand-père achète le terrain et commence la construction de l’immeuble qui prendra le nom de Villa Juturne. C’était aussi la naissance de Monte-Carlo avec l’arrivée de ses créateurs François Blanc et Marie blanc son épouse, c’est aussi la naissance du chemin de fer, avec l’arrivée de touristes fortunés. Ma grand-mère me disait que ces constructions étaient destinées aux « hivernants », des personnages parfois excentriques, qui louaient  des appartements l’hiver sur la Côte d’Azur, certains venaient jouer au Casino de Monte-Carlo : l’histoire de la Villa Juturne allait s’écrire avec ces locations saisonnières très régulières de famille de la bourgeoisie et de l’aristocratie, Anglais, Polonais, Russes, beaucoup venant des pays de l’Est, tous liés  à la création de la Côte d’azur. La frontière était de l’autre côté de notre rue, mon grand-père a choisi Beausoleil près de Monaco…

©Viviane Leray

Patrizio Rogolini était-il un artiste autodidacte ?

Fanny Rogolini : Mon grand-père a étudié en Italie, il a même enseigné le dessin mais surtout il a beaucoup voyagé comme quatre de ses frères partis en Amérique du Sud, surnommés « les bâtisseurs », lui-même a travaillé en Amérique du Sud, j’ai d’ailleurs des documents, pour le moment ceux que j’ai concernent l’Argentine, à Rio de La Plata il décorera le Palais du Gouverneur, il a aussi exercé son art à Paris : le rideau de scène de la Comédie Française, peut-être même le plafond de l’Opéra, sous réserve car je n’ai pas encore les documents, il s’agirait du plafond précédant celui de Marc Chagall. Très ami de Frédéric Mistral, Il a exercé son art également en Provence, à Maillane où se trouve aujourd’hui le musée Frédéric Mistral, d’où la peinture de l’Arlésienne qu’on retrouve ici à la Villa Juturne… 

Qu’elles ont été les styles, les courants, illustrés par Votre grand-père, à la Villa Juturne ?

Fanny Rogolini : Les styles, les influences, de même que les symboles des œuvres de Patrizio Rogolini sont multiples, à la fois la Grèce, Rome, l’art gothique et ses ogives, la Renaissance italienne, avec Mantegna dont il a reproduit le Christ gisant,et les prémices de la peinture du XXème siècle, l’Impressionnisme et même des tableaux plus modernes, j’allais dire d’avant-garde pour l’époque… Les architectes des bâtiments de France lorsqu’ils sont venus chez moi m’ont dit « Votre grand-père dans cette maison a déposé tout son savoir-faire, c’est un tout, permettez-moi d’employer une expression un peu grossière, madame Rogolini, votre grand-père s’est « lâché » à la Villa Juturne où il a exposé l’ampleur de ses connaissances ». On peut penser par ailleurs que c’était un « bon vivant » preuve en est cette belle jeune femme Primavera qui apparaît à la porte de sa chambre…. Il y a un côté très païen dans le travail de mon grand-père avec Bacchus très présent, tous les arts la musique, le théâtre, l’astronomie, les éléments et des Naïades nues   Il ne faut pas oublier que dans sa jeunesse il a vécu à Paris, donc il a dû fréquenter le milieu artistique de son temps, d’ailleurs à propos de modernité, mon père et ma tante sont des enfants naturels, reconnus par leur père et leur mère qui n’étaient pas mariés… Ce grand-père faisait preuve d’avant-garde même vis-à-vis du mariage… Il faut se souvenir que le milieu artistique au début du XXème siècle à Paris était engagé avec une ouverture de pensée politique aussi…

Les fresques de la superbe cage d’escaliers de la Villa Juturne symbolisent les quatre saisons me suis-je laissé dire ?

Fanny Rogolini : On part d’abord de la double entrée de la villa où l’on découvre la représentation de la symbolique de l’eau, de la méditerrannée, et la représentation de la légende d’Icare ,et de Juturne. On se trouve alors au pied de la cage d’escalier, nous sommes fin XIXème siècle début XXème siècle, la penture florale illustre étage après étage les quatre saisons qui conduisent au Paradis : les combles : la porte est la porte du Paradis en quelque sorte… Enfants avec nos cousins nous aimions grimper dans les combles par une échelle, nous nous amusions beaucoup à la Villa Juturne c’était aussi un paradis pour nous. Au dernier étage on perçoit le mouvement du vent dans les fleurs comme l’ont souligné les architectes des Bâtiments de France. Au sous-sol il y avait l’atelier de mon grand-père qui donnait sur le jardin avec ses mandariniers, ses citronniers...

J’imagine que Patrizio Rogolini a participé artistiquement à la naissance de Monte-Carlo ?

Fanny Rogolini : Nous pensons en effet qu’il a travaillé à Monte-Carlo, il avait conçu le plan de l’immeuble avec un architecte qui travaillait à Monte-Carlo. Il est certain qu’il a réalisé des œuvres dans des villas sur toute la Côte d’Azur, j’en connais certaines. Ce n’est pas simple de les découvrir aujourd’hui certaines fresques n’existent sans doute plus… Par exemple, je fais actuellement des recherches sur la Villa Ephrussi de Rothschild à Saint-Jean-Cap-Ferrat, beaucoup d’archives lamentablement ont été perdues durant les guerres…

© Viviane Leray

Comment se présente pour la Villa Juturne, l’Année 2024 ?

Fanny Rogolini : Mon travail va commencer pour que la Villa Juturne soit de plus en plus connue,  visitée j’ouvre très volontiers la porte de mon appartement qui est une partie de l’appartement personnel de mon grand-père. Malheureusement, dans la maison certains propriétaires d’appartements n’ont pas jugé bon de conserver les fresques ! Une partie de l’appartement de mon grand-père a été détruite dont la chambre où figurait le Christ gisant de Mantegna et la représentation qui entourait le Christ : des jeunes filles datant des « Années folles », de 1927 ! Mon grand-père était un personnage sans aucun doute… Ma mère me racontait que quand elle était arrivée dans cette famille Rogolini, elle avait découvert des tas de choses, une famille originale sans aucun doute ! Comme je vous l’ai dit, mon grand-père a vécu plusieurs années en Argentine, ma grand-mère Clémence vivait ici du fruit des locations, la Villa était aussi un moyen de subsistance. Comme vous le voyez j’ai beaucoup de travail devant moi ! Il faut se battre et je vais continuer à me battre pour que la Villa Juturne demeure dans l’histoire de l’art de la Côte d’Azur…

© Viviane Leray

* L’immeuble dit Villa Juturne est inscrit au titre des monuments historiques par arrêté du 26 février 2018 en ce qui concerne : - les façades et toitures - l’ensemble des parties communes (vestibule d’entrée, cage d’escalier et dégagements attenants aux différents niveaux) - en totalité, l’appartement sud du rez-de-chaussée dans son périmètre d’origine - l’appartement ayant conservé son décor au troisième étage.

Renseignements pour les visites de la Villa Juturne à Beausoleil

« Villa Juturne »

Avenue de Gaulle
06240 Beausoleil

Contact : Madame Fanny Rogolini – Téléphone : 06 22 12 40 41