- Auteur Léa-Sarah Perez
- Temps de lecture 7 min
Bonnard et le Japon : exposition à l’Hôtel de Caumont, centre d’art – Aix-en-Provence
À Aix-en-Provence, l’hôtel de Caumont accueille sa nouvelle exposition, Bonnard et le Japon, jusqu’au 6 octobre, nous offrant une expérience immersive dans le monde des estampes japonaises et de Bonnard.
La promenade des nourrices, frise des fiacres (1897) – Pierre Bonnard ©Léa-Sarah Pérez
À quelques pas du cours Mirabeau à Aix-en-Provence, l'Hôtel de Caumont, centre d’art, nous propose de découvrir l’influence de l’art japonais sur Pierre Bonnard, surnommé le « Nabi très Japonard », par l'exposition Bonnard et le Japon, à voir jusqu'au 6 octobre 2024.
Bonnard et le Japon - Exposition Caumont Centre d'Art Aix-en-Provence
La découverte de l’art japonais : un basculement artistique pour Pierre Bonnard
C’est en 1880, en découvrant les estampes du courant ukiyo-e (signifiant « images du monde flottant ») que Pierre Bonnard se plonge dans l’art japonais, qui révolutionnera sa vision de la peinture.
Ce sera une véritable révélation pour le peintre : désirant se libérer des règles enseignées aux Beaux-Arts, il explore les techniques des estampes : les couleurs, le contraste, les éléments stylisés... et la perspective. C’est par cette étude que Bonnard parvient à peindre des tableaux remplis de couleurs et basés sur l’illusion de la profondeur, laissant de côté son ancienne vision « réelle » de l’art.
© Léa-Sarah Perez
Bonnard et le Japon, une exposition envoûtante à la découverte des estampes japonaises historiques
L’exposition est divisée en sept parties :
- La révolution du regard
- Penser comme un Japonais
- Les estampes japonaises
- L’estampe par Bonnard
- Cinétisme
- Scènes de vie familières
- Un arrêt du temps
- L’heure du tigre
- Hanami
Afin de mieux comprendre le rapport entre l’art japonais et Bonnard, nous allons analyser (en surface) plusieurs œuvres et les mettre en parallèle.
La promenade des nourrices
L’une des premières œuvres que nous rencontrons est La promenade des nourrices, frise des fiacres (1897) par Bonnard, consistant en plusieurs peintures sur différents panneaux, formant un paravent. Le choix des couleurs ternes et neutres n’est pas une coïncidence : le marron, noir, jaune clair et gris sont souvent utilisés dans les estampes (e.g. Le Bac de la rivière Sumida, Utagawa Hiroshige, Femmes se noircissant les dents, Kitagawa Utamaro). Les thèmes de la vie quotidienne et du komodo (représentation de l’enfance et de maternité) sont illustrés par les enfants jouant au cerceau accompagnés par leurs nourrices et leurs animaux des compagnies (ici des chiens, vus dans le folklore japonais comme les défenseurs des humains).
Ceci peut être comparé à l’ensemble des peintures, Femmes au jardin (1890-91) de Bonnard, inspiré des kakémonos (peinture japonaise se roulant autour d’un bâton). Ici, les couleurs sont vives, les mouvements sont fluides et rythmés par le déhanchement féminin (caractéristique souvent retrouvée dans l’art de Bonnard) représentatifs des mouvements naturels des personnages présents dans les estampes japonaises. Deux de ces œuvres, Femme à la robe aux pois blancs et Femme assise au chat reflètent l’art d’Utagawa Kuniyoshi avec Yokkaichi(1844-45) et Poulpes de Takasago dans la province de Haima (1852), mettant en scène des geishas accompagnées de leurs animaux (un chien et un chat, le chat étant notamment le symbole de la douceur et d’espièglerie).
Femmes et fleurs, projet d’éventail
Femmes et fleurs, projet d’éventail (1895) est la prochaine œuvre de Bonnard que nous découvrons, accompagnée non loin de là, de La Cloche de soirée à Ueno (1835-38) d’Utagawa Hiroshige, une estampe en forme d’éventail. Ces deux œuvres traitent de sujets similaires, montrant la vie quotidienne de leur société. Les personnages marchent, entourés de nature, vacant à leurs occupations. Chez Bonnard, les couleurs sont plus vibrantes et nous avons le rajout d’hortensias blancs (présent sur la droite), symbolisant l’inconstance et l’instabilité, sujets phares de l’art japonais.
Mais au fait, comment sont fabriquées les estampes japonaises ?
Le but des estampes est de partager l’art avec le plus grand nombre de personnes et donc, d’en réaliser beaucoup.
La xylographie
Pour ce faire, les Japonais utilisaient la xylographie, un processus d’impression réalisée à partir de plaques de bois.
Il existe différents types de gravure xylographique : en noir et blanc ou polychrome.
Arrivée de bateau au port Hako dans l’état d’Oshima
Parmi les nombreuses estampes japonaises que nous explorons, nous avons Arrivée de bateau au port Hako dans l’état d’Oshima (Hokkaido) d’Utagawa Kuniteru II, l’une des œuvres les plus impressionnantes de l’exposition. Les détails y sont époustouflants : chaque personnage et barque sont dessinés avec finesse et précision, malgré leur taille infime. À travers ce tableau, nous ressentons le mouvement du vent agitant les vagues, nous transportant dans le port d’Oshima.
Verger de pruniers
Verger de pruniers d’Utagawa Hiroshige et d’Utagawa Toyokuni II (1853) est une autre estampe aux aspects impressionnants dans sa finesse et grandeur, nous emmenant dans l’univers des vergers japonais. Une multitude de symbolismes peuvent être trouvés dans la nature : l’ume (la fleur de prunier) avec sa particularité de fleurir en hiver, représente l’espoir et le renouveau. Le soleil levant, aux tons roses et rouges, symbolise le bonheur et la chance. Ces symbolismes appartiennent à la coutume du hanami (hana = fleur, mi = voir), la contemplation des cerisiers et pruniers en fleurs, célébrant le renouveau au printemps.
© Léa-Sarah Perez
La représentation de cette coutume est reprise par Bonnard dans de nombreux tableaux, dont La Petite Fenêtre (1946), dernière œuvre de notre visite. Mélangeant la technique des estampes japonaises (perspective sans profondeur) et du postimpressionnisme (pointillisme, symbolisme).
La représentation de l’heure du tigre chez Bonnard
L’heure du tigre désigne les heures de 3h à 5h du matin, le moment où les clients quittent les geishas. Transportés dans le monde artistique du nu, un sujet qui passionne Bonnard, nous découvrons une nouvelle approche de l’artiste.
Les couleurs sont plus ternes et proches du réel. Les femmes, au centre du tableau, sont mises en scène en train de faire leur toilette ou de s’habiller (Nu debout vue de dos devant la cheminée, 1913 et Nu à la lumière,1908). Les décors sont minimalistes, consistant en des chaises, cheminées, habits, tapis et murs blancs. Le trait de pinceau et le choix des couleurs pastel peuvent nous rappeler le travail d’Edgar Degas (lui aussi très influencé par les estampes japonaises). Les thèmes et les techniques de l’art japonais restent présents dans ces tableaux, avec les sujets des phénomènes éphémères et la vie quotidienne.
Bonnard et le Japon est une exposition nous offrant de nouvelles perspectives de l’art occidental et nous plonge dans l’univers caché des estampes japonaises, nous régalant à chaque pas.