Publié le 03/08/2023

Angelin Preljocaj – Un “Lac des Cygnes” classique sans l’être

Pour mettre un point d’orgue au Festival Vaison-Danses, en cet été 2023, Angelin Preljocaj, académicien des Beaux-arts depuis 2019 et fidèle de cette fête vaisonnaise de la danse depuis l’an 2000, reprend avec sa compagnie le super classique « Lac des cygnes » sur la musique de Tchaïkovski. Même s’il est fidèle à l’œuvre originale, on se doute qu’il en propose une version renouvelée tant au niveau de l’accompagnement musical que de la présentation scénique.

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Le Lac des Cygnes, d’Angelin Preljocaj au Festival Vaison-Danses ©AA

Vu à Vaison Danses le 26 juillet 2023 au théâtre antique de Vaison-la-Romaine, le ballet Le Lac des Cygnes, d'Angelin Preljocaj. Une clôture du festival de danse à guichet fermé après le Ballet Béjart Lausanne, Möbius de la Compagnie XY, Alice de la Compagnie B-Dance, et Sol Invictus d'Hervé Koubi.

Le Lac des Cygnes, l’histoire et la musique

La musique du Lac des cygnes a été écrite par Piotr Illitch Tchaïkovski suite à une commande du grand théâtre de Moscou en 1875. Créé en 1877 au Bolchoï sur une chorégraphie du maître de ballet tchèque Julius Reisinger, le spectacle n’avait pas connu grand succès. Et ce sont Marius Petipa et Lev Ivanov qui, quelques années après, redonnèrent au public l’envie d’applaudir cette légende germanique sur le thème de la passion amoureuse, de la lutte du bien contre le mal et du destin, qui se déploie en quatre actes pendant près de deux heures. En quatre actes, c’est beaucoup dire, puisque, selon les ressources disponibles du moment et les capacités d’attention supposées du public, les chorégraphes en ont proposé parfois trois, et même deux comme par exemple Youri Grigorovitch au théâtre du Bolchoï en janvier 2015.

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Le Lac des Cygnes en résumé ...

L’argument initial est connu : le prince Siegfried doit se marier. En chassant près d’un lac il rencontre une femme-cygne dont il tombe éperdument amoureux. On apprend qu’il s’agit d’une princesse, qui, comme d’autres femmes, a subi le sort de Rotbar, le mauvais sorcier : elle devient cygne le jour et femme la nuit.

S’agit-il d’un rêve ou d’une réalité dans l’esprit de Siegfried ? Rudolph Noureev, par exemple, a penché pour la deuxième option. Selon l’humeur du chorégraphe et du metteur en scène, l’épilogue est variable. Pour les optimistes, Siegfried triomphe de Rotbar, se marie avec Odette et l’on ne sait s’ils eurent beaucoup d’enfants. Pour les pessimistes, Siegfried et Odette sont engloutis dans le lac. Pour les partisans du compromis, Odette reste un cygne, Siegfried le devient et tous deux convolent pour un avenir qui nous dépasse.

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Le Lac des Cygnes, d'Angelin Preljocaj

Siegfried et Odette en 2023

Parmi la quinzaine de versions chorégraphiques du Lac des Cygnes – Reisinger (1877), Petipa (1895), Fokine (1910), Lifar(1936) Balanchine (1951), Bourmeister (1952), Noureev (1964), Bourne (1995), Dada Masilo (2013) etc. –, celle de Preljocaj reprend l’essentiel du ballet classique en pensant à Petipa, même si « en vérité, dit-il, la chorégraphie n’est pas du tout d’après Petipa, car je l’ai entièrement réécrite. Ce n’est donc pas un remaniement ; structurellement et fondamentalement c’est une chorégraphie originale. C’est peut-être le meilleur hommage à rendre à Marius Petipa que d’entrer dans son processus créatif, de réinventer les choses ».

Le Lac des Cygnes, l'explication de Preljocaj

Preljocaj situe son ballet dans nos temps actuels, dominés par la question écologique et environnementale.

Au bord d'un lac, le sorcier Rotbart veut exploiter un gisement d'énergie fossile. Une jeune fille contrarie ses plans. Il la transforme en cygne. Au siège de son entreprise qui vend des plateformes pétrolières, le père de Siegfried, accompagné de sa femme, dévoile la maquette d’une nouvelle usine.

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Au cours de ces festivités, Siegfried comprend que l'usine est destinée à s'implanter au bord du lac des cygnes. Amoureux de la nature il s'oppose à son père.

Au siège de son entreprise qui vend des plateformes pétrolières, le père de Siegfried accompagné de sa femme dévoile la maquette d'une nouvelle usine.

À la fin de la représentation, tous les cygnes sont au bord du lac. Le noir envahit la scène, signe que tout le lac est submergé par une nappe de pétrole. Émerge une plateforme pétrolifère. Les cygnes meurent empoisonnés. Le ciel devient noir. Siegfried tient dans ses bras Odette qui se meurt au son du thème du destin.

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Une chorégraphie à la fois classique et moderne

La chorégraphie de Preljocaj est « preljocajienne ». Lapalissade qui n’étonnera personne ! Contemporaine, créative, se citant elle-même comme elle cite le passé de l’histoire de la danse quand elle reprend par exemple le pas de quatre des petits cygnes. Dans ses positions et sa dynamique, elle utilise ce langage du corps particulier que Preljocaj a construit pour dire les choses et faire reconnaître son style personnel. Quant à la technicité des danseuses et des danseurs, il n’est pas besoin d’être un grand expert pour en apprécier la précision.

Musicalement, Preljocaj s’est essentiellement servi de Tchaïkovski, que ce soit du Lac des cygnes proprement dit ou d’autres œuvres du compositeur russe. Et pour actualiser son propos, il a choisi d’ajouter une musique électronique de « 79D », un collectif mystérieux apparemment formé de deux musiciens d’Aix-en-Provence passionnés de danse qui veulent rester anonymes.

Angelin Preljocaj à Vaison-la Romaine, dans le cadre du festival Vaison-Danses ©AA

Le Lac des Cygnes à Vaison-Danses

La présence du décor explicite l'argument du ballet, pas toujours facile à suivre, et contribue à créer l'atmosphère. Dans sa version « Chaillot » donnée au théâtre national de la danse, le décor vidéo de l’illustrateur et réalisateur Boris Labbé était un élément important. D’abord par son esthétique indéniable. Ensuite parce qu’il donne le sens du ballet et complète les intentions du chorégraphe. Au théâtre antique, pour des raisons techniques, la projection en fond de scène n’a pas pu se faire normalement.  Et quand elle manque, c'est une part de la signification du ballet qui s’échappe. C’est dire combien la synergie des artistes forme un tout.

Mais le décor naturel du théâtre antique par sa majesté monumentale fait oublier tous les aléas liés à la situation de plein air. Preuve en est le fait que le spectacle de Preljocaj s’est joué très tôt à guichet fermé dans un lieu qui offre plus de 3 000 places. C’est par ailleurs la dixième fois que « l’enfant chéri du festival », comme le surnomme le directeur artistique Pierre-François Heuclin, vient y présenter ses créations et, soyons-en sûr, ce n’est pas la dernière.